NUAGES NOIRS
mirellehdb
Nuages Noirs
Enfin j'y suis arrivée, derrière le rideau de cette scène mythique, alors que le trac me tord la rate. Mon premier concert solo, un répertoire inédit que j'ai eu le temps de composer et de paufiner derrière les barreaux. Des chansons qui parlent de cette terre de liberté, de la possibilité d'arriver tout en haut, en ayant commencé au plus bas, de ces immeubles qui caressent le ciel, de ces vastes plaines qui sentent bon le foin coupé, le pop corn ou le tabac et de ces étoiles filantes sur le macadam de la Cité des Anges.
Les applaudissements et les cris enthousiastes des spectateurs me poussent sur la scène. La lumière s'éteint dans la salle. J'ai la chair de poule alors que je laisse échapper les premières notes. Un frisson parcours la salle, envahie par l'émotion. Enfin je peux déployer mes ailes.
J'ai rêvé de cet instant si souvent. M'imaginer en haut de l'affiche m'a aidée à m'évader, lorsque j'étais à la merci de mon geôlier. Et même si j'avais un certain faible pour ses yeux d'un bleu aussi pur que le Lac Tahoe, je détestais ces rares moments où il me lançait à peine de quoi picorer ou lorsqu'il m'exhibait, fier comme un coq, à ses amis.
Le sommeil est mon seul allié, alors que je suis enfermée dans cette cage à lapin, subissant la brûlure du soleil, les gifles du vent et les coups de la grêle.
Le rêve me permet de me lancer sur les pentes enneigées du Grand Teton, de plonger l'été dans la fraîcheur de la Fox River et d'aller engloutir des hots dogs sous les ponts de Chicago. J'ai chanté des nuits entières sous la pluie à Broadway, j'ai fumé des pétards dans les Bayous de la Louisiane, j'ai invoqué les Dieux pour que cesse mon cauchemar lors de pow-wow à Monument Valley, dans ce magnifique état qu'est l'Arizona.
Moi, Câline F. mal nourrie, emprisonnée. J'ai un nom de poule et j'en suis une. J'ai été vendue par le propriétaire de mon père qui s'est cru arrivé lorsqu'il est passé à la télé, dans une émission stupide qui parle de bonheur et de pré. Il est aussi bête que ces pigeons qui viennent me narguer tôt le matin, en me faisant remarquer que ce n'est pas dans ma nature de chanter.
Je sens mes dernières heures arriver et j'attends la mort comme une libération. Alors, j'en aurais fini du bruit permanent de la ville, de la chaleur et de la crasse du bitume, de ces pitoyables élans patriotiques les soirs de match, de l'odeur nauséabonde de mon taudis car mon tortionnaire préfère se farcir la poule du 3 ème que de nettoyer ma cage.
Le ciel s'habille de nuages noirs, ça s'engueule au balcon. Le tonnerre me glace le sang et la foudre, telle la délivrance que j'attendais s'abat sur moi. Cette existence de misère me quitte enfin. Je garde mon dernier souffle pour imaginer ma prochaine vie. J'ai un seul vœu, ne pas me réincarner en poule de luxe !
La preuve en quelques jolis mots que l'on n'emprisonne pas les rêves. Et que grâce à l'écriture on peut les partager.
· Il y a environ 10 ans ·Chris Toffans
merci pour ce joli commentaire :) Et continuons de rêver grâce à l'écriture
· Il y a environ 10 ans ·mirellehdb
Un très beau texte, émouvant, riche en voyage et en paysages, profond et sensible, merci
· Il y a plus de 10 ans ·bleuterre
merci à vous :)
· Il y a plus de 10 ans ·mirellehdb