Rosa

agathe-andrea

Elle est assise là, elle en a oublié jusqu’à mon nom, de temps à autres, un sursaut de mémoire, elle sait qu’il fait beau. Je lui donne son nom, le chuchote ou le crie, elle ne répond pas. Je l’ai toujours connue, elle ne me reconnait plus. Les jours sont semblables, ses aïeux plus fringants, plus présent que sa propre personne. Je la visite, lui conte les heures de notre présent, son regard se perd aux fenêtres, elle sourit dans des contrées qu’elle s’est inventée. Je la couche tendrement, je pleure sur des regrets que moi seule supporte, sur un temps auquel elle n’est plus confrontée.

Je me souviens quand tout cela a commencé, autrement qu’aujourd’hui, elle brodait, s’occupait, s’attardait sur les occupations de ses descendants, nous échangions ; ce qu’il reste de cela s’est volatilisé. Elle est en vie, sans souffrance, déconnectée de tout ce qui est essentiel à nos yeux.

Isolés, nous avons fait le deuil d’un vécu oublié, envolé. Elle porte de jolies rides forgées aux fils de nos fous rires, nous en évoquons les contours, ce qu’il en reste dans nos mémoires, élément qui lui fait défaut.

Elle est assise là, elle en a oublié jusqu’à son nom, ne me reconnait plus.

Je la visite régulièrement, je soupçonne en mon fort intérieur, un léger espoir sans contrôle, l’attente impossible de la voir se lever, que tout contre son cœur, elle me comble de baisers comme autrefois, lorsque j’étais enfant, que je puisse lui dire maman et que cela ait un sens. Mais le temps ! Le temps ne signifie pas sa perte, seulement son oubli, comme parfois je souhaiterais oublié moi aussi, la rejoindre dans sa quiétude, ne pas être seule à souffrir de ses absences. Je reste assise auprès d’une étrangère qui me livre ses annales et parle du présent sans cohérence.

Combien d’années nous reste-t-il avant d’oublier, à notre tour ? Est-ce que dans son dernier souffle, elle me caressera la joue. « Mon enfant, ma beauté… »

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