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A mon Grand-Père Bernard Ruaud Souvent je l'imagine sur son vélo fuyant, à un âge indécis, l'âge des premières fois vers un lointain maquis, planqué au fond des bois sans mots dits à aucun de ses très chers parents. Le fusil dans une main, ils s'en vont à plusieurs effacer chaque nuit, un pont, ou un tunnel… Le "Chant des Partisans" qu'ils envoient vers le ciel, hurle comme une prière, martèle comme un cœur. Dénoncé, arrêté, condamné aux barreaux d'une prison de Tulle bel et bien en acier, il tentera une seule fois de s'en échapper : un passage à tabac le laissa au carreau. Puis il se voit jugé, condamné aux barreaux, mais cette fois pas de la grille d'un camps français qui serait gardée par des soldats ''amis'', mais d'une petite fenêtre d'un wagon à bestiaux. "Les trains de la mort", départs en gares françaises ! Embarqué entassé piétiné par centaine, après deux jours d'enfer il survivra à peine : matricule soixante-treize mille neuf cent soixante treize. Pas tatoué mais pourtant bien marqué à vie les chiens et les SS lui retapent le cerveau, la chair et les entrailles, les viscères, la peau… Mais comment entrevoir une chance de survie ? Regardez-le dans son pyjama gris rayé, pas d'étoile jaune mais des sabots de bois, se levant d'un châlit où l'on dort par trois de côté, tête-bêche comme pour mieux y loger. Regardez-le debout parmi les déportés garde-à-vous, sans chaussette dans la neige, des heures attendant violemment qu'on retrouve un des leurs : pour un corps évadé, dix-huit seront tombés. Regardez bien cette ombre au petit matin, blême de n'avoir rien mangé qu'un morceau de rassis partir « en Kommando », au pas et en sursis, de Dachau à Allach, jonché de chrysanthèmes. Lui ne reverra plus, un à un ramassés tous les corps putréfiés de ses "copains" de mort tombés au champ d'horreur, qu'il prend à bras le corps sans aucun Requiem, avant d'être calcinés. Il savait chaque veille que "c'est enfin demain qu'arriveront en masse les troupes alliées qui seraient enfin là pour tous nous délivrer". Il a tenu d'espoir, de force, de coup-de-poing. Il a tenu un an pour entendre le pas des soldats tous choqués attirés par l'odeur. Ne sachant plus pleurer de trouver leurs sauveurs il a juste souri, ne pouvant faire plus qu'ça. Il est bien revenu, pour se retrouver là dans une prison dorée, sans barreau et sans chien soixante-cinq ans plus tard, il le sait ô combien qu'il finira ses jours dans cette maison-là.
Août 2012
Merci à tous pour vos petits mots !
· Il y a plus de 12 ans ·Frédéric : il m'en reste un, de témoins, mon grand-père ce fameux matricule, et mon père est en train de mettre en forme les souvenirs qu'il a pu nous écrire. A suivre...
NILO : ton père ? A Dachau ? quel n° matricule ? quel train ? quelles années ? faut raconter...
Christine : merci !
Mystéria : c'est un peu ce que je voulais, contente que ça marche !
Bleuterre : merci d'être venue ! oui, le devoir de mémoire...
lubine-marion-ruaud
J'aurais eu tort de ne pas venir lire ce texte.... oui, il faut l'écrire, encore et encore.
· Il y a plus de 12 ans ·bleuterre
texte intense qui prend aux tripes.
· Il y a plus de 12 ans ·Karine Géhin
beau texte bravo
· Il y a plus de 12 ans ·christinej
C'est avec autant d'émotion que je revis ces histoires, entendues depuis ma tendre enfance.
· Il y a plus de 12 ans ·Mon père y était déporté politique ! Bravo Lubine pour cette piqùre de rappel...
nilo
· Il y a plus de 12 ans ·Le fond est si prenant. Pas envie de commenter la forme.
Il nous reste si peu, et de moins en moins, de témoins!
Merci Lubine.
Frédéric Clément