NYC Vs les fantômes (3/5)

riatto

Chronique américaine / New York City

On commençait à s'agiter dans la grande salle. Les clients affluaient par petits groupes bruyants et rieurs. Une fois franchi le rideau de l'air climatisé, des filles apprivoisées se laissaient aller à danser en ondulant comme des méduses entre deux eaux. Accoudés au comptoir immense, leurs boyfriends les regardaient en payant les verres, un sourire aux lèvres et une carte gold à la main.

La fin d'après midi descendait sur le carrefour. Derrière la grande vitre, la promesse d'une nuit d'été interminable flottait dans l'air épais.

_ A la naissance on trie les nouveaux-nés...

_ Oh putain ! Tu m'as fait peur ! 

Louis s'était glissé jusque dans mon oreille sans faire de bruit. Perché sur un tabouret trop grand pour ses jambes, il s'était remis à me parler. Décidément, impossible de m'en défaire. Remarquez c'est toujours un peu le même problème avec les esprits, les fantômes - appelez-ça comme vous voulez ; ils se croient tout permis sous prétexte qu'ils ont fait le grand saut et pas nous ! Si on les semait pas un peu de temps en temps, ils nous suivraient jusqu'aux chiottes ces bestiaux-là.

_ ... On trie les nouveaux-nés en fonction de leur morphologie a continué Louis. Les plus petites têtes sont mises de côté. Ensuite on les attrape un par un et on les pend par les pieds à une de ces machines qui tournent... On les passe au chalumeau, oui comme des volailles si tu veux et puis on les trempe dans un bain d'hormones et de céréales concentrées... Une spécialité du pays ça...

J'observais le manège des poupées gonflées derrière le bar, si bien que j'écoutais plus Louis que d'une seule oreille, et encore. L'happy hour battait son plein, j'attaquais une autre bière mexicaine. Une sorte de pisse de chat citronnée mais tant pis. J'avais pas envie de mégoter là-dessus, je me sentais bien, léger et tout, je voulais juste suivre le courant et rester à les regarder. Les poupées, les danseuses, les boyfriends, les billets verts, la bière jaune, la musique stupide, tout me plaisait.

_ ... Quand ils sont aussi larges que hauts, que leurs cous ont totalement disparu, absorbés par la pyramide des muscles dorsaux et pectoraux, quand leurs oreilles ont suffisamment poussé en forme de radar anti- aérien, et quand enfin on est sûr que plus un seul poil ne poussera plus jamais sur leur torse de dindon froid, eh ben on en fait des barmans, c'est tout simple...

_ Hein ? Qu'est-ce que tu racontes encore ?

_ Oh mais on trouve aussi tout un tas d'autres usines dans les parages ! Comment tu crois qu'on fabrique les flics, les chauffeurs de taxi, les vendeurs de pizza... Et les new-yorkaises ? Tu te demandes pas comment que ça se fait qu'il en existe comme ça de toutes les couleurs et pour tous les goûts ? Si tu crois que je t'ai pas vu les reluquer pendant qu'on marchait, t'avais les yeux qui te sortaient de la figure ! Tous les parfums et toutes les tailles, oui Monsieur ! Seulement quand t'auras bien regardé, tu me demanderas quand même pourquoi elles sont toutes faites sur le même modèle, comme les casquettes... Allez ça suffit, vide ton verre et suis-moi, j'aime pas traîner ici... Ça me fout le cafard... Je me sens tellement loin...

_ Loin ? j'ai fait, loin de quoi ? Ici t'es au milieu de tout, comment tu peux te sentir loin alors que c'est ici qu'arrivent toutes les routes !?

Louis a soupiré en glissant du tabouret. Il a fermé son manteau gris jusqu'en haut, jusqu'au dernier bouton et sans me regarder il a lancé pour le parquet :

_ Loin d'où je viens... Loin de Rancy, va savoir... avec la pleurniche on n'a pas toujours besoin d'une raison, ça vous prend pour un rien et on se sent loin de quelque part..."

Là-dessus il a tourné les talons et il est sorti sur le trottoir, en traversant la vitrine. A le regarder m'attendre les yeux dans les chaussures, j'ai compris que j'avais pas le choix. J'ai tendu un billet froissé en direction des bouteilles. Une poupée est apparue, en glissant derrière le bar comme un mannequin sur des roulettes. Elle a attrapé le billet, m'a rendu un sourire parfait, est repartie servir ailleurs.

J'ai repassé le rideau rouge, un gorille m'a dit bonne soirée ; j'ai retrouvé le bitume mou et l'air brûlant de l'Avenue. Louis m'attendait sans bouger, je sentais bien que je l'avais remué, sans le faire exprès.

Et alors j'avais rien demandé ! Tout ce que je voulais c'était traîner le plus possible dans ce décor, et qu'on me laisse rêvasser en paix !

Lexington, Park, Madison... Entre la troisième et la cinquième, y'a pas une mais trois avenues, et la quatrième n'existe pas, je le sais parce que je l'ai cherchée partout comme un con, ha !
Et après on voudrait nous faire croire que cette ville est bien foutue ? A d'autres...

***

  • oh non raphaël, tu vas pas nous le faire rentrer dans une case notre Riatto ... on va pas le normaliser ! on va le laisser vivre et laisser courir sa plume , avec tous ses défauts (nombreux) qui sont son terreau et son style ...
    J'adore Laurent tes digressions décalées, tes coups d'oeils alentours et ton goût pour les villes qui ont des choses à raconter ... ça swingue, ça m'étonne et surtout ça me charme les neurones !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Img 5684

    woody

    • A mon humble niveau, j'ai plutôt tendance à être obsédé par l'action ( donc les verbes), suivant le conseil d'Ernest…
      Mais tous les conseils sont bons à entendre. La phrase nominale, je dis pourquoi pas !
      Merci Woody ( à chaque fois que je lis ton pseudo, je pense à Buzz l'éclair, on est peu de chose quand même )

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Lo new york

      riatto

    • J'adore aussi, vraiment ! Mais parfois, j'ai envie de prendre mon crayon ou ma gomme pour nettoyer un peu. Oh, trois fois rien, une mèche qui dépasse ... ça fait ton charme, certes, mais tu pourrais aussi fermer les guillemets, par exemple ! Toujours et d'abord penser au lecteur qui doit suivre ton cheminement. Je te dis ça parce que j'espère que tu nous emmènera encore souvent dans des villes aussi vivantes que décalées ...

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Sampan 92

      fuko-san

    • Merci Fuko. Pour cette chronique j'ai plus que jamais besoin de corriger et parfois de réécrire, tu as entièrement raison.
      J'ai volontairement choisi l'axe "dialogue" pour raconter cette histoire (contrairement à la précédente sur Miami, quasi-muette) mais je réalise l'ampleur de la tâche au fur et à mesure ! Un peu gourmand parfois je suis...

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Lo new york

      riatto

  • C'est pas amer, c'est acide ! Des dialogues qui picotent sévère. Tu devrais tenter plus de phrases nominales et plus de variations dans ta ponctuation hors-dialogue, ça irait bien à ton style.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Fb pic

    raphaeld

    • Bouge pas, faut que j'aille voir ce que c'est une phrase nominale ... hmm...

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Lo new york

      riatto

  • Je veux trouver cette quatrième avenue !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Yin   yang   2016

    Patrice Merelle

    • En réalité si on cherche bien... Mais c'est un secret, la suite bientôt ;-)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Lo new york

      riatto

  • Et ben... où vas-tu chercher tout ça ???? Chapeau !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    1

    blonde-thinking-on-sundays

    • Merci . Mais je n'invente rien, c'est vraiment comme ça ! ;-)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Lo new york

      riatto

    • ah ouais ... lol

      · Il y a plus de 10 ans ·
      1

      blonde-thinking-on-sundays

    • Ouais ! Tu m'accuserais pas de mentir des fois non ? mort de lol

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Lo new york

      riatto

    • Je vais googliser le truc des nouveaux-nés... juste pour être sûre ;)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      1

      blonde-thinking-on-sundays

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