Paulette de Ploudinio

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Paulette de Ploudinio

En fait, Paulette ne s'appelle pas Paulette.

Roués comme vous êtes, vous vous doutez déjà qu'elle n'habite pas non plus à Ploudinio.

Et pourtant, Paulette n'est pas un agent du FBI ni de la CIA.

Seulement Paulette a peur.

Elle a peur parce qu'elle a enfin osé mettre son aspirateur en vente sur leboncoup.fr.

C'est son voisin Marcel qui l'a incitée. Un jour il lui a dit bien en face : Ecoute, ma grande, tu as fait le tour du village, personne n'en veut de ton aspirateur, dans ta famille, pareil, tes collègues, idem. Mets-le sur leboncoup, et on n'en parle plus !

Facile à dire pour Marcel, il est moderne, lui.

Quand elle y pense du fond de sa campagne bretonne, Paulette sent bien qu'elle ne vit pas avec son temps. Qu'être isolée à ce point au XXIe siècle, c'est ridicule, à la longue.

Alors un soir, la semaine dernière, elle a branché sa connexion Internet et elle s'est assise devant son ordinateur. D'habitude elle ne l'utilise que pour trouver des recettes, éventuellement lire quelques ragots sur les pipols, vite fait, quand c'est en première page et qu'on ne peut pas faire autrement. Mais rien de plus, vraiment. C'est trop dangereux.

Heureusement, sur leboncoup, ils ne demandent pas grand chose. Elle a juste rentré son email du travail, celui où son nom est tellement chamboulé qu'une chatte n'y reconnaîtrait pas ses petits, et puis il a fallu choisir un pseudo. Tout de suite, elle a pensé à Paulette parce que c'est sa voisine, enfin, pas la mère de Marcel, celle de l'autre bout du hameau, avec son fichu et sa sinusite chronique.

Paulette sur internet ! , elle a gloussé.

Puis elle a réfléchi. Est-ce que ça ne faisait pas un peu trop vieille, facile à rouler ? En tous cas, ça n'évoquait pas du tout les noms de femmes en « a » qui fleurissaient sur les affiches pour le Minitel, à l'époque. Comme ça, aucune ambiguité. Elle vendait un aspirateur, point.

Pour le lieu, c'était facile aussi. Elle n'allait surtout pas dire qu'elle habite à Plév... , du coup elle a rentré le nom du village de la Bourse aux Plantes de dimanche, de l'autre côté de la quatre voies.

Personne n'aurait jamais l'idée ...

Quand elle a eu fini, elle a tout éteint et elle est montée se coucher, le cœur léger.

Et puis elle a complètement oublié son aspirateur, pendant deux jours.

Jusqu'au lundi soir où elle est restée tard au bureau, quand elle a croisé la femme de ménage qui tirait tout son matériel.

Sur son email, elle n'avait jamais eu autant de messages. Tous de la même personne ! Un certain Conqueror qui réclamait des précisions, qui voulait la contacter à tout prix, venir chez elle, qui disait habiter de ce côté-ci de la quatre voies !

Paulette sentit ses oreilles s'enflammer tandis qu'une goutte glaciale lui dégoulinait dans la nuque.

Elle courut fermer les volets du bas. La porte était déjà verrouillée. Elle vérifia la trappe de la cheminée, puis elle éteint toutes les lumières et remonta à tâtons.

Dans sa chambre, l'écran brillait sournoisement. Elle s'approcha de la box et tira sur tous les fils d'un coup sec. Voilà. Tout irait bien. Une lumière clignotait encore, elle tapa sur le boîtier avec son poing. Plus rien. Voilà. Pas de panique. Tout allait bien.

Paulette prit une profonde inspiration et tendit l'oreille pour écouter la nuit.

Tout à coup, elle entendit une voiture se garer sur les graviers de la cour.

Elle n'attendait personne.

Des pas. Des coups violents sur la porte vitrée. Paulette se réfugia dans la salle de bains. Elle se laissa glisser le long du mur en gémissant. Elle n'avait pas de portable, aucun moyen d'appeler les gendarmes. Elle se mordit la lèvre et sentit deux grosses larmes rouler le long de ses joues. Quelle idiote elle avait été de croire qu'elle pouvait faire comme tout le monde sans attirer le malheur.

Elle serra contre elle le fusil de son père. Elle allait devoir s'en servir, maintenant.

Tuer un homme. Tout ça pour un aspirateur.

- Isabelle, nom de dieu, mais qu'est-ce que tu fous ?   Ouvre ! C'est Marcel !

 

Quoi ? Elle se redressa et vit son reflet dans le miroir à la lueur du clair de lune.

- Ohé ! C'est Maaaarceeeel !

Elle avait l'air hagarde, les yeux rougis, les cheveux en bataille. On aurait dit … Paulette !

Elle déposa le fusil dans la douche, tira le rideau et descendit ouvrir en courant.

Marcel se tenait sur le seuil, goguenard, les mains dans les poches de son caban :

- Ben qu'est-ce que tu foutais là-dedans ? T'as un Jules caché dans le placard ou quoi ?

Elle fit un vague sourire et remit une mèche derrière son oreille :

- Qu'est-ce qui t'amène à cette heure, Marcel ?

- Geneviève vient de casser l'aspirateur, le sac est crevé, y'en a partout, alors on s'est dit qu'on allait acheter le tien ! 

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