Monstre

enzogrimaldi7

Hommage à Marcel Moreau (1933/2020). Il était l'écriture. https://www.lemonde.fr/livres/article/2005/11/03/l-ecriture-a-bras-le-corps_705962_3260.html

J'ai lu ton texte dense et expansif. Il est de la meilleure verve dans le domaine des extractions de moelle. Marcel Moreau à F. 08/08/2007


 Il est bon de suivre les pas de Marcel Moreau. Dans Amours à en mourir, il est épicurien, à la recherche de la folfemme. Il est aussi heureux de parcourir Sacre de la Femme car il nous apprend bien des choses, en confortent d'autres et remue le couteau dans la plaie. Dans L'ivre Livre, l'amour et l'écriture paraissent indissociables: un artiste sans femme est comme une plume sans encre, un bateau sans ancre.


Je suis Moreau pleinement dans presque toutes ses assertions, il est précieux de le lire, il dit si bien ce que nous pensons maladroitement. Sans aucun doute il aime la Femme, sous toutes ses formes. Chaque expérience compte, nous n'avons qu'une vie et il y a tant à adorer dans la féminité même imparfaite.


Comme Beethoven, il faut aimer entièrement ou pas du tout. Les compromis, les intermédiaires, les ersatz, les à peu près, les approximations, les mieux que rien, tous ces plans nauséabonds sont à oublier.Je la trouverai ou je crèverai seul.


Bien que son surnom soit Chimère, celle qui a quelque chose de plus est seule digne de tout recevoir de nous. Elle est ce Graal qui nous fuit, un témoin qu'elles se refilent de l'une à l'autre sans qu'il nous soit possible d'en saisir le moment. La quête de Chimère demande patience et une qualité que notre ego refuse toujours: savoir perdre. Chimère est une redoutable partenaire, mais je ne veux en connaître d'autres car elle seule sait divinement renvoyer la balle, à quoi bon s'escrimer avec celles qui mettent tout dehors?


Dans mes rêves les plus fous qui parfois deviennent réalité, Chimère a pour moi les yeux de Chimène. Sa beauté ne suffit pas. Chimère se doit de ne point redouter l'avenir pourtant bien sombre, brûler de passion au présent et connaître quelques classiques. Elle est romanesque pour son âme de romanichelle, son allure de romaine et son amour pour le roman.


Elle sait se taire à point nommé et son obsession est de t'en mettre plein la gueule parce qu'elle t'aime. Elle ne se lassera pas de toi car tu ne la laisseras pas se lasser d'elle. Elle sait, après le corps à corps, quand les esprits se soudent, que l'amour c'est cet espace temps où deux êtres ne veulent qu'une seule et même chose aussi fort : être unis. Non car le moment est venu d'avoir du sexe ou de rompre avec la solitude, mais parce qu'ils se sont enfin trouvés après s'être longtemps cherchés. Parce qu'ils partagent de profonds sentiments basés sur de profondes croyances, ils se sont abandonnés chassant à tout jamais de leurs cauchemars ceux qui les désespèrent dans leur approche amoureuse, faute d'ambition et de passion.


Comme l'a dit Paul Nizan dans La Conspiration, l'amour est une suspension d'ego où l'homme et la femme échappent, le temps d'un éclair, à eux-mêmes. On cesse enfin de négocier et l'on se met à échanger. Mais il y a danger : certaines personnes s'éclipsent quand on commence à tout donner. Elles génèrent des anticorps à l'amour. Je suis de ceux qui en propagent les cellules à l'infini.


Chimère a toujours été rare. Elle est aujourd'hui menacée d'extinction car nous n'avons jamais été aussi bas dans l'histoire de l'humanité. En effet il y a de quoi perdre la foi en bon nombre de nos contemporaines lobotomisées et vulgarisées par la société de consommation. Le système dans lequel nous vivons tue dans l'œuf toutes les George Sand, Alexandra Pizarnik et autre Anais Nin. Alors que sous le système nazi elles auraient été exécutées façon Rosa Luxemburg. Mais quel est le pire: être anéantie avant d'exister ou après avoir vécu et créé des émules voire des émeutes ?


Dans les années 40 on savait identifier l'ennemi et on crevait de faim et de maladie aujourd'hui bénigne. De nos jours ces fléaux disparaissent, mais ceux qui ont une âme d'artiste ne s'y trompent pas: le mal est pernicieux car a priori inexistant. Il est fils ou petit fils de collaborateur. Il a des faux airs de manager dont il trahit la profession et auxquels les femmes ne donnent plus le bon dieu sans confession mais leur cul sans concession. Il est fermé à toute culture digne de ce nom.


En Angleterre, même l'Ecole est une entreprise. Dans cet invraisemblable fatras de lubies, l'invisibilité de l'ennemi pourtant bien présent ne donne aucune chance au Résistant: il est irrémédiablement nié alors que naguère il était héros sous l'Occupation. Ici il ne s'agit pas de revenir en arrière mais de questionner le bien fondé de ce nouveau régime ultralibéraliste.


Il y a plusieurs façons de tuer un artiste, la pire n'est pas tant, finalement, de l'assassiner mais de l'IGNORER, de l'écarter. Je préfère une brève vie de souffrance mais de passion comme Modigliani sans renoncer à mes idées quitte à être isolé plutôt que rester dans l'erreur et vivre 100 ans devant la télévision.


Tout cela Moreau l'a déjà condamné il y a bien longtemps dans Monstre, expliquant clairement que le salut est en nous. Un puissant pamphlet qui aurait dû contrecarrer les projets des yuppies dans les années 80 mais qui a fini aux oubliettes sous le rouleau compresseur des années 90. J'étais alors étudiant, parmi 20 000 autres, à l'université dite d'humanité, et je protestais avec mes amis philosophes qui devaient concourir pour 27 misérables postes au capés.


Les grèves n'y changèrent rien. L'Etat avait de toute façon gagné depuis longtemps en construisant la Faculté de Lettres dans la douce Aix en Provence, à l'écart de la sulfureuse Marseille. Nous n'avions aucun avenir. Nous étions mon(s)trés du doigt pour être des sections non productives. Nous aurions dû tous nous suicider collectivement, cela aurait taché de sang leur non sens.


J'ai eu l'instinct de survie. Grâce aux admirables écrits de Moreau dont Monstre que j'ai exhumé, plus d'autres poètes, peintres, musiciens et cinéastes grandioses, j'ai découvert ma destinée qui est simplement celle d'un homme qui veut dire haut et fort à ses contemporains qu'il est temps de grandir et d'en finir avec cet innommable et puéril mensonge dans lequel l'humanité a décidé de se perdre et qui nous fait donc agir en dépit du bon sens.


Depuis que l'homme s'est défait de sa condition d'animal il est entré dans la fiction, cessant de vivre instinctivement, massacrant toute civilisation rattachée à la terre. Dès lors, tout ce qu'il réalise est préalablement cogité et aujourd'hui ultra planifié. Je pense donc je suis, mais plus je pense et moins je suis. Une pensée n'est autre que concept. La confection d'une table qui nous paraît si réelle est d'abord fruit de notre imagination, une fiction. Elle sera finalement ronde et bleue mais aurait très bien pu être carrée et verte. Magritte dans son tableau Ceci n'est pas une Pipe a essayé de l'expliquer.


En vain. Personne n'a compris que ce que nous tenons pour prodige, l'Intelligence, n'est sans doute qu'un accident qui a plongé cet animal, qui fut Primate et qui est aujourd'hui homme, dans la FICTION. Les idées sont devenues des limites pour le commun des mortels. Les politiciens, les criminels sans vergogne et les dictateurs ont eux saisi que nos institutions sont des concepts aussi faciles à franchir que des haies pour l'athlète. Car l'homme moderne qui réussit dans ce grand n'importe quoi est un athlète rompu à toutes les crapuleries.


Quelques gestes instinctifs qui sauvent ou qui tuent nous rattachent encore à la seule réalité qui tienne, celle de la nature, car tout acte prémédité n'est pas naturel. On sanctionne d'ailleurs plus lourdement les crimes avec préméditation. Tout ce que nous construisons et détruisons depuis des siècles pour oublier qui nous sommes n'est pas à la gloire de l'homme mais au détriment de son essence. Et à ceux qui prétendent que la jungle est plus hostile que la ville je demanderais de m'expliquer pourquoi, dans cet admirable pays dit civilisé qu'est la France, le taux des suicides est le plus élevé en Europe ?


Y compris l'acte d'amour ne nous relie plus à la réalité car défiguré par la pornographie. Pour beaucoup, la relation n'est qu'un prétexte pour tromper la solitude, après tout, les loups vivent bien en bande et on a vu des chiens s'enculer. On a aussi vu un coq pondre un œuf, lequel a fini brûlé en place publique, comme Giordano Bruno, parce que différent.


Trop de gens se méprisent et se méprennent faisant de la relation amoureuse une grotesque mascarade: ils n'ont pas réalisé que c'est, sans aucun doute, la seule raison de s'aventurer dans cette fiction. Oui comme Moreau et quelques autres lucides âmes perdues, nous avons compris que l'homme a accepté de se vendre au diable mais dans un seul but que ce dernier n'avait pas prévu et qui le condamne à perpétuité aux enfers : faire de l'amour une œuvre d'art.


Quant à Dieu, si on ne l'a jamais vu, c'est qu'il a trouvé sa déesse, la belle Lurette. On entendra à nouveau parler de lui lorsqu'elle ira se frotter à Satan comme il y a 2000 ans. J'espère que cette fois il nous enverra sa fille, Chimère des Chimères. Si c'est le cas, je vous supplie seigneur de me donner un rôle dans ce nouveau film. Et je prie pour que le réalisateur ne soit personne d'autre que Sergio Leone.


Moins rose est l'avenir des collaborateurs et autres censeurs. Ils entendront d'abord sonner le glas du règne de la connerie. Puis viendra le jour du jugement dernier qui verra le retour des monstres sacrés, avec à leur tête Andrei Rublev peintre de l'impossible, pour les dévaster en même temps qu'ils délivreront l'homme de ses entraves faisant enfin de lui un être humain libre.


Je voulais davantage parler de la Femme. Je n'ai pu que m'égarer. Je voudrais tant convaincre le monde de laisser les roses éclore sauvagement car ils n'en poussent plus que des artificielles ou des maladives. A nous d'en cultiver une nouvelle variété…les monstresses.

                                                                                   2007

https://m.youtube.com/watch?v=rOW5uUq4hcI

  • De l'importance de la rose de Ronsard à Saint Exupéry. Pourvu que cela ne se termine pas comme dans le conte d'Oscar Wilde :"Le rossignol et la rose". Merci pour votre texte.

    · Il y a environ 3 ans ·
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    sophiea

    • Merci à vous d'avoir affronté celui là;

      · Il y a environ 3 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • superbe texte et Moreau, une lacune qu'il faut que je me dépêche de combler !! Merci !

    · Il y a environ 4 ans ·
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    Susanne Derève

    • Merci de qualifier de superbe ces élucubrations J'ai néanmoins voulu dénoncer haut et fort, dans un texte effrayant, certaines tyrannies modernes qui passent presque inaperçues tant nous les avons gobées. Quant à Moreau oui, lisez le, voilà de la vraie littérature sans concession. Je remets ici, le lien déjà mis en tête de ce texte, qui est un article, celui ci pour le coup vraiment superbe, qui résume à merveille le grand écrivain qu'était Marcel.
      http://remue.net/spip.php?article1128

      · Il y a environ 4 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • merci !

      · Il y a environ 4 ans ·
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      Susanne Derève

  • Je prends dans ce texte la métaphore de la fusion entre l'homme et la femme, spirituellement unies en comparaison avec celle de l'humanité toute entière en communion avec son environnement et la nature. Autrement dit, une utopie :o]
    Superbe texte !

    · Il y a environ 4 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Voilà qui est superbement résumé. Merci pour votre enthousiasme.

      · Il y a environ 4 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Bravo.
    Excellent

    · Il y a environ 4 ans ·
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    li-belle-lule

    • Très heureux que cet hommage vous ait touchée. Merci.

      · Il y a environ 4 ans ·
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      enzogrimaldi7

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