PEACE AND LOVE TROUDUC

« Peace and love trouduuuuuucs » venait -il de balancer à une terrasse de café médusée, la voix haineuse façon Exorciste. Le type est plombé et pas que par le soleil, total raide, son compte est bon avec trois fois 8,6 °au compteur de son vaisseau mortel. La Navigator, cette bière qui ne fait pas que lui bourrer la gueule, qui le rouille des tempêtes d'une âme qui touche le fond. Il se tient à sa canette comme un capitaine à sa barre, chahuté par la houle d'un océan d'oubli doré de houblon. Tout ce qui brille n'est pas or pour ce pirate déchu aux baskets ouvertes et semelles béantes. L'alcool est volatile, mais pèse son poids sur les épaules de ce fantôme, recroquevillé, plié par la pesanteur d'un improbable piano .
Pour un mec qui descend il a du débit et déblatère maintenant « booooonnnnnneannnnnnée bandes de trouuuducs ». Le type est vraiment habité, un HLM à lui tout seul avec les fenêtres ouvertes. Il est dans un ailleurs, mais pas celui des catalogues de papier glacé aux températures exotiques et la seule blonde qu'il fréquente, s'offre à lui pour quelques sous, au détour d'une épicerie qui ferme les yeux sur un naufrage annoncé.

La terrasse du troquet s'était vidée de quelques clients. Le patron en bon limonadier à tendance facho, lassé de voir son chiffre s'assécher, déboule gazeuse en main. Le genre de bombe qui fait pleurer les pas contents qui crient dans la rue par milliers. Le bourré reprend une goutte de conscience pour la route, s'apercevant que ce n'était pas une canette qu'on lui tendait et titube à une distance raisonnable du courroucé patron. La pression redescend alors qu'on en sert toujours à côté. Rebelote et pas parce qui y'a une carte au bar. Le type réapparaît cette fois-ci en mode père noël. « Joyeux noël trouduuuuuuucs ». On est quand même en juin... Le boss furibard sort du comptoir, un seau à champagne à la main. Pas pour faire la fête. Pour lui faire sa fête, et lui balance toute l'eau glacée qu'il contenait sur le crâne.
Aucune réaction de la part des témoins, pas un quidam pour dénoncer un acte aussi humiliant, pas un humain à tasse de café pour s'indigner ou porter plainte contre le gérant. Seulement des rires devant ce type transi de froid, qui gesticulait comme un môme au sortir d'une baignade en Normandie. Des rires pour un destin en train de mourir sous perfu d'un goutte à goutte fatal. Lui le pété de la vie, n'avait rien demandé pour finir ainsi. Il y avait eu un avant. Cette partie cachée de ces mutilés du cœur qu'on ne regarde jamais.
Avant.
Avant qu'il ne perde la garde de ses enfants.
Avant qu'il ne perde son job de tristesse.
Avant d'être salement expulsé au premiers jours de mars.
Mars dieu de la guerre qui signe la fin de la trêve d'une société cannibale. Un ordre assoiffé de cash, en guerre contre les faibles pour s'en repaître, s'en gaver, jusqu'à leur saigner l'âme comme on saigne un goret. C'est un homme défait, blessé, au cœur mal recousu, qui suinte le pu d'une souffrance infectée d'errance. Mais pas de chirurgien, personne pour le raccommoder avec la vie, lui redonner « l'envivre ».

Soudain, il senti sur chacune des ses épaules une main de taille respectable. Gagarine, puisque c'est ainsi qu'il se prénomme, une fois redescendu sur terre, ne reconnaissait pas les deux types qui lui souriaient. « Salut moi c'est Peace, and moi c'est Love, on est là pour toi trouduc ». En réalité deux flics à l'humour douteux, qui l'embarquèrent dans le panier à salade vu que ça sentait le roussi. En cuisine aussi d'ailleurs, le cuisto immortalisant la scène au Smartphone.
Après la lâcheté, l'hypocrisie générale. Une fois le type sans plus de matières grise que l'on s'obstinait pourtant à dégriser embarqué, chacun s'apitoyait sur le sort du pôvre homme. On palabrait criant au scandale social, on fustigeait une société injuste et corrompue, on se rêvait à changer les choses. Oui il fallait agir, mais aucun ne savait comment sans peur d'attraper le virus de sa douleur. C'était pourtant simple, lui dire quelques mots ou glisser un regard avant que l'épicerie ne décide de lui ouvrir les portes de son enfer.