Mes rêves les plus fous

J'ai fait un rêve cette nuit.

J'ai rêvé que je n'étais plus la préposée aux rouleaux de papier toilette usagés ni la désignée volontaire pour aller chercher les enfants à l'école tous les jours ouvrés de la semaine. 
J'ai rêvé que je n'étais plus la responsable d'hygiène et de sécurité du réfrigérateur et encore moins la standardiste pour les appels commerciaux indésirables.
J'ai rêvé que le lave-linge et le lave-vaisselle étaient dotés d'une fonction rangement automatique.
J'ai rêvé que la poussière était une espèce en voie d'extinction.
J'ai rêvé que mon horloge interne me laissait dormir jusqu'à neuf heures tous les matins.
J'ai rêvé que je n'étais plus l'employée montrée du doigt à cause de son temps partiel et que mes comptes bancaires étaient pleins à craquer.

J'ai rêvé que mes cheveux étaient les plus soyeux, les plus souples et les plus somptueux au monde.
J'ai rêvé que ma cellulite s'était envolée, disparue pour toujours dans les abîmes infernaux.
J'ai rêvé que je n'avais plus aucune ride, pas même d'expression et surtout plus de rides du lion ni une seule ridule ridicule.
J'ai rêvé que mes dents étaient d'une blancheur impeccable, irréprochable.
J'ai rêvé que je n'avais plus de lunettes et que j'avais dix sur dix, œil gauche comme œil droit. J'ai rêvé que j'avais un ventre plat, les fesses fermes et des cuisses de danseuse étoile.
J'ai rêvé que je n'avais pas besoin de faire de sport.
J'ai rêvé que mon maquillage était permanent et que ma pilosité était sous contrôle.
J'ai rêvé que j'étais belle à faire tomber tous les hommes à mes pieds.
J'ai rêvé que j'avais un quotient intellectuel de 170 et que j'avais des dons d'ubiquité.

J'ai rêvé que mon mari me massait tous les jours.
J'ai rêvé que mon mari m'aimait comme au premier jour.
J'ai rêvé que mon mari écoutait, buvait chacune de mes paroles avec intérêt, avec attention et avec un amour infini.
J'ai rêvé que mon mari était orphelin et n'avait ni frère ni sœur.
J'ai rêvé que mes filles étaient adorables vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
J'ai rêvé que mes parents étaient là tous les deux, heureux et en bonne santé.

J'ai rêvé que je possédais une belle maison, fonctionnelle, spacieuse, charmante et dotée d'un homme de ménage.
J'ai rêvé que j'avais une résidence secondaire en plein Paris.
J'ai rêvé que je roulais en Alfa Roméo 4C Spider.
J'ai rêvé que ma garde-robe avait son dressing personnel.
J'ai rêvé que j'avais des chaussures assorties à chacune de mes tenues.
J'ai rêvé que j'avais un chat norvégien qui adorait prendre des douches.
J'ai rêvé à des voyages lointains, magnifiques et inoubliables.

J'ai rêvé que j'étais sur le point de démissionner pour me consacrer à l'écriture, au dessin et à la peinture.
J'ai rêvé que mes talents d'artiste étaient reconnus de tous et surtout des plus grands.
J'ai rêvé que tout le monde s'arrachait mes œuvres.
J'ai rêvé que mes amis m'admiraient, m'enviaient et m'aimaient pour ce que je suis...

J'ai fait un autre rêve cette nuit.

J'ai rêvé que mon corps n'était plus tout à fait celui que je désirais avoir.
J'ai rêvé que mon sourire sonnait faux et ne parvenait plus à masquer une mélancolie aussi profonde qu'un puits sans fond.
J'ai rêvé que mon mari était mon adjoint à la logistique quotidienne et à la gestion des affaires courantes, rien de plus.

J'ai rêvé que mon père était mort laissant ma mère effondrée et malade.
J'ai rêvé que je n'avais plus personne à qui me confier, que des mots pour exprimer ma peine.
J'ai rêvé que mes enfants m'épuisaient un peu plus chaque jour.

J'ai rêvé que j'étais trop fatiguée pour me bouger, que les forces me manquaient pour lutter.
J'ai rêvé que les larmes m'avaient irrémédiablement creusé les joues.
J'ai rêvé que chaque jour était gris, identique, ennuyeux, laborieux, porteur de soucis de plus en plus coriaces à résoudre.

J'ai rêvé que les gens ne m'aimaient pas, m'ignoraient, me dénigraient puis finissaient par m'oublier.
J'ai rêvé que c'était trop tard pour moi, que le train était passé et que l'occasion ne se représenterait jamais.

J'ai rêvé que tu ne m'aimerais jamais ni même me regarderais.
Toi en qui j'ai cru, j'avais foi en une lueur d'espoir, quitte à devoir tout laisser en plan, redémarrer une vie, une nouvelle vie, une vie choisie...

Je me réveille en sueur et angoissée.
Je me lève en quatrième vitesse.
Je me regarde dans la glace.
Je respire profondément.
Je suis toujours moi.
Je suis Grace Kelly.