"Risus mortis" — Le rire du mort

Christian Monnin

Contribution au concours Polabox

Le vieil homme était mort quatre jours auparavant, avec l’été, entouré de ses enfants tout juste arrivés de l’autre bout du monde. « Vous êtes tous là ? Alors, je pars. » L’étreinte de la main se relâche, les traits du visage se détendent, il avait l’air franchement soulagé. Ce mardi-là, au complexe funéraire, la famille proche — du moins par le cœur — est en deuil, mais heureuse d’être rassemblée. Un préposé ouvre les portes de la salle où le défunt est exposé, terriblement amaigri par sa longue lutte avec la maladie. Il avait toujours été le pivot, le point de ralliement par-delà les brouilles ou les fâcheries qui émaillent la vie d’une coterie. Le patriarche, comme on l’appelait en plaisantant — à moitié seulement. Ce sont des funérailles et des retrouvailles. Il y a des pleurs de douleur et de bonheur, des paroles de réconfort, des accolades. Les souvenirs se bousculent. Et pourtant, on parle de choses insignifiantes pour renouer contact avec ceux qu’on n’a pas vus depuis longtemps. La mort est une chose trop grande. Elle écrase de chagrin la veuve vaillante qui est entourée, mais isolée, par un halo d’empathie et aussi, il faut le dire, de gêne. Tous se sentent impuissants. Personne n’ose rester longtemps à ses côtés, sinon ses enfants qui la soutiennent et détournent quelques bavards indélicats dont elle ne peut, en ce jour, supporter que les condoléances.

Après ces longs moments d’émotions contrastées, un sosie parfait de Mr. Bean déboule avec une raideur maladroite, presque chancelante. Il réclame l’attention, se présente comme le « crématiste » et parle de feu Monsieur… Deux douzaines de paires d’yeux incrédules se braquent sur lui. Et un premier rire fuse, impossible à contenir. Puis un second retentit, libérateur, et bientôt toute l’assistance est écroulée, presque morte de rire si l’expression n’était pas déplacée. Je suis pris d’un fou-rire que je renonce à juguler, parce que non, l’expression n’est pas déplacée, le vieux adorait rire et doit se bidonner aux larmes lui aussi, sauf que ça ne se voit pas. Je décide finalement de prendre l’air pour retrouver ma sérénité.

Quand je suis sorti du complexe funéraire, le ciel ressemblait à ça : un brasier de soleil avec un bateau de nuages, à bord duquel le vieux avait sûrement déjà bu plusieurs coups à sa santé avec le nautonier. En rigolant.

  • j'ai connu ce genre de vécu pour d'autres raisons aussi amusantes: deux fois! dans ma vie! Quels souvenirs! C'est terrible d'éclater de rire en pleines funérailles. Avec la tête de ceux qui vous regardent de travers, c'est encore plus marrant et ceux qui n'en peuvent plus et qui vous suivent c'était trop bon!!! On en parle encore dans les autres réunions de famille... Merci de cette lecture vous m'avez fait sourire et les souvenirs sont revenus d'un coup.. Amicalement vôtre, je vais boire une bonne bière.:-)))) à votre santé .

    · Il y a presque 11 ans ·
    One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

    vividecateri

  • Un texte qui démystifie la mort, et c'est un bel hommage fait au défunt qui doit boire à la santé de ce contenu. Bravo ! CDC

    · Il y a presque 11 ans ·
    Version 4

    nilo

  • Un texte qui me parle bcp bcp... superbe

    · Il y a presque 11 ans ·
    1

    blonde-thinking-on-sundays

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