Sable blanc (6) - Sirènes et course aux sentiments

cerise-david

Je me réveille en sursaut, l’eau me glace le sang. Je me suis encore endormie dans cette foutue baignoire. L’horloge du téléphone affiche 3h48… je sors de ma cuve à songes et m’enroule dans un peignoir. Me fait bouillir de l’eau et écoute le ressac des vagues sur le rivage. Je me recouche dans le lit toujours aussi glacial… mes songes sont entrecoupés, une sonnerie retentit. Je refuse de répondre, mon père doit encore vouloir refaire le monde à 7h du matin… J’ai pas envie de parler de la chasse de l’ours, des touristes et autres randonneurs qui salissent ses montagnes… Ben oui, en achetant un chalet, il s’est approprié les sommets enneigés des Pyrénées… Et depuis, il les protège farouchement des intrus venus des grandes villes de notre chère France. Nation de cons, comme dirait le vieux… après la soirée d’hier je serais tenté de penser comme lui… et puis, je me rappelle l’orage et les gouttes de pluie sur ma nuque. Je me souviens de ses bras en écharpe autour de moi, me protégeant de je ne sais quoi… je me rendors paisiblement. On sonne à la porte. Plusieurs fois, on insiste. J’ai peur que Charles se soit rappelé mon adresse. Je me renfonce entre l’oreiller et la couette… J’attends, que la sonnette s’arrête de tinter. Mais mon visiteur est décidé. Je reprends mon peignoir, 11h02 clignote sur l’écran du micro-onde. Je colle une oreille à la porte… Il n’y a plus un bruit, je ne résiste jamais à la curiosité… je finirais comme boucle d’or. J’entrouvre la porte et découvre une enveloppe marron sur mon paillasson. Je la déchire et tombe sur une feuille au petit format, de belles lettres tracés à la main qui disent ceci :

« J’ai pensé qu'une nuit blanche t’aurait ouvert l’appétit… suis les flèches quand tu es prête… prépare toi à transpirer. Y’a pas de raison que je sois le seul à en chier… »

J’ai souri bêtement, en l’imaginant m’avoir suivi. J’ai souri profondément… et j’ai enfilé un short et des baskets. Le soleil brillait au-dessus de la dune quand arrivé au bout de son labyrinthe je l’ai trouvé assis sous notre paillotte.

Elle a son sourire des beaux jours, j’imagine qu’elle n’est plus en colère mais je me méfie de l’eau qui dort. J’ai une tête d’enterrement mais elle illumine mon visage. Je me suis creusé la cervelle toute la nuit pour trouver une journée de rêve à notre portée. Un truc pas chiant mais romantique, un truc pour une aventurière et un maladroit. Une excursion au bout de la rue…

-          T’as bien fait d’enfiler un short…

-          C’est pas sexy…

-          Tu souris, ça l’ai déjà trop…

Elle me défie. Je devine son impatience, sa tasse de thé est déjà finie et ses croissants avalés. Je la prends par la main et la guide jusqu’au tandem que j’ai attaché à un banc un peu plus loin. Elle me regarde surprise et sors son Ipod pour me glisser un écouteur dans l’oreille. Nous voilà parti à travers les forêts de pins. Les pomme craquent sous la chaleur du soleil d’aout et on s’arrête en route pour se gaver de mures jusqu’à en avoir la langue et les dents noires. Elle rit aux éclats à chaque démarrage, on tangue sur quelques mètres avant de se lancer et repartir toujours plus loin dans la forêt. On pédale jusqu’à plus souffle et je sens qu’elle se laisse porter plus qu’elle ne la jamais fait. Je pédale pour deux mais je suis heureux…

Je me sens libérée de mon poids sur la poitrine. Je sais que là où je vais-je n’ai pas à avoir peur. Il me tient la main. C’est simple et c’est bien. Juste ce dont j’avais besoin, un coin d’ombre et des mures pour avoir mal au ventre… et savoir qu’on peut recommencer sans se faire gronder. On s’est allongé parmi la bruyère et les fougères. Le soleil filtre à travers les têtes touffues des pins et les écureuils curieux font la sieste nous laissant tranquilles.

-          Faut faire attention aux chutes de pomme de pin.

Il se redresse et me regarde sceptique, avant de me répondre :

-          J’aurais pu me faire bouffer par un requin alors un écureuil qui joue les snipers…

-          Y’a plus de risque de mourir tué par une noix de coco que d’être attaqué par un requin dans les îles. Vu que les plages landaises ne comptent pas beaucoup de requins… et encore moins de noix de coco. T’as plus à craindre des écureuils.

-          Effectivement, si tu fais entrer Darwin et sa théorie de l’évolution dans ton argumentation.

Je suis à quelques centimètres de lui, de son visage et sa bouche qui me dévore déjà. Mais j’ai peur… milles et une peur qui me torde le bide en deux. J’ai à nouveau quinze ans et c’est fatiguant. De se poser des questions… sans jamais oser affronter les réponses. Je pose ma tête sur son torse et le temps se fractionne encore en des milliards d’instants. Lequel sera le bon ?

Je vais pas encore laisser passer une occasion. Elle est là, sur mon poitrail d’homme et j’ai l’impression d’être un puceau. J’ai peur d’avoir oublié et puis, les jours passent. Tout d’un coup un craquement, et une pomme de pin vient s’écraser à quelques mètres de nous. Le bombardement a commencé, on se redresse et elle tourne son regard vers moi. Espiègle, je sais déjà ce qu’elle va me dire… et je me dis que c’est le signal. Que nos spectateurs sont impatients…

-          Avant de mourir, tué par un écureuil j’ai une dernière volonté ?

-          Laquelle ?

Je passe ma main derrière sa nuque et souffle « Celle-là » avant de poser mes lèvres fermement sur les siennes. Elle ne recule pas. Se laisse emmener dans ce voyage savoureux que procurent tous les premiers baisers… Et je sens mon cœur qui essaye de traverser ma poitrine. Il résonne dans mes tympans et j’ai peur qu’elle l’entende aussi. Ses yeux se sont fermés, son visage est enfin débarrassé de plis de colère ou de tristesse… je cligne des yeux pour figer cette image et la ranger soigneusement avec les autres. On restera là des minutes ou des heures avant de rentrer… je la dépose devant chez elle. Sur le perron elle se retourne et me sourit. Je perds les pédales et c’est que le début…

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