New deal

On dit qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Ça me rassure. Il y a pourtant des tas de choses sur lesquelles mon curseur reste désespérément bloqué.  Mon humour n'a pas évolué depuis au moins cinq décades. À ce propos, on pourrait saluer ma constante N'ai-je pas du mérite à persévérer malgré les quolibets ? Remarquez, je pense que ça vaut mieux que l'indifférence.

Il y a cependant un trait de caractère sur lequel j'ai énormément travaillé car il m'handicapait dans le cadre professionnel, mon lunatisme. Une tradition de la lignée masculine paraît-il. Bien que je ne me sois jamais physiquement transformé en loup-garou les soirs de pleine lune (je nuancerai pour me définir comme un chien fou quand la situation  se présente), je sentais en moi une incompressible envie de faire la tronche. Je me suis donc soigné et je peux vous assurer que dorénavant, je ne suis plus avare d'être sympathique dès que se présente la vieille lune. Avec l'âge, je suis devenu moins difficile et plus pragmatique.

J'étais donc incapable de me contrôler. Je sentais en moi   monter le vent mauvais. Mes mâchoires se crispaient et le cryptolecte gagnait du terrain. Pour mes interlocuteurs qui s'en seraient donné la peine, il était ainsi  possible de détecter des signes avant-coureurs, tout comme le silence assourdissant qui précède l'arrivée d'un tsunami. Quant à moi, je me sentais comme un sous-marinier qui s'apprêterait à une plongée dans les abîmes de mon mutisme. Je savais que je n'en ressortirais pas indemne. À chaque crise, mon capital sympathie en pâtissait vis-à-vis de mon entourage pour se réduire comme peau de chagrin.

On ne peut pas dire que je devenais désagréable ou d'humeur changeante qui, dans ce cas, s'apparenterait sans doute à une bipolarité. Je me transformais tout simplement en un non communicant. Une sorte de brouillard cérébral envahissait mes pensées, tétanisant du même coup mes cordes vocales. Remarquez que j'ai depuis rattrapé le retard de leur sous-utilisation grâce aux karaokés philippins.

La durée de la crise était variable mais il était rare qu'elle dépasse les cinq ou six jours, du moins en apparence. En effet,  je sentais en moi l'éclaircie. Quand notre satellite se faisait gibbeux, je sortais également bosselé du combat intérieur que j'avais mené pour essayer de vaincre mon aphasie.

J'attaquais alors la deuxième phase, la plus pénible en termes relationnels. Je réalisais pleinement le comportement des jours précédents, l'incompréhension et les interrogations qu'il avait pu susciter et le malaise occasionné. Le plus délicat était donc de remonter la pente. Il n'était pas facile de retrouver la situation d'avant crise. Qu'auraient pensé mes acolytes si soudainement j'étais passé d'une phase quasi-autistique à une blague bien décalée dont j'ai le secret.

Ainsi, tout comme un plongeur remontant des profondeurs, j'agissais en pallier de recompression pour regagner un niveau de civilités acceptables. Je reprenais petitement, d'abord par du non verbal, me contentant de signes de tête avant que le premier oui (le non viendrait plus tard, je ne me sentais pas encore en état de le rendre légitime) ne sorte enfin sur le bout de mes lèvres.

Il me faudrait encore prendre sur moi pour qu'enfin je me reconstruise socialement et que mon autre personnalité, celle d'un garçon gentil et attachant ne fasse un peu oublié la face cachée de ma personnalité.

Un jour, je me suis pris en charge. Je n'en pouvais plus de me sentir comme un spectateur désabusé. J'ai donc utilisé la méthode des judokas qui consiste à utiliser l'énergie cinétique de leur adversaire à leur avantage. J'ai transcendé mon lunatisme pour me rendre un peu plus acide et cynique.