Pour Marie
Paul Stendhal
Il y a bien longtemps, et pourtant il me semble que c'était hier !
Ce soir là, Germaine, comme d'habitude, prenait son service, et se rendait auprès de ses collègues, de qui elle recevait ses transmissions. Elle était aide soignante, et presque en retraite.
Jeune étudiante, et pour payer mes études, je travaillais de nuit.
Ce soir là, fut un soir qui à jamais marqua ma vie.
L'infirmière de jour, m'informa de l'état du service, et des jeunes patients qui y étaient.
Pauline, qui depuis quinze jours, dormait dans le service auprès de sa fille, avait accepté, sur les conseils de l'équipe de jour, de rentrer chez elle, pour vraiment se reposer. Elle avait quitté le service vers vingt heures, non sans rassurer sa fille, en lui disant qu'à son réveil le lendemain matin, elle serait là, pour son petit-déjeuner avec des croissants frais et chauds, qu'elle aimait tant.
Pauline, ce soir là, avait les yeux cernés comme un ciel d'orage, et était si amaigrie !
Ce soir là, elle accepta de rentrer chez elle, pour y passer une nuit paisible.
Germaine, avait fini de prendre ses consignes pour la nuit, et je réunissais mes deux collègues pour leur faire part de mes directives pour la nuit.
En entrant à vingt-deux heures, dans sa chambre, je voyais ce petit corps décharné, encore éveillé. Il me fallait lui faire une injection, afin de pallier aux effets du traitement qu'elle avait reçu dans la journée.
Pas un rictus, pas une grimace, rien, quand je l'ai piquée, mais juste un regard, celui de ses yeux d'un bleu-nuit, qui fixait le plafond de la chambre, et qui était vide, mais si vide !
Cela faisait cinq mois qu'elle n'avait plus dit aucun mot, qu'elle ne parlait plus.
En sortant de sa chambre, je lui ai souhaité une douce nuit. J'avais à peine ouvert, la porte, qu'elle me parla !
Elle m'a dit juste cinq mots ; « je ne veux pas mourir ».
Le dos glacé, et des larmes qui pesaient des tonnes, le coeur en miettes, je n'ai rien su lui répondre.
Elle n'avait que huit ans, et dans le service nous la connaissions depuis ses quatre ans, pour une redoutable maladie, pour laquelle à l'époque nous n'avions pas de traitement.
De retour dans mon bureau, j'ai demandé à Germaine, de prendre une chaise, et de s'asseoir devant la chambre de cette enfant et de la surveiller tout particulièrement. Quatorze autres petits bouts de choux, attendaient mon passage du soir !
A minuit, Germaine est venue vers moi, les yeux noyés d'un torrent de larmes, pour me dire, que cette petite vie, avait cessé de battre.
A ce moment, les mots ne sont rien, et les sentiments explosent.
Responsable du service, j'ai dû, appeler les parents, pour leur signifier que l'état de santé de leur petite fille s'était aggravé, car nous n'avions pas le droit d'annoncer la mort par téléphone.
C'est la maman qui m'a répondu, et de suite, elle a compris et su, que son tendre amour n'était plus.
Trente minutes plus tard, toute une famille, quatorze personnes, était présente. J'ai dû soigner la grand-mère, qui avait fait un malaise, calmer la maman, qui pleurait sa fille disparue, et laisser le papa se coucher sur le corps sans vie de sa petite fille de huit ans.
Six heures plus tard, j'ai dû, prendre le père dans mes bras, et l'emmener en dehors de la chambre, où reposait enfin paisiblement sa fille.
J'étais jeune étudiante, et trente ans après, il me reste dans les yeux, un regard, celui d'un bleu-nuit profond, et cinq mots.
Aujourd'hui, et depuis ce temps, je fais un rêve, le même chaque nuit, celui de ma grand-mère qui m'accueille après la vie, en me tendant une de ses mains, avec un sourire de paix, et quand, je la lui prends, je vois dans son autre main, une petite fille de huit ans qui me sourit, et qui enfin semble heureuse et sans souffrance. Son regard bleu-nuit scintille !
Alors je la serre dans mes bras, et je l'embrasse de tout mon coeur.
C'est à toi, belle enfant, à toi MARIE, que je dédie ce texte.
.
Pour MARIE.
© Paul Stendhal
Comment est il possible, qu'un tel texte ait pu m'échapper ? J'imagine ce sentiment d'impuissance face aux douleurs de la maladie, d'autant plus chez un sujet si jeune...les paroles bouleversantes de cette petite Marie, ne peuvent que résonner à jamais ...měme pour un personnel médical confronté régulièrement à ces problématiques, si je puis m'exprimer ainsi., .inconcevable d'y rester insensible..Ce souvenir õ combien marquant, est traité avec beaucoup de tact, de tendresse et d'ėmotions, malgrė la douleur de cet horrible moment,, le rêve final apporte une lueur d'espoir et d'apaisement.. .Merci Paul,de garder cette petite Marie dans ton coeur...
· Il y a plus de 4 ans ·marielesmots
Bonjour marielesmots,
· Il y a plus de 4 ans ·En premier lieu, je tiens très sincèrement, à te remercier pour ta lecture, ton appréciation, ton commentaire avisé, ta note, et ton coup de cœur, sur ce texte, qui relate, hélas, une histoire vraie et vécue, à l'époque de mes jeunes années, lorsque j'étais étudiant en médecine.
Ne culpabilise pas si tu n'avais pas lu ce texte avant, mais tu sais, on ne peut lire tous les écrits qui paraissent, et rassure-toi, moi aussi il y a beaucoup de récits que je n'ai pas lus.
Le "Sacerdoce" de la Médecine, ne protège en rien de la douleur et de la souffrance que l'on peut éprouver, à la mort, d'une personne, et durant toute sa vie le sentiment d'échec ressenti au cours de ces épreuves, nous tourmente en permanence d'une souffrance lancinante, quelle que soit notre personnalité.
Pour chacune et chacun d'entre nous, exerçant cette noble profession, chaque mort n'est jamais semblable à une autre, et constitue une épée de Damoclès, qui à chaque fois, s'enfonce un peu plus dans notre corps, dans notre cœur, et dans notre âme. Jamais, non jamais, on ne s'habitue à ces situations tragiques, et quelle que soit la "cuirasse" que l'on porte, cela nous renforce pour savoir toujours continuer à mener le bon combat, celui de la "VIE".
L'émotion, est toujours au rendez-vous, et ce n'est en ne la refoulant pas, que l'on peut continuer à avancer sur le chemin bien difficile des soins, et de la lutte contre cet ennemi mortifère.
Le rêve final, est effectivement une lueur d'espoir, et d'apaisement, et il me plaît à penser, qu'un jour prochain, quand l'heure au cadran de la montre se sera arrêtée, que je pourrais revoir ces vingt et un petits grammes (masse de l'âme humaine) d'Amour, et tant d'autres, afin qu'ensemble, nous ne fassions plus qu'un pour l'Éternité dans cet empyrée de Paix et Bonheur auquel chacune et chacun de nous espérons, et aspirerons, en ce moment ultime.
Je te remercie encore, très chère marielesmots, pour ta sensibilité, ta tendresse, et ta délicatesse.
Je te souhaite, un agréable après-midi, et que le soleil, brille dans ta Vie.
Je t'embrasse bien Amicalement.
Au plaisir de te lire.
Paul Stendhal
C.E. le mardi 07/04/2020.
Paul Stendhal
Comme vous le savez, je découvre vos textes petit à petit, et celui-ci est encore un très joli travail de réalisé parmi le réseau des émotions. Après cette lecture, je me dis qu'il est impossible que le nom de Martin Winckler vous soit inconnu. Son roman En souvenir d'André est remarquable, tout à fait dans la lignée de ce qu'il entend lorsqu'il parle des "soignants". Et dans ce que vous avez écrit, on perçoit la résonance de ceci.
· Il y a plus de 10 ans ·jean-baptiste-machen
Bonjour Jean-Baptiste,
· Il y a plus de 10 ans ·Je vous remercie très sincèrement pour votre visite, votre commentaire éclairé, et votre note.
Il est vrai que dans le registre des émotions vécues, le personnel soignant est au première loge, et tout comme ce médecin, se doit de les surmonter au jour le jour, afin de pouvoir continuer le chemin de la vie, auprès de celles et ceux qui ont tant besoin de leur écoute et de leur amour.
Je connais Martin Winckler de nom, mais je n'ai malheureusement pas lu ce roman de lui, "En souvenir d'André".
Je vous remercie encore pour votre avis, qui m'est toujours précieux.
Au plaisir de vous lire.
Bien amicalement.
Paul Stendhal
Paul Stendhal
C'est très intense, et tout en retenue et en discrétion en même temps, malgré la tristesse. Une belle tristesse, en somme. Merci pour ce texte poli comme un petit bijou.
· Il y a presque 11 ans ·luz-and-melancholy
Bonjour luz-and melancholy,
· Il y a presque 11 ans ·Je vous remercie de votre touchant commentaire. Comme l'écrit Christian BOBIN, "Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit. C'est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour."
Au plaisir de vous lire.
Bien amicalement.
Paul Stendhal
Paul Stendhal
Et merci pour cette belle citation, si poétique et si vraie à la fois.
· Il y a presque 11 ans ·luz-and-melancholy
Bonsoir luz-and melancholy,
· Il y a presque 11 ans ·Merci à vous pour vos commentaires toujours si pertinents !
À bientôt de vous lire.
Bien amicalement.
Paul Stendhal
Paul Stendhal
je venais te visiter. J'ai lu ce texte très triste mais aussi très pudique. Une écriture d'"abandon" remarquablement écrite et prenante".
· Il y a environ 11 ans ·elisabetha
Bonsoir Élisabetha,
· Il y a environ 11 ans ·Je te remercie sincèrement pour cet élogieux commentaire. Il fallait qu'il y ait ici de la pudeur, face à l'ingénuité du monde de l'enfance devant l'inacceptable mort d'une jeune enfant.
Au plaisir de te lire.
Bien amicalement.
Paul Stendhal
Paul Stendhal
Bonjour Pawel,
· Il y a environ 11 ans ·Je ne sais pas si c'est l'un de mes meilleurs textes, mais ce que je sais, c'est que c'est l'un de mes pires souvenirs, sachant la totale absence de traitement curateur à l'époque contre cette terrible maladie. Ce souvenir ne m'a jamais quitté, et à mon dernier souffle il me hantera encore !
Je te remercie Pawel, pour ta grande sensibilité d'écoute et de partage.
Au plaisir de te lire.
Bien amicalement.
Paul Stendhal
Paul Stendhal
Paul voici probablement l'un de tes meilleurs textes, tout a fait dans la veine de ceux du sage coyote , avec des mots simples conter la vie , bravo ...
· Il y a environ 11 ans ·Pawel Reklewski
Bonjour Nicole,
· Il y a environ 11 ans ·Il est des souvenirs impérissables !
Merci Nicole pour ta gentille visite.
À bientôt de te lire.
Bien amicalement.
Paul Stendhal
Paul Stendhal
Un bel hommage Paul. Très émouvant !
· Il y a environ 11 ans ·nilo