Parlez-moi d'amour

sophie-l

Dring ! Dring ! Driiiiiing !!!

 

Hé ho ! Qui s'excite ainsi à ma porte de si bon matin ? Un rapide coup d'œil à mon agenda m'annonce que non, je n'ai pas de rendez-vous avec le plombier, le chauffagiste est passé hier, alors, qui ?

J'hésite. Réponds, réponds pas… Je vérifie rapidement l'état de mon charmant visage dans le miroir et, jugeant le résultat plus que potable – s'auto-complimenter au moins une fois par jour est excellent pour mon moral - la curiosité l'emporte :

    -       Ouiiii ?

    -       C'est Marion ! Ouvre, faut que j'te parle !

 

Marion, c'est ma copine, ma pote, mon alter ego. On se connaît depuis l'âge où nos mères nous allaitaient, c'est dire ! Nos mamans ont cessé de s'adresser la parole à cause d'une sombre histoire d'érythème fessier survenu sur le derrière de mon frère un jour où la mère de Marion en avait la garde. Depuis, c'est la guerre froide même si le postérieur de mon frérot a réussi à percer dans l'univers très fermé du mannequinat « ès caleçon » !

Quoiqu'il en soit, avec Marion, on ne s'est pas laissées démonter par une histoire de fesses et nous avons tout vécu ensemble – enfin presque – jusqu'à aujourd'hui. On n'a jamais habité à plus de 2 kilomètres l'une de l'aure, on se téléphone au moins trois fois par jour, on se textotte de façon illimitée grâce au forfait et on se voit dès que le besoin s'en fait sentir, c'est-à-dire très très souvent.

Mais… Débarquer à l'improviste, sans préavis et à l'heure où elle ronfle encore profondément, c'est qu'il y a du scoop dans l'air et dans ce cas-là, il faut savoir agir dans l'urgence, faire appel à mon sens inné de l'organisation : J'entrebâille la porte, branche la cafetière, décroche le téléphone, éteint le portable.

 

Marion se matérialise dans la cuisine, essoufflée, pas coiffée, pas maquillée, et, oh misère, encore en pyjama sous son imper !

Elle ne prend pas la peine de me saluer, me brandit un papier sous le nez :

-          Tu ne devineras jamais ce que c'est !

Non, je ne devine pas, je ne cherche pas, je n'aime pas les devinettes. De toute façon, elle n'écouterait pas ma réponse puisqu'elle susurre aussitôt, minaudant comme une collégienne :

-          Une lettre d'amouuuur….

 

Le choc me paralyse. Mon corps se raidit d'un bloc alors que mon cerveau surchauffe :

« Une lettre d'amour ? A son âge ? Mais qui ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? »

-          C'est tout ce que ça te fait ? demande-t-elle, déçue par mon manque d'enthousiasme.

J'articule difficilement une réponse cohérente :

    -       Mais…non…hein ? Oui…bon…quoi ? Euh…Montre, c'est qui ??

    -       C'est Paul…, murmure-t-elle en tortillant le derrière.

    -       Paul ?...Paul…Paul ! TON Paul ?

    -       Ben oui, MON Paul ! Qui d'autre ?

 

Bon, là, faut que je vous explique. Paul, c'est mon frère, celui dont les fesses ont cloquées à l'âge de huit mois. Accessoirement, c'est également celui sur qui ma copine cougar a mis le grappin alors qu'elle a quatre ans de plus que lui ! Je ne vous raconte même pas les réunions familiales avec les deux belles-mères qui se regardent comme des pitbulls et ma mère qui glisse systématiquement un coussin sur la chaise dès que Paul fait mine de s'assoir…

Donc, Paul a écrit une lettre d'amour… à Marion. Normal, me dis-je, c'est son mec, il lui écrit ce qu'il veut, n'est-ce pas ?

Sauf que Paul est aussi sentimental qu'un ours mal léché qu'on réveille en pleine hibernation ! Je le sais, c'est Marion qui me l'a dit ! Donc, je m'inquiète, et à voir l'air extasié de mon interlocutrice, il se trouve que je suis bien la seule…

Marion me sort de mes pensées angoissées, sa lettre battant l'air frénétiquement :

-           Tu veux lire ?

Evidemment que je veux lire !

 

Et je lis.

Et je me liquéfie.

Et j'essuie une petite larme.

Et je soupire.

Et elle m'arrache la lettre des mains !

 

-          Rends-la-moi ! C'est MA lettre ! Qu'il a écrite pour MOI !

 

Gna, gna, gna… C'est qu'une lettre, hein, ON va pas non plus se mettre dans des états seconds parce qu'ON a reçu une feuille griffonnée de quelques mots choisis… Si ça se trouve, c'est même pas lui qui l'a écrite ! Tiens, d'ailleurs, en y regardant de plus près, je ne suis pas sûre de reconnaître l'écriture. Peut-être devrais-je suggérer à Marion de faire faire une analyse graphologique, non ? Non. La vérité, c'est que je suis sidérée. Sidérée et jalouse.

 

    -       Je peux la photocopier ? je la supplie d'une toute petite voix.

    -       Ah non, c'est trop personnel… Je souhaitais te la montrer parce que, tu vois, cette bulle de bonheur, je voulais la partager avec toi. Allez, je me sauve, je vais lui écrire ma réponse.

 

Garce !

 

Et la voilà envolée dans sa bulle, me laissant seule avec ma cafetière pleine que je vais boire

cul-sec si je ne veux pas sombrer dans le désespoir :

Depuis quand n'ai-je pas reçu de lettre d'amouuuur ?

 

Je me laisse choir sur le canapé du salon, assaillie par de sombres pensées où je me vois, démoniaque, danser autour de Marion ligotée à un poteau, tenant sa maudite lettre entre les mains, m'apprêtant à brûler l'objet satanique sur l'autel de ma délivrance. D'autant qu'avant de la brûler, j'aurais bien voulu la relire, moi, cette missive ! Parce qu'il y avait de beaux mots, des phrases à vous briser le cœur d'émotions, des sentiments dont la simple expression ne les rendent que plus magnifiques… Je n'en reviens pas que mon frère ait écrit des trucs comme ça… Je n'en reviens pas que Max – mon mec à moi, qui, soit dit en passant, n'est pas le frère de Marion – ne les ait pas écrits avant. J'imagine sans peine la tête que Marion aurait faite !

En attendant, c'est la mienne que j'observe dans le reflet du miroir et, malgré de terribles efforts, j'ai bien du mal à m'auto-complimenter…

 

Allons, allons, me dis-je, tu es une battante, tu ne vas pas te laisser démonter par une simple petite lettre de rien du tout ! Si ça se trouve, le Paul, il a un énorme truc à se faire pardonner et il s'est dit que le mieux, c'était de faire passer la pilule enveloppée d'une grosse dose de déclaration baveuse. Mais oui, bien sûr, c'est ça !

 

Ragaillardie, je raccroche le téléphone, rallume le portable, et compose aussitôt le numéro de Marion. A la première sonnerie, je coupe aussitôt la communication. Il ne faut pas se précipiter, le choc peut lui être fatal, la pauvre petite… En tant que meilleure amie, je me dois de lui faire entrevoir la vérité par petites touches réfléchies. Faire en sorte que le doute s'insinue de façon la plus naturelle du monde, ne surtout pas l'influencer. Manquerait plus qu'elle croit que c'est la jalousie qui me motive !

J'inspire un grand coup, observe mes mains qui ne tremblent plus, fais quelques vocalises pour chauffer ma voix, m'exerce plusieurs fois à prononcer le prénom de mon amie afin de trouver le ton juste, ni trop condescendant mais suffisamment persuasif.

Au moment où je suis prête à me lancer, la sonnerie de mon portable me fait sursauter. J'attrape l'appareil. C'est Marion.

Tant mieux, elle a elle-même fait son chemin, elle trouve cette lettre très louche, elle veut m'en parler, que je la réconforte, pas de problème, les copines, c'est fait pour ça !

-          Marion ! fais-je d'un ton enjoué

-          Tu m'as appelé ? demande-t-elle d'une voix d'où je ne décèle aucun signe de déception abyssale.

-          Ah ? Euh, non… J'ai fait une mauvaise manip' avec mon téléphone.

-          Pas grave, continue-t-elle sur un ton que je qualifierai de... tourmenté ?

-          Je t'écoute ma belle.

Mieux vaut laisser l'ennemi se dévoiler en premier afin d'affiner la contre-attaque !

-          Je ne te dérange pas là ?

-          Mais non pourquoi ? Tu ne me déranges jamais!

Accouche !

-          Bon alors, voilà… Je ne sais pas comment te dire ça…

Mais si voyons, balance…

-          J'ai réfléchi tu sais…

Moi aussi, moi aussi…

-          … Et je me demandais si tu n'étais pas un peu jalouse…

Hein ?! C'est la meilleure celle-là !

-          Jalouse ???? fais-je au bord de la suffocation. Mais de quoi, Grands Dieux ?

J'aime bien utiliser « Grands Dieux »

-          Ben… De la lettre de Paul.

Bien. Il va falloir la jouer serré.

-          Alors là Marion, je ne vois ABSOLUMENT pas de quoi tu parles ! Je suis même ravie d'apprendre que mon frère sait écrire, c'est dire ! Je me demandais juste… Ca va vous deux en ce moment ?

Je m'informe, c'est normal non ?

-          Mais oui, très bien… Pourquoi tu me demandes ça ?

Pour rien…

-          Pour rien.

-          Tu veux que je te lise ce que je lui ai écrit ?

Pitié, non

-          Ecoute, franchement… non.

 

Le blanc qui s'installe entre nous ne me dit rien qui vaille. J'imagine sans peine le menton tremblotant de Marion. J'ai toujours détesté la sensiblerie exagérée de mon amie mais je n'ai pas le cœur de continuer à la torturer :

-          C'est entre vous Marion. Je suis très touchée que tu veuilles m'associer à votre… votre… euh, correspondance, mais, bon, c'est quand même mon frère tu vois. Ca me gêne…

N'importe quoi ! La vie intime de Paul est un de mes sujets favoris !

-          Tu ne m'en veux pas alors ? pleurniche ma nunuche de copine.

-          Mais non, mais non. Allez, j'espère que tu vas être inspirée et que tu vas lui pondre un truc mortel !

-          Je t'adore.

-          Moi aussi.

Si, si…

 

Je raccroche et je me sens nulle.

Alors que je devrais me réjouir de voir mon amie et mon frère s'épanouir dans leur couple, je me rogne les ongles jusqu'au moignon de dépit. Tout ça à cause d'un maudit bout de papier noirci de mots convenus ! Car, si j'y réfléchis bien, moi aussi j'en ai des tas, de lettres d'amour. Pour preuve, j'entame avec frénésie la recherche de ma vieille boîte secrète, celle qui renferme l'ensemble des missives reçues depuis la maternelle. Je mets une bonne demi-heure à la trouver, je finis par la dénicher derrière la pile de draps. Je la porte cérémonieusement jusqu'au salon, la pose sur mes genoux et l'ouvre avec nostalgie.

Elles sont toutes là, classées par date, de la plus ancienne à la plus récente. J'ai devant moi toute l'histoire de ma vie amoureuse…

Je soupire et me plais à imaginer ma future fille – non, plutôt ma future petite-fille – béate d'admiration, découvrant que sa grand-mère fut la muse de tant de poètes en herbe.

La volumineuse pile de parchemins jaunis me réconforte. J'en ai fait couler de l'encre !

 

Je farfouille, à la recherche de la perle rare. Je passe rapidement sur les années de primaire dont les preuves de mon sex-appeal naissant, quoique nombreuses, sont tellement bourrées de fautes d'orthographe que je me demande si elles n'ont pas été écrites dans un langage secret.

Au cours de ma lecture, je me plonge dans mes souvenirs et vois apparaître devant mes yeux les visages floutés de mes anciens soupirants…

.Non, celui-là, il ne savait pas écrire…Lui ? Pourquoi ai-je gardé ses lettres ? Trop plates. Celui-ci, oui, pas mal, il avait du potentiel…

Mais point de vraie lettre d'amouuuuur !

 

Je referme la boîte, furieuse de ne pas avoir su faire éclore chez tous ces jeunes gens autre chose qu'un embryon de déclarations inabouties. Je me demande si ce genre d'exercice ne devrait pas être mis au programme des manuels scolaires, quitte à plancher, autant le faire sur quelque chose d'utile !

 

Soudain, je suis prise d'une étincelle de génie ! Evidemment que je n'ai rien trouvé d'intéressant dans cette boîte ! C'est celle des rebuts, des inutiles, des insignifiants ! Car la vraie boîte, celle qui contient les plus merveilleuses lettres jamais reçues sont jalousement conservées dans un autre coffret ! Celles de Max.

 

Je me précipite… vers où ? Dans l'excitation, ma mémoire me lâche. Je ne sais plus à quel endroit j'ai rangé ces foutues lettres. J'appellerais bien Marion pour lui demander si elle n'a pas une petite idée mais je ne tiens pas à ce qu'elle soit témoin de mon désespoir.

Max ? Hors de question. Il ne sait déjà pas où se trouve son tiroir à chaussettes…

Les chaussettes ! Bien sûr ! Je me souviens maintenant m'être dit qu'elles seraient plus à l'abri entre mes petites culottes et mes soutiens-gorge (les lettres, pas les chaussettes…).

Je mets à mal mon tiroir, faisant valser dentelles et cotons jusqu'à mettre la main sur l'objet de mon salut.

Ce moment est unique. Je suis aussi fébrile que lorsque je les ai décachetées pour la première fois. Je me revois ouvrant la boîte aux lettres, découvrant, entre prospectus et factures, l'enveloppe marquée de l'écriture chérie.

J'en lis une, puis une autre, et au bout de la troisième, je laisse tomber. Si j'ai conservé les lettres de Max, ce n'est pas pour m'attendrir sur ces mots d'amour mais pour ne jamais oublier que ce n'est pas son esprit romanesque qui m'a séduite…

 

C'est dur, vous savez, de partager un homme qui ne vous offre jamais de fleurs – même si je trouve que ceux qui en offrent n'ont vraiment aucune imagination et choisissent la facilité ! C'est vrai ça, ce n'est pas parce qu'on est une femme qu'on aime forcément les fleurs. Moi, je les déteste, elles ne servent à rien, ne durent pas, se fanent en laissant une eau croupie et malodorante dans un vase qu'il faut ensuite récurer. Remarquez, les chocolats, c'est pas mieux. A force de nous en offrir, on finit par bouffer tous les régimes qui nous tombent sous la main !

 

C'est dur de vivre avec un homme qui, le jour de votre anniversaire – que vous avez eu soin de lui rappeler tous les jours au cours de la semaine précédente -  vous annonce, fier de lui :

-          Ma chérie, d'après un sondage, 80% des hommes se plantent au moment d'offrir un cadeau à leur femme. Donc, faisant partie des 20% qui veulent VRAIMENT faire plaisir à leur moitié, choisis ce que tu veux, je te l'offre !

Je n'ai rien acheté. Ce qui me plaît dans les cadeaux, c'est la surprise, et tant pis si je suis déçue… dans 80% des cas.

 

C'est dur de vivre avec un homme pour qui la Saint Valentin n'a aucun intérêt malgré tous les efforts déployés. Je me suis souviens très bien de ma dernière tentative, je l'avais appelé au bureau afin de nous concocter une petite soirée amoureuse :

 

Moi (mielleuse)

Allô ? Chériiiiii ?

 

Lui (sec)

 Oui.


Moi (très mielleuse)

Ca vaaaaaa ?

 

Lui (très sec)

Accouche là, je suis en plein rush !

 

Moi (compréhensive)

Ok, ok… On fait quoi ce soir ?

 

Lui (visiblement pas concerné)

Ben… comme d'hab'. Y'a quoi à la télé ?

 

Moi (mutine)

Tu sais quel jour on est ?

 

Lui (stressé)

Le jour où je dois rendre mes budgets.

 

Moi (impatiente)

Nan, allez, sérieusement !!

 

Lui (désabusé)

Je rêve…

 

Moi (très impatiente)

Alors ?

 

Lui (très énervé)

Ecoute, j'en sais rien !

 

Moi (encore plus énervée)

Hé ben, ça promet pour notre avenir ça…

 

Lui (cadre sup)

Notre avenir, il dépend actuellement des budgets prévisionnels à trois ans que je dois remettre dans un peu moins d'une heure et si t'amuses aux devinettes encore longtemps comme ça, notre avenir, c'est chez Pôle Emploi qu'il va se jouer et crois-moi, c'est pas joli joli !

 

Moi (factuelle)

C'est la Saint-Valentin !! Le jour des amoureux, le jour où on se dit qu'on s'aime pour toute la vie, le jour où tu m'invites dans un restau romantique, le jour où je mets des talons !!!

 

Lui (un tantinet radouci)

Je t'aime, ça te va ?

 

Moi (factuelle)

Comment ?

 

Lui (exaspéré ?)

Quoi comment ?

 

Moi (exaspérée !)

Comment tu m'aimes ?

 

Lui (très exaspéré)

Plus que mes budgets ! Bon, faut que j'y aille là…

 

Moi (pleurnicharde)

Tu ne m'aimes pas…

 

Lui (coupable)

Mais si, mais… c'est chaud !

 

Moi (mutine)

Moi aussi je suis chaude…

 

Lui (soudain intéressé…)

Tu promets ?...

 

Moi (innocente)

Quoi ?

 

Lui (excité ?)

Ce que tu viens de dire  juste avant… Tu sais, chaude, …

 

Moi (outrée)

C'est dingue ça ! T'es vraiment qu'une bête !

 

Lui (très excité ?)

Non, mais je dois dire qu'après les budgets, ce serait super relaxant comme cadeau de la Saint Valentin… Même qu'on pourrait se faire l'Indien du coin après si tu veux.

 

Moi (dégoûtée)

Celui qui a fermé pour manque d'hygiène ?

 

Lui (salace)

Tout ce que tu voudras…

 

Moi (glaciale)

Nan, ce soir, je vais me faire « Grey's Anatomy » en replay…

 

Lui (pragmatique)

Je ramène des sushis ?

 

Moi (ravie)

 

Evidemment, si je m'arrêtais au manque de « signaux un peu guimauves mais qui plaisent tant aux femmes, même aux plus féministes… » de mon Max, il y a longtemps que j'aurais déménagé chez Marion. Toutefois, l'idée qu'il me dépose un message énamouré sur mon oreiller alors que je suis encore endormie me laisse encore plus alanguie que les Harlequin de mes 13 ans.

 

Merde ! Je vivais une relation jusque-là harmonieuse avec un homme, qui, malgré ses défauts – quel homme n'en a pas n'est-ce pas ? – réussit à me combler (parfois à son insu) et voilà que mon frère et ma meilleure amie me poignardent dans le dos. Serait-ce un complot ? Sont-ils à ce point jaloux de notre extraordinaire entente qu'ils ont décidé de nous sacrifier au nom de leur amour périclitant ? Ou bien, pire ! Marion a tout imaginé car, secrètement éprise de Max, elle espère que je fasse une scène, rompe avec lui pour le récupérer après…

Mais non. Je suis dans la vraie vie, pas dans un soap.

Il faut bien se rendre à l'évidence : Si je reste avec Max, je ne recevrais jamais de lettre d'amour et comme je compte rester avec lui encore longtemps, il est fort peu probable que je débarque un jour chez Marion, en pyjama, pour la narguer (partager une bulle de bonheur, tu parles !) avec un bout de papier.

 

Cette intense réflexion me réconforte un peu. Toutefois, pour ma santé mentale, il faut que j'en ai le cœur net.

Je m'installe devant mon ordinateur et adresse un courriel commun à toutes mes copines, sauf Marion :

 

« Objet : Urgent

 

Mes chères amies,

Pour un article que l'on m'a demandé d'écrire pour aujourd'hui, j'ai urgemment besoin de savoir :

1/ Avez-vous déjà reçu des lettres d'amour. Des vraies. En envoyer la preuve, si possible.

2/ Si oui, en avez-vous reçues récemment ?

3/ Si oui, de qui ? Confidentialité garantie.

4/ Si oui, à quelle fréquence ?

5/ Lesdites lettres étaient-elles une vulgaire tentative pour se faire pardonner une quelconque infamie ? Merci de développer, confidentialité ultra garantie (vous me connaissez !)

6/ Pensez-vous que le fait que votre compagnon soit totalement dépourvu de romantisme soit une avancée dans la lutte pour l'égalité homme-femme ?

Merci de vos réponses rapides !

Je vous embrasse. »

 

J'appuie sur « envoyer » et ne quitte pas l'écran des yeux en attente des réponses qui ne sauraient tarder.

Bingo. En voilà une.

 

« Objet : Re : Urgent

Depuis quand t'écris des articles ?

Peux pas répondre, on vient de rompre.

De toute façon, j'aime pas les mecs romantiques.

Bisous »

 

Pfff…

 

Une autre.

 

« Objet : Re : Urgent

J'ai pas bien compris la question 6. Je suis obligée de répondre ?

Dis-moi.

XXX »

 

J'en suis à me désespérer quant à mes choix amicaux lorsqu' un nouveau message arrive.

Justement, c'est Max. Il tombe bien celui-là.

 

« Objet :

 Rentrerai tard ce soir. T'as pensé au charbon de bois ?

A + »

 

Et soudain, l'illumination !

Rentrerai tard ce soir : “Mon amour, cette journée loin de toi met mon cœur à rude épreuve. A la seule pensée que je ne pourrai te serrer dans mes bras avant de longues heures, je souffre mille morts.”

T'as pensé au charbon de bois ?: “Mon aimée. Cuisiner pour toi est un sublime cadeau. Ton visage radieux, chaque jour plus merveilleux que le précédent, est une récompense que je suis bien loin de mériter.”

A + : « Pour te retrouver, je n'hésiterai pas à éliminer tous ceux qui se mettront au travers de notre route. Attends-moi, mon amour, je vole vers toi ! »

 

Et ben voilà, il suffisait de décoder…

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