Mathilda, les ailes de la nuit.

Je m'appelle Mathilda.  C'est le nom que m'a donné le très sympathique monsieur qui nous laisse nicher en paix dans le grenier de sa vieille et douce maison campagnarde.

Je suis une chouette. Hulotte. Oui, nous sommes de divers styles, nous les chouettes: chevêche d'Athéna, moyen-duc, effraie, hulotte, etc... Moi c'est hulotte.

Et mon compagnon, je l'ai baptisé Max, il a dit "OK, Max ça me va." Et Max il est super, bon chasseur, rigolo, recordbird (pas recordman) de vitesse en vol dans la forêt. Waouh !  Faut le voir quand il slalomme entre les arbres dans un silence total ! Vous savez que nous, les nocturnes, on ne fait aucun bruit en volant ! Nos ailes sont faites pour.  Des plumes de haute technicité.

Le jour, tous les deux, perchés sur les lucarnes du grenier, on flemmarde, on contemple les humains dans leurs activités diurnes, on veille sur notre nid où dorment trois oisillons fraîchement sortis de l'oeuf et qui ne vont pas tarder à ouvrir leurs becs affamés. Puis le soleil commence à s'en aller. Nous aimons le crépuscule, ses bruits, la douceur de la brume.

Alors, chez nous, à la belle saison, un rituel: Notre humain sort dans son jardin, va s'asseoir sur le banc.  C'est le signal:  je décolle en flèche de ma lucarne, aviatrice expérimentée. Autour de la maison je cercle un peu, histoire de me dérouiller les plumes, en mettre plein la vue aux oiseaux de jour, et toc, je pique et viens me poser en souplesse sur une épaule du gars qui n'attend que ça. Epaule gauche ou droite, il n'y a pas de règle.

"Mathilda ! Salut ma grande (ou ma belle, ou ma gentille...) ! T'es en forme ? Et les gosses, et Max ?"

Je lui réponds en chouinassant à son oreille, de petits grognements affectueux. Pas des hululements, non: des chouinassements, quoi.  Il comprend tout. Forcément, il est poète, il parle chouette couramment (avec un très léger accent chevêche, on se demande d'où il tient ça).

On papote de tout et de rien, des récoltes, des labours. Important, le labour, pour nous les rapaces, ça fait sortir souris, mulots, campagnols, un vrai garde-manger. J'ai droit à de petits morceaux de pain qu'il m'offre sur sa paume bien tendue. Et la  Nuit arrive, nous salue: "Hello everybody !". Elle est un peu snob.

Soudain, au-dessus de nous, un souffle de vent: C'est Max qui s'envole pour aller faire son marché, les oisillons se font entendre: "On a faim, on a faim". Pas de panique, les p'tiots, papa va rapporter des mulots pour tout le monde. Moi, vite,  je chouinasse un au revoir et, d'un grand coup d'ailes, je vais rejoindre le grenier. Car le règlement est clair: Jamais le nid sans surveillance. Papa est parti au supermarché forestier, maman veille sur les gosses. Parfois c'est l'inverse, c'est moi qui vais bosser, Max qui babysitte.

Mon humain se lève: "Bonne nuit Mathilda. Tu passes le bonsoir à Max". Promis ! D'ailleurs, tiens, le voilà, avec deux souris dodues dans le bec. Hors d'oeuvre, et il repart pour chercher le plat principal. Festins nocturnes, avec la lune qui observe par les lucarnes.

Le bonheur:  il est à portée de nos plumes.

Et pour vous, les gens à deux pattes, il est tout près aussi, tendez la main, vous le touchez. Là, ça y est !

C'est Mathilda qui vous le dit.

                                    Edouard Huckendubler  (copain des chouettes).