RACAILLES

Simon Raket

Il y a des quartiers où on lance des pierres.

Chez nous, les pierres... c’était nous.

J’étais assis à l’arrière du bus quand je t’ai reconnu. T’étais toujours là. T’avais pas bougé depuis 15 ans. Toujours là, les coudes sur les genoux, sous le même abribus, lui-même sous le même crachin et la même chape de plomb.

Lacoste.

Ça, ça avait changé.

Avant, ç’était pour les péteux, Lacoste, pour les bourgeois.

Puis avec ta casquette trop petite et ton froc dans les chaussettes, on t’aurais traité de pédé, à l’époque, c’est sûr.

Tu faisais toujours ta tête de gangster, celle que tu répétais dans le miroir de ta salle de bain, et tu passais toujours ton temps à la création humide d’une parabole de crachats autour de la place où tu étais assis.

À te voir là, j’ai cru un instant que j’allais me voir débarquer avec ton frère, puis les flics, la fouille, la nuit au poste, ton frère qui foutait le bordel dans le commissariat.

Je me souviens qu’on disait qu’il ferait pas de vieux os, ton frère. Trop de talent pour les conneries. Une véritable aptitude naturelle pour les trucs qu’il faut pas faire.

T’as levé les yeux vers le bus, moi j’ai regardé mes chaussures.

J’avais pas envie que tu me voies, pas envie de t’avoir vu, j’ai changé, moi.

Bien sur, j’ai pas de boulot non plus, ni d’enfants mais... j’ai changé. J’ai pris du galon dans la vie. Maintenant je prends le bus. Toi tu restes à l’arrêt.

Le bus est reparti et toi t’es resté là, sur le même square qui en a vu de toutes les couleurs.

T’étais toujours là.

Ton frère pas.

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