un tattoo pour Nalita

sophie-dulac

Un  Tattoo pour Nalita

« Nalita,  star des podiums des défilés  haute couture » ; Jo soulevait des barres  au club de sport en ne  pensant qu’à sa star, sa Nalila.

Depuis qu’il suivait avec assiduité chaque nuit en replay après son travail,  l’émission de télé réalité, « les démons de la vérité », Jo était tombé raide dingue de Nalita. Il n’en finissait pas de contempler à la télévision ou sur papier glacé, sa fine cambrure, ses fesses rebondies, ses cuisses fuselées,  sa poitrine ultra généreuse et son joli minois ourlé de sa bouche pulpeuse. Tous ces attributs le fascinaient et  l’affolaient si bien qu’il avait décidé de se faire tatouer la preuve son affection indélébile, comme ils disaient dans « les démons de la vérité » ; quoi de plus saillant que son biceps gauche, puissant et râblé pour recueillir le signe incontestable de sa passion pour Nalita ?

Jo, secondé par son fidèle Bianco, un dogue allemand à la robe blanche, oreilles taillées et gueule d’acier, s’occupait de la sécurité du parking du centre commercial. Il avait rendu divers services au chinois tenancier du Tattoo Passion Shop sis au rez-de-chaussée du deuxième niveau. Jo alla donc tout naturellement se faire tatouer chez cette connaissance. En caractères gothiques, dans la langue de Shakespeare, le chinois s’appliqua à composer un magnifique « I love you Nalita » sur son biscoto.

Cette prose gravée dans sa chair, Jo resta plus que jamais à l’affut de la moindre image de sa naïade même après l’arrêt « Des démons de la vérité » ringardisés par « Tout nu à Los Angeles ».

Nalita, à la plastique irréprochable n’avait cependant pas une diction et une répartie inattaquables. Même très épris, Jo reconnaissait, qu’à tous les talk-shows  où la nymphette était invitée, elle était incapable de suivre une conversation cohérente et argumentée. Il mettait ce manque d’humour et de raisonnement, ainsi que ses longs silences bulleux sur le compte  d’une timidité maladive. Les mises en boite récurrentes des présentatrices  étaient aussi évidemment liées à des problèmes d’égo et de jalousie. C’est ainsi qu’en moins de deux ans, Nalita avait écumé tous les plateaux de télévision dans le rôle de la jolie crétine de service, servant davantage de faire valoir que de chroniqueuse. Qu’importe, Jo suivait obstinément chaque prestation télévisuelle de son idole.

L’annonce tonitruante  de son mariage avec le boxeur Patrick Mélouda lui fit donc l’effet d’un uppercut en plein cœur.

S’en suivit une très longue période de désert ponctuée que par quelques articles dans des magazines people.

Nalita l’été à Saint Tropez et l’hiver à Courchevel, Nalita en voyage de noce, Nalita fait une fausse couche, Nalita trompée, Nalita prend un amant, Jo marchait à la Nalita comme un coureur du Tour de France à l’EPO.

S’il ne trouvait pas sa dose, il s’en prenait à ce pauvre Bianco à coups de matraque. Le molosse se laissait faire, bravache, il savait qu’une fois sa came inhalée, son maitre se faisait pardonner avec des os à moelle.

Le chien  fut néanmoins soulagé quand la starlette lança sa propre gamme de prêt à porter, plus précisément, sa gamme de sous vêtements masculins imaginée et dessinée par Nalita à commander exclusivement par correspondance après accréditation au « Nalita Club Gentlemen ».  Ce concept marketing révolutionnaire fit la une du journal de 13H de TF1.

Jo dut s’y prendre à plusieurs fois pour trouver caleçon à sa taille. Si le design était signé Nalita,  la taille et la confection étaient manifestement chinoises.  Jo rentrait tout juste dans le XXL, ce qui  flatta sa virilité pour un temps avant que la machine à laver transforme le slip, qui devait bien couter le prix de quatre jeans 501, en nippe.

Des dizaines d’os à moelle après, Nalita ressurgit en égérie d’une grande marque d’ameublement de luxe. La campagne d’affichage insistait sur  les rembourrages charnels et sensuels de la vedette en analogie avec les formes plus chastes des sofas qu’elle vantait.

Jo vida son livret A pour l’acquisition de la méridienne « Pretty Nalita ».

Il passa seul  de longues soirées sur son canapé fuchsia  « cuir fine fleur de Turquie » car comble de malheur, un coup de cravache plus lourd que les autres avait éclaté bêtement la rate de ce pauvre Bianco.

Privé de  son chien, Jo fut relégué  de la surveillance à l’entretien des allées du parking  du shopping center.

Malita tomba définitivement dans les oubliettes médiatiques.

Etrangement sur le biscoto de Jo son empreinte s'estompait.

Le « I » semblait inexistant, on parvenait à lire parfaitement un joli « LO », le « VE  YOU » était noyé dans une vergeture, le « NA » suivait le « ITA » dans une autre boursouflure,  il n’y avait guère que le « L » qui ressortait du prénom de la muse.

Le  biceps gauche raplapla et défraichi de Jo exhibait maintenant un fringant  LOL.

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