Ode au point-virgule

Je dois vous faire un aveu : j'ai un vice particulier pour le point-virgule. Chaque fois que je le dessine sur mon cahier ou sur mon carnet et qu'il sépare deux mots, chaque fois que je le tape dans un e-mail, j'ai un moment d'attente, de goût, de frisson. C'est un quart de seconde ou je sens comme un élément de vie. Certains ne jurent que par le rire, d'autre par une flambée d'adrénaline ; moi c'est le point-virgule qui attise ma respiration.

Toi lecteur, qui es certainement écrivain, tu as sûrement un signe de ponctuation préféré.

Tu aimes peut-être la virgule, son choc dans la phrase qui fait écho à ton poumon qui déglutit des bulles d'air.

Tu idolâtres sans doute le point d'exclamation, qui fait hausser la voix et hérisser les cheveux sur la tête.

Tu te questionnes certainement par le point d'interrogation, qui satisfait ta curiosité et te rassure sur ta manière de t'ouvrir sur le monde.

Ou alors tu traînes sur les points de suspension, qui fait croire que tu manques de confiance, alors que tu ne fais qu'attendre sadiquement que ton lecteur prenne la parole et dise le mot ou l'idée que tout le monde aurait ressenti.

Et bien moi j'aime le point-virgule. J'aime le choc qu'il provoque, pas encore un point, mais bien plus qu'une virgule. J'aime la manière dont le point, qu'on dit souvent au ras la terre, dans toutes ses autres formes, se met soudainement à s'envoler, à s'accrocher au-dessus de l'« r », à flotter comme s'il en venait à l'essor.

J'aime comme la virgule se confond juste en-dessous, comme une accroche ou un pied bot, glissant comme un aimant pour qu'ils coexistent et survivent l'un comme l'autre.

J'aime comme le doute s'installe, comme la phrase que l'on aimerait voir s'arrêter se met à glisser, par un habile truchement, vers une autre situation, en parallèle et d'un autre niveau, comme l'on se rend compte sur une corniche lors d'une randonnée qu'il existe un chemin de traverse qui vous amène à l'inconnu, ou peut-être qui est une énième trajectoire vous amenant à votre destination, qui sait !

J'aime comme le ton de la voix commence à peine par descendre qu'il reprend de l'altitude comme un oiseau qui, amorçant une chute dont on est sûr, bat de l'aile et s'approche du soleil.

J'aime comme l'énumération sordide qui suit une succession de virgules, nombreux soldats présents pour enchainer une liste, voit son régiment cassé par un tambour de guerre qui fait adopter un rythme différent et donne à chaque décurie un objectif à la fois différent et pourtant commun.

Voilà, j'aime le point-virgule et je ne pourrai remercier les cinq mille années de l'écriture que d'avoir donné le véritable synonyme de la respiration.