Murmures au vent

hel

bout de bouts à bout des autres...

Antoine ressurgit comme une vague. Grande qui emporte. Grande qui inquiète.

Je résiste. À peine, avec mal. Je tente entre deux déferlantes de garder la tête au-dessus.

Avant la vague, l'absence fait une pointe à me sortir les cris de la bouche.

Des cris pour rien, des cris au silence qui se perdent loin, qui peut-être voyagent jusqu'à ce qu'Antoine les entende. Mais je ne sais pas.

Dans ma tête j'écris un long poème qui s'appelle Antoine, qui est Antoine, qui est murmure, qui est vent.

Je crois que je mens. Je crois que je mens, que je maquille, que je façonne que je déguise, mais pourtant c'est toujours le ventre qui parle.

Je tisse ma fable, je la puise au cœur du manque, je ronge les bords, creuse le trou, comme ceux qui se griffent, se taillent et se coupent, qui s'écorchent la peau et s'abîment à l'endroit de leurs brûlures. Il me semble au-delà du geste, au-delà de sa naissance, une soif pareille qui me chauffe, me brûle le corps, la tête et les sens. Un grand bouillonnement et que je bâillonne, moi, par des mots, quand d'autres s'abandonnent à la douleur et laissent tout couler, dès fois que le vide coule avec, que la douleur s'estompe. Je n'ai pas le courage de cet abandon, et c'est peut-être ce qui me garde et me préserve un peu, malgré ce qui me ronge en dedans pour y creuser ses trous. Ou peut-être encore que j'abandonne tout aux mots.

Et parfois, dans ma tête je fais silence. Parfois j'oublie, je me résous, et je n'ai presque plus Antoine dans la peau, presque.

Il y a des moments, avant que les cris me sortent violemment de la bouche, où je trompe le vide, où j'occupe mes mains qui occupent ma tête tandis que la vie s'écoule, que le printemps s'éloigne, que l'été brûle, que les feuilles tombent, et que l'hiver revient pour que je m'y niche. Je m'endors là, dans le confort du silence et de la mort des choses, et il me semble revenir à moi, me souvenir que je suis, me rappeler que j'existe en-dehors de l'attente. Ce genre de choses vitales que d'autres n'oublient jamais, alors je me calque sur les autres, les grands, les plus sages, les raisonnables. Il me semble retrouver la bonne mesure, essayer en tout cas, et je m'y emploie de toutes mes forces. Me raccrocher aux choses du quotidien, m'y abrutir, m'y fixer comme l'on compte dans sa tête les pas d'une valse lente, sans trébucher ni faillir, tandis que les chiffres tournent et dansent, et qu'il ne s'agit que de calcul, que de maitrise.

Les jolies œillères, les biens commodes. Les petits mouchoirs bien blancs tout proprets sur les saletés que je me traine.

Je pardonne Madame Simone, je lui sème des mercis, des oh lala, mais oui, mais quelle folie. Je reviens à la raison au piolet, avec les mots de Madame Simone que j'accroche par-dessus mon ventre, que je m'agrippe et ficelle. Fini les folies, plus jamais que je me dis, je me répète à me convaincre et j'occupe mes mains qui occupent ma tête, et qui laissent filer les jours encore et qui essoufflent le songe, et le piétine.

Pourtant soudain je crie à nouveau. Quelque chose fait tout craquer d'un coup. Quelque chose sur lequel les mots se bousculent sans trouver le bon, le juste. Le cri remonte d'un souvenir, d'une ombre de rien qui mange les coutures, gomme les mots de raison.

Voilà ce qui se murmure encore une fois : ce qui se loge dans le ventre jamais ne se gomme complètement. J'ai la mémoire d'Antoine gravée au corps.

Il y a quelque chose qui me dit qu'il ne faudrait écouter que cette voix, la voix du ventre et des choses qui s'y passent, mais quelle trouille, et comment savoir si ce n'est pas tout le contraire qu'il faudrait faire. Et tout ce qui est Antoine est frisson, et tout ce qui est frisson me ramène au doute et à l'ignorance.

Il est frisson comme vague, et puis vent, et puis brume. Il est tempête.

Quand il revient, je me tiens dans un coin, et je vois là-bas derrière le regard de Madame Simone en reflet du mien, qui interroge et sonde, qui en sourire accueille et me cherche par-dessus, je vois la faiblesse. Je regarde mon verre qu'agrippent mes mains, blanches à serrer fort, blanches que je retiens pour ne pas casser le verre. Des voix de femmes autour comme des parfums auxquels s'accrocher, comme l'ombre de la mère qui ne peut pas être le regard trop droit de Madame Simone qui crie le danger, qui est un autre trou dans le ventre, juste à côté, une empreinte estropiée. Bien sûr je baisse les yeux, ne pas montrer, quand j'ai envie de crier autant que de courir vers Antoine. Le temps que je me décide, que je choisisse les mots, l'attitude, la brume déjà s'évapore.

Parce qu'Antoine est une brume qui avale tout et que quand elle se retire tout semble nu, dépouillé et pâle.

Mais la première fois je ne sais pas. Ou plutôt j'ignore, car je suis forte, car je suis grande, car j'en suis déjà revenue, que je peux m'en défaire, ignorer, mimer le contraire. Mais la première fois je retourne en idiotie le feu aux joues, la bouche en cœur, je prends un bain de chimères et j'ignore la vague derrière. La première fois la présence d'Antoine me rend légère.

La première fois c'est juste de la joie.

  • J'ai particulièrement aimé l'image récurrente des mains pour extérioriser la tension, c'est tellement réaliste…
    "…et j'occupe mes mains qui occupent ma tête…"

    · Il y a presque 9 ans ·
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    nyckie-alause

    • c'est ce que je fais moi donc je m'en sers, mais oui il s'agit pas que se regarder mais d'arriver à le retranscrire, et là ça dit bien je trouve aussi. Merci Nyckie

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

  • Ce bout de bouts nous apporte encore plus d'émotions que les deux volets précédents, la tension monte ...le point de bascule entre la raison et l'envie de se laisser aller, est très, très proche... tu retranscris admirablement cette valse hésitation... bravo Mamz' Hel et tu as aussi l'art de faire durer le suspens ... Superbe en tous cas

    · Il y a presque 9 ans ·
    W

    marielesmots

    • tu mets très bien les mots sur ce que je tente de faire passer, je crois que c'est ça, Est-ce que ça va basculer ça par contre je ne sais pas, le suspens se fait tout seul, merci en tout cas Marie

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

  • On s'accroche au doux roulis du quotidien et puis la vague puissante, intraitable vous reprend et cette douleur qui revient ... Pourtant laisser aller ses larmes de temps en temps, ça fait du bien. Très beau texte hel !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci Martine

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

  • franchement bravo ! je trouve que c'est un de tes tous meilleurs textes... très inspiré !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Dancing renoir

    loinducoeur

    • oh je suis contente que tu l'ai ressenti comme ça.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

  • C'est fascinant, sublime, merveilleux, inspiré, lyrique, musical, triste, et plein de vagues, d'échos et de vent.

    · Il y a presque 9 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

    • Merci Elisabetha, c'est un super chouette commentaire, je suis ravie s'il y a tout ça.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

    • oh oui! totalement ressenti.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Bbjeune021redimensionne

      elisabetha

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