Robinson Lénervé

Hervé Lénervé

Depuis combien de temps étais-je, ici ? J’en avais perdu le compte, le décompte et le vicomte.

Quand je vis un matin, non ce n'est pas le matin que je vis, mais la suite de la phrase, à savoir, une survie gonflable (merci Bombard) accoster sur ma plage. Un jeune homme, blond frisé aux yeux clairs, ça va de soi, en sortit et chancelant en flageolant, se dirigea droit sur moi. Qu'est-ce qu'il me voulait l'indien, il avait toute la place ailleurs. Il devait s'appeler Christian, il se nomme tous ainsi et être chrétien, ils le sont tous.

D'un sourire de prosélyte il me dit.

-         Grace à Dieu ! Je suis sauvé !

Gagné ! Je l'avais dit, qu'il était Croyant le Christian de Crétin. Il était ce que j'appelle un CCC.

-         Sauvé de quoi ?

-         De la dérive, par Dieu !

Putain ! La foi en fait dire des conneries !

-         Tant mieux pour toi, mon gars, si ton salut était sur une île déserte, tu as été exaucé.

-         Il n'y a personne ici ?

-         Il y a moi !

-         Mais, non, regardez un feu là-bas !

-         C'est rien !

-         Mais si voyons, je vois une silhouette humanoïde à côté.

-         C'est personne !

-         Comment ça personne ? Il bouge, j'y vais !

-         Tu ne peux pas !

-         Et pourquoi, donc ?

-         Parce que c'est interdit, pardi !

-         Interdit, par qui ?

-         Par nous, mordious !

-         Pardon ?

-         A cause de la frontière.

-         De quelles frontières parle-t-on, c'est tout plat.

-         Et les deux bâtons plantés là-bas, tu ne les vois pas, peut-être ? La foi rendrait-elle aveugle ?

-         Ce ne sont que des bâtons !

-         Non, Môssieur ! Ce ne sont pas de vulgaires bâtons, ce sont les limites à ne pas franchir dans un sens comme d'un autre, une frontière, quoi !

-         Mais pourquoi ?

-         Ça saute aux yeux, non ? Cet indien est noir !

-         Oui et alors ?

-         Alors, rien ! Il est noir et on ne lui parle pas, c'est tout, c'est comme ça !

-         Vous voulez dire que vous ne vous êtes jamais parlé ?

-         Jamais !

-         Mais depuis combien de temps ?

-         J'sais plus ! Des dizaines d'années, il était là avant moi.

-         Regardez un autre feu vient de s'allumer là-bas !

-         Tu ne serais pas obsédé par les feux, toi ! T'es pyromane, ma parole ?

-         Il y a encore une autre personne, là-bas !

-         Non plus ! C'est un jaune !

-         Et alors ?

-         Putain ! On peut dire que t'en tient une couche, toi, je ne vais quand même pas tout expliquer en remontant jusqu'à l'explosion originelle.

-         Quelle explosion ?

-         Laisse tombé, on n'a pas les mêmes Bibles.

-         Regardez ! Regardez !

-         J'ai deux yeux, mais tu peux leur parler comme s'ils n'étaient qu'un.

-         Un homme là-bas et il est blanc comme vous !

-         Oui ! Mais lui, c'est un sal con ! On ne se fréquente qu'à coups de lance et de pierres.

-         Mais vous êtes combien sur cette île déserte à ne pas vous parler ?

-         Je ne sais pas, je suis casanier, je ne sors que très rarement de chez moi.

-         Regardez, regardez !

C'était repartit pour le bégaiement.

-         Une belle jeune femme, là-bas ! C'est magnifique, on pourrait tout recommencer, ici !

-         Ça ne t'a pas suffi, une fois, les conneries. De toute façon personne ne peut l'encaisser la gonzesse, justement parce que c'est une gonzesse et qu'on s'en méfie comme d'une femme.

-         Alors que va-t-on faire ?

-         Rien ! On ne va rien faire !

-         On est perdu, alors !

-         C'est ça ! on est perdu en terre.

Moralité.

Mettez des êtres humains sur une île déserte, envoyez les, sur une autre planète, dans une autre galaxie, perdue aux confins de l'Univers et ils resteront les mêmes cons ! C'est sa nature intrinsèque à l'homme d'être un Gros Con Universel, ce que j'appelle un GCU. Oui, je sais, j'aime bien les acronymes.

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