Où la pente glissante poursuit son inclinaison vers Paris

Petit « interlude » avant la réunion au sommet…

Rappel :

Ernestin, confronté à la « connerie ambiante » et à l’absurdité des journées mondiales dans le village où il a élu domicile, est rappelé d’urgence à Paris par son ami Yves, inspecteur émérite au célèbre Guide Universel des Journées Internationales. Une réunion au sommet est prévue sous l’impulsion de Huckminz, le patron du Guide, suite à un échange improbable avec Zückerberg, le fondateur de facebook.

Il avait écrit quelques lignes dans le train suite à des réflexions on ne peut plus sérieuses et marquées du sceau incontestable de la science. Elles étaient le fruit de lectures hasardeuses glanées à la gare mais néanmoins approfondies dont la seule limite avait été son manque d’envie de s’attarder sur le sujet. Un de ces journaux gratuits distribués sur le parvis l’avait conduit à éclaircir l’information sur le papier après avoir dégainé sa plume. Il était admis que la recherche allait mal en France. Force était de constater l’inverse aux Etats-Unis, pays où l’imagination des têtes pensantes stimulées par les sommes allouées semblait sans limite. Les nouveaux concepts aux applications encore floues fleurissaient. Pourtant, ce caractère vague ne posait aucun problème. Ils étaient forts ces Américains ! Capables de vendre un projet à grands renforts de publicité et de buz fulgurants, éclipsant de la sorte toute suspicion quant à leur sérieux.

C’était précisément le cas ici. A croire que toute application à l’allure risible, ridicule ou improbable, renforçait la crédibilité des travaux menés aux yeux des financeurs et des potentiels clients. A croire aussi que plus on en parlait, plus la polémique était vive, meilleur serait l’accueil réservé in fine à leurs études.

Là-bas, le MIT (Massachussets Institute of Technology) n’en était pas un. Cet institut de recherche touchait des fonds conséquents pour aller au fond des choses. Visiblement, il touchait surtout le fond. En découvrant l’entrefilet dans le journal, Ernestin avait aussitôt saisi son carnet à l’affût en permanence de ce genre d’informations croustillantes.

Encore réticent il y a peu à l’idée de fréquenter de trop près les réseaux sociaux, il s’était dit en tournant dans tous les sens le contenu de cette brève, que ce serait l’occasion de pousser plus loin ses investigations, et d’y mettre un pied ou deux, d’un clic décidé. Le MIT, donc, se gargarisait d’avoir découvert un algorithme définissant le degré de stupidité des tweets ou des statuts facebook. Trois ans, il leur avait fallu trois ans. Le temps de confronter le verdict des formules sur des milliers de messages à celui d’experts en logique et  à d’éminents philosophes, auxquels il aura certainement fallu deux ans de formation pour comprendre le principe de ces réseaux sociaux. Ernestin avait saisi immédiatement, malgré ses lacunes en Anglais, que le nom de baptême du programme, « Find Dumb People » (FDP), se suffisait à lui-même pour qualifier l’absurdité de la chose. « Trouver les gens idiots » pour schématiser. Depuis son siège peu confortable de ce wagon au chauffage défaillant, il aurait bien renommé l’algorithme FDI, « Find Dumb Institute »…

La connerie était partout, il n’en avait jamais douté, et personne ne pouvait en douter, surtout pas les cons d’ailleurs qui ne voyaient que le reflet de leur propre bêtise sans même s’en rendre compte. Oui, elle était partout mais elle ne s’exprimait pas de manière constante. Elle subissait quelques modulations et autres nuances. Ernestin s’apercevait que l’intitulé anglais et le descriptif donnaient une note de sérieux à une farce sans nom. La connerie s’en trouvait atténuée et il avait failli se laisser prendre par la supercherie. Les Américains affirmaient haut et fort que les débouchés marketing et commerciaux étaient prometteurs. Peu importait à Ernestin finalement. Il s’inquiétait plutôt des détails. Comment allaient-ils détecter les subtilités ? Personne n’était idiot de manière uniforme. Comment dès lors déjouer les cons par alternance, par jeu, ou même par pure manipulation ? Nul doute qu’il leur faudrait trois années de plus, et que les financements suivraient sans difficulté. Comment déceler les statuts stupides doublés de mensonges ? Sur facebook, on ne disait pas « je vous le dis droit dans les yeux », mais « droit dans le mur », posture autrement plus risquée.

Au même moment, Yves, dans le TGV en provenance de Montpellier, découvrait le même article du même journal. Il s’était fait exactement la même remarque qu’Ernestin mais n’avait pas sorti son stylo. Il avait entrevu une autre application, à mille lieux des interrogations de son ami. Décidément, la réunion à Paris pourrait prendre une tournure intéressante. Mais avant, le point qu’il avait convenu de faire avec Ernestin à la Gare de Lyon s’imposait comme un rendez-vous incontournable et stratégique.