Pour l'étendard des Véritables

Lézard Des Dunes

Je rêverais de le rencontrer.


C’est ce que je me disais à l’instant. Alors que mon regard était encore fixé sur la face de flétan frémissant qui semblait jouir sur place.


Comme un appel, une transe. Aëllasy grondait en moi, indignée, ne pouvant supporter que sa force et sa magie soient aussi vilement utilisées par des êtres aux désirs dénués d’élan et de noblesse. Dont le seul but était de faire valoir leur égo aussi insipide qu’un coeur de fange sous un vernis d’huiles parfumées, qui aurait refroidi et durci, comme le la cire.


Mon poing se serrait.


Esquissant une moue satisfaite, l’imposteur peinait à contenir son autosatisfaction. Comment y résister ? Tant de compliments dégoulinants, tant de coups de langues bien placés sur la surface lisse de ses bottes, ou sur la surface lisse de ses couilles. 


Car c’était bien un représentant du sexe masculin, comme souvent dans ce genre de cas, malheureusement si communs.


Un frisson parcourait ma nuque.


Je n’avais même pas 19 printemps, et déjà, les affres tumultueuses de l’impatience envahissaient mes tréfonds. Comme les tambours de ces sourdes colères qui battent le rythme de nos poitrines, où se mêlent en osmose indignation, colère et volonté.


Oui, ces imposteurs, je les méprise. Je ne leur offre même pas la pitié qu’il ne mérite en aucuns cas. Je ne peux pas accorder de mérites à ceux dont l’unique but est de violer l’essence même de la magie des mots pour en faire leur propriété. Pour en faire leur faire-valoir face aux masses ignares qui appellent ça talent.


Un artiste est un serviteur.


Un artiste est un être qui se dévoue, corps, et âmes. Qui ne cherche pas les futiles, qui ne cherche pas la gloire, l’invraisemblable éternité, ni l’adulation, ni le profit, ni la domination.


Un artiste est un soldat, un outil tenu par les mains de l’inspiration et des idées. Un soldat du bien, et de l’espoir, qui ne peut offrir au monde plus de relents putrides qu’il n’en subit déjà.


Il n’en a pas le droit.


Car en cela résigne son devoir devant l’éternité des histoires, des poèmes et des mythes. Qui se passent de noms, qui se passent de mains, qui grandissent au creux des âmes, qui se transforment aux souffles des transmissions.


Rien ne reste, que l’essence de ces histoires, que les essences de ces créations mystiques qui transcendent de leur seule existence les limites réduites de nos humanités.


Je rêverais de le rencontrer, ce serviteur, ce soldat. Qui sert l’infini des mots. Comme les passeurs trop rares de ces majestueux flambeaux, qui survécurent et survivront aux éternels combats.


Mais celui-là, je ne l’ai pas encore croisé. Je n’ai pas encore perçu ses sagesses, ni tenu sa main tendu, comme celle d’une soeur ou d’un frère.


Qu’il me montre comment passer les pièges, éviter les embûches et les fossés qui tendraient à nous écarter de cette voie pour rejoindre ces routes asphaltées de ceux qui pensent briller en utilisant cette magie, en croyant en faire leur jouet.


Qu’il me montre l’essence de la volonté de ne jamais interrompre mes pas, de toujours regarder le chemin, sans pour autant en oublier les fins.


En attendant, je ferais comme mon coeur et mon âme me le dicte.


Je rouvris les yeux, les discussions portaient maintenant autour du travail fantasmé de l’usurpateur.


« Et c’est récent comme travail ? »


«  Ha ha ! Non, bien sûr que non. C’est un vieux bout de textes. J’avais totalement zappé cette conférence autour du numérique, alors quand le recteur m’a rappelé les dates, j’ai farfouillé de vieux tiroirs la veille, et je suis tombé sur ce truc. Même pas fini ! J’ai donc fait les 4 dernières pages à l’arrache entre 2h et 3h du mat. Mais, bon, ce n’est pas le meilleur de tous… »


«  Oh ! Le mérite est d’autant plus grand »


Je ne prêtai pas attention au reste des gloussements et autres fellations verbales pour une oeuvre à l’esthétique et au fond douteux. Ainsi qu’en grande partie pour son auteur à l’esthétique et au fond, eux aussi, flétris de pourissures.


Un sourire discret s’était tracé sur mes lèvres. La crédulité des peuples m’étonnera toujours.


Car en traduction d’entre les lignes, ces mots d’imposteurs signifient :


« Oui, c’est un boulot récent, mais vu que ça va bientôt faire dix ans que je préfère m’astiquer la queue, je n’ai pas évolué depuis. Donc je fais passer ça pour une oeuvre de jeunesse, car je sais que c’est à chier, mais ce simple fait me protège de toutes critiques, car faisant référence à une époque supposée révolue, et par ce fait, deviennent inutiles. De plus, je bosse ce texte depuis maintenant une semaine, car je comptais bien me faire mousser auprès de gens littéraires dans ce stage inutile. J’ai choisi entre plusieurs textes pondus et travaillés de prendre le meilleur en vous faisant croire que je vous montrais du médiocre pour vous faire baver devant un illusoire chef d’oeuvre. Et vous avez tout gobé parce que j’ai de la tchatche et parce que vous êtes des bouffe-étrons qui n’ont jamais eu le courage d’apprendre à décoder »


Pour faire simple et abréger. Ou comment perpétuer la façade, même pour ces fidèles.


Je fermais de nouveau les yeux, murmurant pour moi-même que je mettrais toutes mes forces pour reprendre des mains de ces rapaces l’étendard noble de nos devoirs en tant que créateurs au service des mots.


En espérant que ces mots vous touchent, ou vous transpercent.


Que vos muses vous inspirent.

 

Signé Lézard des Dunes © 2012

Signaler ce texte