paolo

nouontiine

Déjà deux heures qu’il est aux aguets et que de pied ferme, il les attend, armes chargées et grenades enclenchées. La rage au coeur. Il n’a pas peur, parce que depuis longtemps il est passé au-delà de l’effroi et des lois, bien décidé à prendre sa part dans un pays où seuls les nantis peuvent encore se targuer d’être en vie. Depuis des années, lui n’est qu’en sursis. Alors, comme les autres, il a décidé d’accélérer le cours de son existence et de vendre de l’héro, pas pour devenir un héros mais pour cesser de survivre. Et peut-être, un jour, retrouver l’envie de sourire. Il est prêt à en descendre quelques-uns, pour les empêcher de grimper au sommet de la favela et d’y planter un nouveau drapeau, en signe de victoire sur un monde sans espoir. De mépris, il crache à terre. Plutôt mourir. C’est son territoire et il ne laissera ni chars, ni soldats y pénétrer. D’ailleurs, ils sont prêts. Ses hommes se tiennent en embuscade, quadrillant les ruelles stratégiques du bidonville, prêts à décharger des rafales de haine sur les forces de l’ordre. Il ne peut se permettre de les laisser mettre la main sur les 100 kg de drogue qu’il s’apprête à distiller à travers la ville, parce qu’il a promis à son fils, Paolo, et à sa mère, la belle Esperenza, de les emmener loin, très loin de cet endroit où la désolation, la prostitution et l’oppression règnent en souveraines. Il rattrape son esprit qui s’égare et de son perchoir, scrute l’horizon. Ils arrivent. Des chars de guerre avancent avec précision, tandis que des hommes, lourdement armés, les précèdent au pas de course. Des tirs éclatent. Il serre les dents et observe au loin les hommes cagoulés qui s’engouffrent dans la favela. Le son de leurs bottes résonne sur les escaliers de pierre. Il tente de se désaltérer en léchant les gouttes de sueur qui perlent sur son visage. Il est seul, tapi dans sa cachette et prêt à intervenir, tandis qu’en bas, la guerre fait rage. De légers craquements lui font soudain tendre l’oreille. Comment l’un deux a-t-il déjà pu arriver à sa hauteur ? Il est en dernière ligne, prêt à faire sauter quiconque tenterait de s’approcher de sa précieuse cargaison. Le bruit des pas se fait plus distinct. Son coeur cogne dans sa poitrine. Il aperçoit une ombre hésitante, désormais à quelques mètres de lui à peine. Alors, déterminé, il se redresse et dans le même élan lâche une rafale de balles en direction de l’ombre quand, soudain, la bouche sèche, il distingue son fils, Paolo, une bouteille d’eau glacée à la main. Trop tard. Sa tête explose en bouillon de couleurs.

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