Refaire le monde
petisaintleu
Quand j'arrivais en janvier sur Moulins, je me liais d'amitié avec Frédéric. Lors de ma première visite chez lui, je mis les pieds dans le plat avec toute la finesse qui me caractérise. Je lui avouai que je trouvais que sa mère faisait très vieille, ce qu'il s'empressa d'aller répéter. Il faut dire qu'elle sortait de sa troisième grossesse.
Quand nous étions en quatrième, son frère nous rejoignit en sixième dans le même collège. Je fus étonné un matin quand il se précipita vers moi, l'air totalement déboussolé. Nous nous connaissions bien sûr mais on ne peut pas dire que nous nous fréquentions.
J'étais dans la cour de récréation et lui venait de l'entrée secondaire qui donnait sur une place. Il m'aborda en me sortant des bribes de phrases totalement incompréhensibles. Je compris « Fabienne … maison … disparue ». Je lui demandai de se calmer et de tout me répéter plus calmement mais rien n'y fit. Après deux essais infructueux, je l'envoyai promener et je le vis se précipiter vers le prof d'allemand qui apparemment ne prêta guère plus d'attention à l'incohérence de ses propos.
C'est à l'heure du déjeuner que nous apprîmes la nouvelle.
Comme très souvent, Antoine accompagnait Fabienne au collège. Un parcours sans encombre dans cette petite ville provinciale où rien ne se passe. Jusqu'à ce matin-là. Pour une raison inconnue, Antoine avait pris quelques longueurs d'avance sur Fabienne. Soudainement, il entendit un cri. Le temps de se retourner et il eut à peine le temps d'apercevoir un bras tirant la collégienne dans une maison. Il s'y précipita mais le temps de franchir les quelques mètres et la porte s'était déjà refermée. Il ne perçut que quelques cris étouffés. C'est ce qu'Antoine essaya de m'expliquer par borborygmes quand je le croisai.
La suite, nous l'apprîmes par les medias. La maison était vide de tout occupant hormis un ouvrier. Personne ne comprendra ce qui alors lui passa par la tête. C'était une personne à priori sans histoire et sans aucun passé remarquable au niveau de faits judicaires. Nous avons tous notre part d'ombre. La vie sociale, les règles sociétales, les tabous ou les lois sont autant de garde-fous qu'il annihila pour des raisons qui resteront à jamais inconnues. Un plomb sauta, une mauvaise connexion neuronale le conduisit vers 8h20 à commettre l'incommensurable.
Après avoir violé Fabienne et l'avoir étranglé, la raison dut reprendre le dessus. Face à l'horreur de son geste, il choisit de mettre fin à ses jours. Il se précipita sous le train corail reliant Paris à Clermont-Ferrand.
Je ne peux pas dire que cet événement m'ait alors particulièrement marqué à l'époque. Mon quotidien reprit vite le dessus. Ce n'est que quelques années plus tard que c'est revenu comme une résurgence incontrôlée de ma mémoire. Je m'interroge depuis lors. Fabienne serait-elle encore de ce monde si il y a trente ans, j'avais été plus attentif à Antoine, si nous avions alerté ensemble un professeur qui aurait lui-même contacté la police qui se serait de suite rendue sur place ?
Mais vous savez ce qui est le plus difficile ? J'ai trituré dans tous les sens les moteurs de recherche. Je n'ai trouvé aucune trace du drame. Qui aujourd'hui s'en souvient encore en dehors de sa famille ? Alors, je te l'écris, Fabienne, comme une trace éternelle à ta mémoire : repose en paix.
Bel hommage. Le pire est qu'il y a sans doute pas mal d'autres Fabienne dont la disparition n'a pas suscité le moindre entrefilet.
· Il y a plus de 10 ans ·divina-bonitas
Un évènement tragique qui marque un enfant
· Il y a plus de 10 ans ·marielesmots
Je dois avouer que sur le moment, je n'avais pas mesurer l'ampleur du drame.
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu
Oups! En effet c'est triste. Comme quoi le destin... Le prof d'Allemand doit peut-être aussi se poser des questions. Tu n'y peux rien . Le temps de réagir, il était déjà trop tard. Certainement. kiss
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
ben oui, toujours facile les regrets avec le recul. Je relisais mes nouvelles. Je me dis qu'il m'est arrivé de drôles de trucs quand même.
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu
C'est ta vie! Et tu n'as pas terminé!
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Inch Allah, comme on le dit dans le patois de Saint-Denis.
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu
:oD
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Le Ch'ti est moins pratiqué.
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu