Rêve party

valjean

Rêve party

Mais, ce n’est pas vrai !

Ton cri m’arrache de la nuit ou du jour, ou des deux, car la lueur à travers les fentes du volet est incertaine et équivoque, marque d’un combat où ténèbres et clarté tireraient chacun de leur côté la couverture, désorientant le peuple nocturne, et mêlant hululements éraillés et cris du coq déchaîné dans un duo de plumes incertain.

Suzy, pourquoi m'as-tu chassé de cette île déserte où je vivais des amours multiples et passionnés avec toutes celles que je n’ai jamais eues, où tout était facile, où j’étais devenu beau et musclé, et où je dansais léger comme jamais plus je ne le serai ?.

Les visages graciles s’estompent déjà de mes pensées, les peaux sucrées s’affadissent, et le sable chaud de mes rêves tiédit dans mon souvenir, la main est lourde et le carnet trop loin pour noter les passages les plus doux de mes voyages lointains.

Se rendormir, vite, replonger dans mon rêve et ignorer Suzy...

Combien de temps s'est-il écoulé, 10, 15 minutes, l’aube semble moins incertaine et les bruits du jour se dessinent dans mon paysage encore endormi ?

Déjà, les premiers braiments des ânes se font entendre sur la colline, et se mêlent à tes pleurs Suzy.

Tu as presque gagné, tes pleurs, loin de m’avoir permis de retrouver la nuit de mes rêves m’ont plongé dans une caverne nauséeuse dont la couleur ressemble étrangement au halo de cette chambre, la musique y est malsaine, celle de tes pleurs répétés peut être, et les créatures infâmes et sans grâce ne soulagent plus mon dos, que déjà je ressens douloureux et pas soulagé de cette parenthèse nocturne.

Suzy, quand nous nous sommes quittés hier, tu es partie, telle Cendrillon, par la fenêtre enchantée, me promettant de ne pas revenir avant le vrai matin,  celui d’une fin de semaine où le réveil reste bien sagement sur la tablette.

Je t’ai laissé toute liberté, toute possibilité de rencontre à une seule condition : me laisser dormir.

Après, comme nous le faisions depuis quatorze ans déjà, nous nous serions retrouvés, réchauffés, je t’aurais, écarquillant légèrement une paupière, admiré t’étirant, lascive et épuisée, puis venir t’étendre à mes côtés, me mordiller l’oreille, et te serrer contre moi pour un nouveau songe à deux de quelques heures.

Suzy, je te hais, mon dos n’est pas prêt, mon corps ne répond pas, je n’ai pas encore ressenti le frissonnement frais courir sur mon échine, commençant par l’extrémité de mes orteils pour se dérouler, de longues minutes plus tard, comme un souffle douillet, jusqu’au sommet de mon crâne.

J’aurais revécu cette nuit, préparé le jour qui éclosait, j’aurais eu la joie de me sentir léger, comme tout à l’heure dans cette île.

Suzy, pourquoi m'as-tu fait cela ? De toute façon, je ne suis pas présentable tu le sais.

Quand tu es partie hier soir, j’ai longtemps lu, la fenêtre ouverte, après avoir capté le champ d’étoiles et fait des voeux, il y a toujours des étoiles filantes dans les nuits du Jura.

J’ai écouté si je ne t’entendais pas au loin, puis j’ai éparpillé mes habits partout sur le lit, comme le vieux garçon que je suis resté.

La nuit m’a cueilli sur une page, dont les lignes étaient devenues vagues et dansantes.

Je sens le livre là-bas sur l’oreiller à côté de moi, les pages assoupies sur le tissu.

Suzy, je te maudis, pourquoi ne t'arrêtes-tu pas, ne peux tu pas prolonger tes errances nocturnes ?

Je sais que dans quelques instants je vais sortir mon bras de la couette chaude, que l’air pourtant estival va me refroidir et créer de multiples frissons sur ma peau endormie, je vais, le pas ivre de sommeil, et les yeux toujours clos mais connaissant le parcours semé de chaises et de placards, me diriger vers la fenêtre, ouvrir les volets en bois, me pencher (Pourquoi es tu restée si petite ?) te saisir et te serrer dans mes bras, humant sur toi les bonnes odeurs de la nuit, l’herbe sèche où tu te seras roulée, les feuilles que tu auras effleurées, et le bois sur lequel tu auras fait aller et venir tes pattes toutes en velours et en griffes.

Mais pour l’heure, vraiment je ne peux pas.

Mon corps ne le veut pas, et mon âme que tu agaces par tes miaulements répétés essaie en vain de bouger et faire démarrer ce corps lourd et désobéissant, le moteur est grippé et engourdi.

Suzy, mon gros bébé chat , ne pourrais tu pas me laisser dormir ?

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