Nuit d'un jour
Robert Arnaud Gauvain
Nuit d’ un jour
Provisoirement, les réveils sont bannis de ma vie, jusqu’à la reprise de ma passionnante activité. Qu’il est dommage de ne pas pouvoir les détruire totalement et pour toujours... Les réveils sont des monstres métalliques, d’inhumaines mécaniques réglées, imperturbables, qui vous tirent douloureusement chaque matin de votre douce torpeur en une sonnerie stridente afin de vous replonger dans une réalité où on est loin d’être le puissant suzerain de notre fief onirique. Encore que les plus insidieuses de ces méchantes machines, ne sont pas celles qui hurlent mais celles qui susurrent une mélopée de votre choix, vous gâchant forcément le plaisir de l’écouter puisqu’elle est induite par l’heure fatidique. A moins de changer constamment la musique qui vous réveille, vous en arrivez fatalement à la détester par un réflexe pavlovien. Le complot des réveils est presque aussi terrible que celui des radios FM, des survêtements, ou de la restauration rapide. Mon royaume ou au moins mon lit pour un marteau.
Dans ce début de nuitée, pour éviter de voir mon âme comme dans un parfait miroir, je choisis de la voir dans le petit écran. La boite à image, sur son trône, répand ses lumières sous prétexte de nous informer, déversant son flot de malheurs et de souffrance, nous vendant les dernières horreurs ou menaces à la mode. Comme tout le monde, je me sens obligé d’ être très peiné et très inquiet. D’ ailleurs, après cette accumulation objective de misères et dangers terribles, je suis bien docilement décidé à voter là où on me dit de le faire, j’en profite, pour ne par oublier, de noter cet engagement moral et républicain sur un papier, plutôt un papelard, enfin un torchon, bref un torche – cul.
Au rythme lent des minutes digitales de cette saloperie de réveil, le soir réclamé par la douleur descend, toujours ponctuel, prévisible, teintant le ciel et les maisons de son atmosphère particulière, à la fois rassurante et inquiétante. Le soir est un lâche, une lavette, il est assis sur son séant rougeoyant entre les deux chaises du jour et de la nuit. Depuis des milliards d’ années il n’ a jamais su se décider et rejoindre l’ un des deux camps antagonistes, jour ou nuit, bien ou mal, yin ou yang, fromage ou dessert. Ses hésitations sont celles d’ un couard qui n’ a pas les tripes pour prendre parti dans la bataille entre les ténèbres et la lumière. Il m’ attire et me répugne: il est tellement humain.
L’air de la rue reste chaud. Le long des trottoirs, tournant le dos aux fenêtres des immeubles, les soleils artificiels balisent l’obscurité. Leurs échos, tours aux colonnes illuminées, se raréfient. La nuit, installée, calme le jeu pipé de la cité, remettant les pendules à l’heure et les compteurs à zéro. Il est temps de se coucher.
Je m’aperçois avec regret que j’ai bien sûr oublié le livre dans la voiture, c’est dommage, j’en avais une certaine envie avant de m’endormir, mais la perspective d’avoir à se rhabiller et ressortir me coupe mon élan littéraire. Le glissement au fond du gouffre se fera en musique cette nuit. Judicieusement programmé, le disque entame sa ronde, envahissant d’abord la pièce puis mon esprit par ses résonances si familières, les notes et les accords s’infiltrent, charmant une âme adulte qui a besoin de berceuses enfantines, apportant enfin la tranquillité. Je commence à sombrer, vaincu.
Les fées murmurent à mon oreille que demain sera encore un grand jour passionnant, avec tout plein de choses pour lesquelles s’enthousiasmer. Demain, ce rivage aux contours encore vagues, ce monstre à peine esquissé, se dévoilera et mentira en donnant l’illusion qu’il est différent de son père. Demain, le monde.
J’ai des ailes, je me cambre et prends mon envol dans l’ obscur et pesant royaume de la nuit, je plane dans la chaleur arrogante du ciel qui a retrouvé son royaume d’ombre sur lequel il ne tient qu’à moi de régner. Je sombre dans les nuées, dans le noir profond, dans mon noir profond. Je suis chevalier de brumes, de ténèbres, de lumières. Et je me sens enfin totalement vivant.
Toutes les forces élémentaires de la nature, toujours éveillées dans mon corps endormi, prennent source dans mes entrailles; le vent, l’eau, le feu, la terre sont mes enfants.
Gagnant toujours plus de hauteur, la planète m'apparaît comme une minuscule caillasse, que par bonté d’âme, je décide provisoirement d’épargner. Je me trouve enfin face aux cieux grandioses, grandiose. Les plus beaux soleils aux couleurs inconnues de l'œil humain dardent leurs rayons incandescents sur mon armure puis la pénètrent, célébrant cette union astrale. Je franchis les barrières d’étoiles immortelles et pourtant agonisantes, je me fonds dans la moiteur lactée des plus lointaines voies spatiales aux planètes insoupçonnées et m’y introduis. Je rentre au plus profond de l’espace, au revoir planète bleue, adieu mauvais rêve. Je bats des ailes et je crée des nouveaux courants stellaires, je pourfends des galaxies. De ces éclairs, de cette intromission, naissent les nouvelles frontières de cette voûte en continuelle expansion. Ces explosions cosmiques me purifient. Les étoiles, petits feux follets ballottés par ma rage, vomissent spasmodiquement des flammes étincelantes, crachent hystériquement de foudroyantes comètes. Je hurle et mon cri terrible résonne aux confins de l’Univers que je secoue de mon rire fantastique, mille fois infini, je suis un Géant, un Titan, un Atlas ravageant la voûte. J’ esquisse, efface, perfectionne, détruit, dans une super nova abominablement effrayante, je suis le seigneur du château, le maître du temps, des peuples et des planètes, jonglant affreusement avec ordre et chaos.
Craignez ma colère, astres orgueilleux, trous noirs sans fin, dimensions distordues, car je me mêle au néant, me fond avec lui, le maîtrise, le déchire, je suis un spectre horrifiant de pouvoir. Rien ne peut rivaliser avec moi, dans mes veines coule l’or en ébullition, mon cœur pompe la puissance, de mes pores s’échappe la lave en fusion. Ceignant Durandal, Excalibur ou Notung, je ne crains rien ni personne, je ne pense même plus, mon entité est abstraction et force, je me contente de conquérir par la violence et régner par la terreur.
Je suis tout puissant, je suis le héros triomphant, le bébé dans le monolithe, le champion éternel, je suis Zeus, Wotan, Anubis.
Vainqueur.
si bien parler de la nuit, des rêves et du réveil..c'est top!
· Il y a presque 14 ans ·sabsab
ton écriture est tres entrainante et je suis ravie de m'etre laisée emportée
· Il y a presque 14 ans ·la-louve
Merci Léo pour ce joli partage à ne rater sous aucun prétexte en effet. C'est tellement bon quelqu'un qui écrit divinement bien. Il y a de belles plumes dans le quartier WLW. On va se régaler les potes. Merci Robert. Merci beaucoup. A+
· Il y a presque 14 ans ·bibine-poivron
Bibine et Robert même combat? Ca c'est du compliment et pour l'un et pour l'autre!
· Il y a presque 14 ans ·Bravo Robert
pointedenis
Celà semble s'appeler la sagesse (politiquement incorrecte...) avec une poésie envieuse (envolée de l'âme, des astres...) crédible vis à vis de mes chouchoux poètes qui m'offrent leur bonté et leur beauté au quotidien (ils se reconnaîtront) !!! En bref, lisez, merci, et dites m'en des nouvelles....Coup de coeur bien sûr...
· Il y a presque 14 ans ·leo
Pour en revenir à mon ami du soir, il me fait penser à Sabine ou pour les intimes Bibine Poivron, au masculin !!! Moins drôle, plus grave (peut être comme le sont les mecs en génaral) Mais une gravité jubilatoire. pour vous dire...vous aimez Léo ? Vous adorerez Robert Arnaud Gaumin !!! Un recul et une froideur que je ne peux acquérir pour l'instant...
· Il y a presque 14 ans ·leo
Si j'ai fait un choix, lourd de conséquence il y a peu, de me passer de certains amis qui ne souhaitaient pas partager, pour avoir le temps d'aller à la ruée de nouveaux auteurs, et bien aujourd'hui j'en assume pleinement ma décision !!! Avec mes amis chers et tendres du profond de mon coeur (cf, mes amis) j'ai découvert depuis, Olsen 1840, Manou Damaye et Thierry Mary Charles...Je sais aujourd'hui que j'ai eu raison !!!
· Il y a presque 14 ans ·leo