Piège à cons

Ce maudit mur me barre la route. Il se dresse devant moi aussi inflexible que le point d'exclamation dressé au-dessus de ma tête... Enfin c'est une image, vous l'aurez compris ! Un mur invisible, c'est un peu fort de café. J'ai beau courir, tenter de le défoncer à coups d'épaules au risque de blesser mon joli dos, aux dires de notre voisin... Moi je ne sais pas, je ne me suis jamais vue de dos ! Ce barrage demeure infranchissable. Prendre ma tête pour un bélier ne sert strictement à rien. La migraine pointe déjà le bout de son nez. Aucune prise accessible, aucun moyen d'escalader ou de l'enjamber... Je ne peux pas rester éternellement plantée là au milieu du couloir !

Marcher active étonnement mes neurones et au passage galbe mes fesses de déesse... Reprenons les choses depuis le commencement. Je me suis réveillée à cinq heures pétantes, ôtant de mes yeux le masque de sommeil rose dragée que j'ai eu un mal fou à dénicher sur Internet. Mes pieds se sont glissés au fond de mes pantoufles roses bonbon à pompons et j'ai enfilé outrageusement mon peignoir rose saumon. Avant de rejoindre Lynda, ma colocataire, pour le petit déjeuner, j'ai pris une douche pour émerger complètement. J'ai enfilé ma panoplie d'hôtesse d'accueil d'un grand magasin de marque outre-Atlantique jusqu'au sourire forcé, surentraîné, épuisé mais toujours là, ma coiffure et mon maquillage accentuant mon apparente perfection. Bref, j'étais d'attaque.

J'ai beau retourner le scénario de mon lever mille fois dans ma tête, je ne vois pas quel impair j'aurai pu commettre expliquant la soudaine apparition de cette barrière qui bloque l'accès à notre garage double (il faut bien ça pour une Twingo et une Zoé). Je me résous à faire demi-tour et à passer par l'extérieur même si la fraîcheur du matin me donne des rides... Je parviens finalement au bout du couloir qui relie notre garage à notre superbe pièce de vie, marchant d'un pas alerte, je ne vois pas venir le coup... qui a bien failli me rompre le cou. Une autre barrière invisible me coupe dans mon élan. Une sévère claque... Mon fond de teint va tourner... Mais d'où vient cet autre mur ? Il m'empêche de progresser plus loin. Je me retrouve coincée dans ce fichu couloir aux murs recouverts d'un papier rose persan, prisonnière de ma propre demeure. J'ai la sensation de vivre un mauvais film d'anticipation où plusieurs dimensions se mêleraient les unes aux autres, enfermée dans un cube... rectangulaire. Un medley de piège de cristal, de piège en eaux troubles, de piège en haute mer, de piège de feu, que sais-je encore ! Piège à cons oui !

Cela ressemble plutôt à un mauvais tour de sorcellerie. Mais oui ! C'est ça ! Notre nouvelle voisine affublée d'un look gothique délavé ! C'est elle ! Cette espèce de sorcière ! Dès son arrivée dans notre quartier, j'ai senti son aura maléfique à plein nez, le genre de sangsue prête à jeter son dévolu sur les âmes faibles. Quelle gourde ! J'aurais dû m'en douter! Rongée par la jalousie, elle a jeté un mauvais sort sur notre maison. Notre réussite professionnelle et matérielle, notre jeunesse, notre beauté naturelle... Lynda, brune ténébreuse et moi, blonde fatale, un QI s'élevant à 180... toutes les deux réunies ! De quoi faire des jalouses ! A tous les coups, elle veut nous faire passer pour folles à lier. Je l'imagine s'esclaffant, souriant à l'aboutissement de son plan machiavélique et arpentant le quartier pour monter nos amis contre nous ! Quelle garce ! Elle ne perd rien pour attendre ! J'appelle Lynda de toutes mes forces, elle ne me répond pas... encore un maléfice de la sorcière...

« T'es bête ou quoi ? Tu peux pas aller là tant que t'as pas atteint le niveau 3 !
– Pff ! Ça me saoule ton jeu.
– C'est celui de ma sœur, ma vieille a planqué les jeux de tir... Tu dois d'abord vider le frigo, te laver. Là, tu atteins le niveau 3 et après tu peux sortir ta voiture.
– C'est ce que j'ai fait !
– Mais non ! Tu t'es d'abord lavé, c'est le contraire qu'il fallait faire.
– Sérieux ? Faut que je recommence tout ? Complètement débile ton jeu... »