Mon nom est Hascoët

arzel

                                   Mon nom est Hascoêt.

C'était l'année 2938. Nous venions de terminer nos examens et nous avions décidé , mes copains et moi, de nous payer 8 jours de vacances au bord de la mer. Je nous revois encore, assis à la terrasse de la cafeteria de l'Université de Vincennes: il y avait là John Smith,Kevin Martin, Ingrid Kennedy ( une jolie blonde pour qui j'avais un petit faible) et moi Jack Hascoêt. J'étais le seul à porter un nom "exotique". Dans les années qui avaient suivi l'installation d'un gouvernement mondial en 2300, l'administration avait décrété que pour pouvoir gérer les 15 milliads d'êtres humains, les ordinateurs centraux devaient rationaliser les noms des individus. Mille patronymes avaient été choisis, essentiellement anglo-saxons, l'anglais étant la langue obligatoire dans le monde entier; il y avait quand même quelques noms asiatiques ou africains mais la plupart des habitants de la planète s'appelaient Smith ou Martin, le chiffre qui suivait leur nom sur leur carte d'identité servait à les distinguer les uns des autres. Mon nom de hascoët , je le devais à un lointain ancêtre qui n'avait pas voulu que se perde son nom lorsque fut votée la loi dite de  "la  mondialisation des patronymes". C'était un fin juriste; il intenta procès sur procès à l'administration et finit , au bout de 20 ans par obtenir gain de cause . C'est pourquoi , moi, son descendant, je m'appelle Hascoët, ce qui fait toujours causer les imbéciles lorsque je me présente.

Ce jour de juin , c'est Ingrid qui posa la question

-Où allons-nous passer nos huit jours de vacances?

-A Sao-Paulo comme l'an dernier, proposai-je

-J'ai pas envie de prendre l'avion, dit Ingrid , avec tous ces accidents , ces derniers mois , cela me fait peur;

-Alors la Côte d'Azur, proposa John. 

Kevin,  qui n'arrêtait pas de s'éventer avec son journal , protesta:

-J'ai déjà trop chaud à Paris avec cette canicule , alors de grâces, pas le Sud

-Alors il reste l'Atlantique, si nous allions en Bretagne , dit Ingrid, je ne connais pas du tout cette région 

- Va pour la Bretagne ,dis-je, je ne connais pas non plus et pourtant c'est de là que viennent mes ancêtres.

John se chargea des réservations et c'est ainsi que le lundi suivant, nous nous retrouvions au départ de la navette qui devait nous conduire au bord de la baie de Douarnenez , au village de vacances le Dolmen. Le voyage fut rapide: la navette glissant sur ses rails nous conduisit à notre destination à 600 km à L'heure.A cette vitesse on ne voyait guàre le paysage mais il y avait longtemps que les voies de communication étaient bordés de hauts murs qui nous séparait d'une végétation retournée à l'état sauvage. Il n'y avait plus de paysans depuis 500 ans, toute la population était entassée dans des villes aux buidings gigantesques , reliées les unes aux autres par ces couloirs asphaltés, bordés de hauts murs qu'il était interdit de franchir.

 A l'arrivée au village de vacances nous ne fûmes guère dépaysés: tous ces lieux se ressemblaient comme deux gouttes d'eau: mêmes immeubles avec balcons disposés autour d'une piscine , mêmes chambres avec douches aux plans partout semblables, mêmes restaurants italiens ou chinois sans oublier l'inévitable crèperie. Comme l'an passé au Brésil la mer était innaccessible: dans les parties de la côte destinées au tourisme , des esplanades de béton avaient été construites au-dessus de la mer; du sable y était répandu , des jeux pour les enfants installés. Les piscines ( ici il y en avait trois) étaient des piscines d'eau de mer mais celle-ci était filtrée car l'eau de l'océan était si polluée par les métaux lourds qu'il était dangereux de s'y baigner.La seule chose qui différenciait ces villages identiques était le nom qui devait faire couleur locale: ici c'était le Dolmen du nom de la pierre dressée qui s'élevait à l'entrée du village.

Le lendemain de notre arrivée , il faisait chaud, nous passâmes une grande partie de la journée dans la piscine. Après le bain Kevin proposa une soirée à la discothèque.

-Bof! lança Ingrid , désabusée, tu n'en as pas marre de ces soirées toujours semblables , il ne se passe jamais rien.

-Qu'est-ce que tu veux qu'il se passe? s'écria John.

 -Je ne sais pas moi, poursuivit Ingrid, si au moins on pouvait passer de l'autre côté du mur pour voir comment c'est la vraie nature

Elle n'avait pas tout à fait tort, moi aussi j'avais souvent regardé ces hauts murs qui séparaient ce que notre société appelait la civilisation , du monde sauvage plein de dangers mais aussi terriblement attirant.

Et c'est ainsi que tout commença; je proposai d'essayer, une fois la nuit tombée, de franchir le mur et d'explorer ce monde qui nous était interdit. Aucun d'entre nous n'émit d'objections. Tous nous aspirions à secouer la routine de nos existences sans mystère. l'aventure commençait de l'autre côté et c'était si excitant que nous nous mîmes tout de suite à préparer notre expédition nocturne.Kevin , le pragmatique de la bande , fit tout de suite une liste du matériel nécessaire ( lampes, corde , machette, etc...) et nous nous dispersâmes pour fouiner; cela nous occupa jusqu'à la tombée de la nuit.

A 23h nous nous retrouvâmes à l'endroit où le mur était le plus sombre: Kevin avait trouvé une corde , une serpe et fabriqué un crochet que john lança au haut du mur après y avoir accroché la corde. Nous nous hissâmes à tour de rôle le long de la paroi. J'étais le premier, l'escalade ne fut guère difficile mais , assis au sommet j'avais le coeur qui battait un peu; la végétation était très dense, heureusement un arbre se dressait juste à côté , ses branches touchaient le mur et permettaient de descendre facilement . Une fois tout le monde à terre, John récupéra la corde et le crochet , les stocka  dans un sac à dos et en route pour l'aventure......

La serpe n'était pas un luxe car il était difficile de se frayer un chemin au milieu des ronces et des ajoncs.

-Il ne faut pas se perdre dit Ingid, il vaut mieux ne pas s'éloigner du mur.

C'est ce que nous fîmes, la progression était lente mais bientôt une sorte de chemin , une piste d'animaux probablement nous facilita la tâche. Un peu plus loin la piste s'écartait du mur, kevin proposa de la suivre:

-Et si nous nous perdfons, protesta Ingrid

-Il n'y a qu'à faire comme le Petit Poucet, dis-je, baliser notre chemin. personne n'a un chiffon qu'on pourrait déchirer en morceaux et accrocher aux arbres?

-Bonne idée dit Ingrid, j'ai un vieux foulard rouge qui pourrait servir à ça.

Nous commençâmes donc à suivre la piste qui remontait vers l'Est. De temps en temps des lapins détalaient sous nos pieds, nous aperçûmes même un renard qui nous dévisagea quelques secondes avant de disparaître. Pour nous ces rencontres étaient sensationnelles: des lapins, des renards , nous n'en avions vus qu'au zoo, les approcher ainsi dans cette nature sauvage, c'était vraiment fantastique et nous ne regrettions pas notre escapade.

Bientôt la piste fit un écart pour éviter un amas de pierres recouvert de ronces et de lierre, les restes d'une maison probablement, nous devions donc nous trouver près d'un ancien village.

-Tiens , qu'est-ce que c'est? s'écria Ingrid; la lumière de sa torche venait d'accrocher quelque chose de blanchâtre dans les fourrés qui bordaient la piste. La serpe en mains, Kevin se mit à l'ouvrage et nous dégageâmes bientôt un panneau sur lequel apparut , quand nous l'eûmes nettoyé le nom PLOVERN. C'était apparemment le panneau d'entrée d'un village; la trouvaille nous remplit d'excitation et fébrilement, nous nous mîmes à chercher autour de nous d'autres vestiges de ce monde lointain.

Deux cent mètres plus loin , nous bûtâmes sur un muret, effondré par endroits et en partie dissimulé par les arbres et les ronces qui avaient poussé entre ses pierres. En le longeant nous trouvâmes l'entrée, il y avait même encore les restes d'une grille rouillée; Il fallut du temps pour couper les broussailles qui nous empêchaient de pénétrer à l'intérieur de l'enclos. kevin maniait toujours la serpe mais nous nous y mîmes tous  ( nous avions pensé à prendre des gants) et nous étions si enthousiastes, que nous ne sentions pas les épines qui s'enfonçaient dans nos doigts. C'est john qui fit la première trouvaille:

-Hé les gars! Je crois qu'on est dans un cimetière, venez voir.

Il avait dégagé une dalle de pierre sur laquelle reposait une croix brisée.

-Il y a quelque chose d'écrit. Aidez moi à enlever la croix pour qu'on puisse lire.

La croix dégagée , la pierre nettoyée , l'inscription était très lisible:

            Françoise Bizien

            Née le 9 avril 2010

            Décédée le 30 décembre 2085

-C'est écrit en français , dit Ingrid

Nous comprenions un peu le français, chaque ancien pays avait la possibilité d'enseigner sa langue aux enfants. Nous avions donc eu quelques cours de français durant notre scolarité mais nous parlions tous l'anglais comme tous les habitants de la planète.

-C'est dingue quand même! la tombe d'une personne qui a vécu il y a 900 ans! s'exclama Kevin.

- Et qui a été enterrée, ajouta Ingrid.

Depuis logtemps , les gens n'étaient plus enterrés mais incinérés car dans les mégapoles , il n'y avait pas de place pour les cimetieres.

-Cherchons encore , proposa John.

Nous nous dispersâmes dans l'enclos arrachant le lierre et les ronces qui dissimulaient les tombes. Soudain Ingrid nous appela d'une voix excitée:

- Venez vite , j'ai trouvé les ancêtres de Jack!

Nous nous précipitâmes dans sa direction. Elle avait dégagé une dalle surmontée à son extrémité par une pierre verticale qui tenait encore miraculeusement. Deux noms y étaient inscrits:

                  Pierre Hascoet

                  1940-2012

                  Monique Hascoet, son épouse

                   1950-2020

La dalle était encore encombrée de terre et de feuilles mortes, une fois nettoyée, un autre nom apparut:

                  Erwan Hascoet

                  Skrivagner ha yezhour

                  Labouret en deus evit brudan sevenadur breizh

-Qu'est-ce que ça veut dire ? Ce n'est pas du français, dit Ingrid;

-Ca doit être du breton , une vieille langue celtique, mes parents m'ont dit que notre nom venait de là, repris-je.

J'étais un peu secoué : le hasard m'avait mis en présence de traces de mes ancêtres et moi qui m'étais toujours tourné vers l'avenir plutôt que vers le passé , j'en étais ébranlé. Je butais sur ces mots que je ne comprenais pas alors que mon nom me liait à eux par dessus les années. Kevin me ramena à la réalité:

-C'est pas tout ça mais il est déjà 4h du matin. Il faudrait rentrer. Je propose qu'on revienne demain soir avec des appareils photos.

La journée du lendemain nous parut interminable.Il ne faisait pas très beau. Délaissant le tennis et la piscine , nous passâmes la journée à discuter dans ma chambre. Dès que la nuit tomba , nous reprîmes le chemin du village perdu. Nous dégageâmes d'autres tombes mais celle d'Erwann Hascoet était la seule à porter une inscription en breton.

Le jour du départ arriva très vite , je n'en étais pas mécontent , il me tardait de chercher des renseignements sur cette langue qui m'intriguait mais les ordinateurs ne m'apprirent rien à son sujet. Il me fallut aller à Londres où une vieille bibliothèque spécialisée dans les langues oubliées me permit enfin d'obtenir un dictionnaire anglais-breton et un manuel d'apprentissage. Je pus assez vite traduire l'inscription de la tombe.

                     Erwann Hascoet

                     Ecrivain et linguiste

                     Il a oeuvré pour le rayonnement de la culture bretonne.

Je me lançai alors avec acharnement dans l'étude de la langue , aidée en cela par Ingrid qui partageait désormais ma vie . Nous avions tous les deux commencé des études d'ingénieur mais , au grand désespoir de nos parents, nous les abandonnâmes pour prendre un quelconque travail alimentaire qui nous permettait de poursuivre dans la voie que nous avions choisie: la connaissance du breton et de la culture bretonne.

Nous eûmes des enfants que nous éduquâmes en breton malgré les vives 'critiques de notre entourage.Quelques années plus tard , j'écrivis un livre "De l'importance de connaître les langues de nos ancêtres" Il fut interdit par la censure mais il circulait sous le manteau et j'eus bientôt des messages de gens à travers le monde qui avaient renoué avec le chinois , le russe, l'arabe et même des langues très minoritaires comme celle des Indiens d'Amazonie. Ce mouvement prit une telle ampleur qu'il se transforma en parti politique. Aux dernières élections nous avons gagné un tiers de la chambre mondiale des députés et j'ai moi même été élu. Mais je pense que je ne postulerai pas pour un autre mandat. J'ai aujourd'hui 40ans, d'autres peuvent prendre ma place, moi je veux consacrer le temps qui me reste à écrire dans ma langue , un oeuvre qui ira s'ajouter à la riche histoire de la culture bretonne.

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