Saint Valentin

Saint Valentin

La Saint-Valentin est un triste jour pour moi, car c'est à la Saint Valentin quelle m'a quitté.

Oui, que je vous explique un peu si vous voulez bien. (Et vous voulez hein?).

Comme d'habitude à chaque Saint-Valentin nous avions rendez-vous chez Marcel, un petit boui-boui sympathique ou l'on mange des moules et des frites à volonté pour pas cher, et même que chez Marcel on peut les manger avec les doigts y dit rien et y fournit même les rince-doigts gratuits avec!

J'suis arrivé l'premier, tout pimpant j'avais même mis une cravate et mes souliers du dimanche.

En l'attendant, j'ai commandé deux portions de moules-frites, deux bonnes grosses portions à ras l'assiette !

Pis j'l'ai attendu, attendu, attendu, pis elle est pas v'nue et plus j'l'attendais plus elle venait pas.

Et Marcel qu'y m'disait : « Mais mange quand même tes moules et tes frites elles vont r'froidir ! »

J'lui disais « Ça fait rien ! » Mais lui y m'répondait «  C'est pas bon les moules et les frites froides, allez mange ça la f'ra v'nir ! ».

Et j'ai mangé en me disant que ça la ferait venir, mais elle est pas venue, pas venue du tout...

J'ai tout mangé, ma portion, et sa portion à elle aussi, mais j'pleurais dans mon assiette et Marcel qui m'disait : « Mais pleure pas comme ça dans tes frites déjà qu'elles sont bien salées et les frites trop salées c'est pas bon ! ».

Et c'est vrai qu'c'est pas bon les frites trop salées,  mais j'pouvais pas m'empêcher d'pleurer quand même c'était plus fort que moi, c'était comme une marée qui monte, une marée haute qui déborde de partout.

Et la marée elle a débordée dans mon assiette, et les moules en ont profiter pour se barrer avec la marée, j'aurais fait la même chose à leur place d'ailleurs. Pour une moule, la marée haute c'est la liberté !

Mais Marcel rouspétait avec sa serpillière dans les mains, à essayer d'éponger cette marée qui se répandait dans son bistroquet.

Et y m'engueulait maintenant, en me disant « Mais bon dieu, arrêtes-donc de chialer tu vas nous faire couler la baraque ! ».

Et ça n'a pas raté, la marée a tout submergé, les chaises, les tables, le bistrot tout entier, et tous les clients barbotaient dans la flotte en gueulant que c'est pas croyable des trucs pareils et y en a même qui réclamaient à Marcel d'être remboursés, mais Marcel avait bien trop affaire avec sa serpillière, qui servait plus à rien d'ailleurs tellement y avait d'eau partout maint'nant.

Marcel y savait pas nager, alors quelqu'un lui a balancé un gilet de sauvetage...

Y avait plein de gens qui criaient de tous les cotés dans la flotte qu'était drôlement froide... On entendait des gens qui nageaient comme des phoques essoufflés. Pis après, ça a été un grand silence dans la nuit noire sous les étoiles... On entendait plus rien, sauf nous dans les chaloupes.

Heureusement, au petit matin, le Carpathia est arrivé pour repêcher les survivants et et...

Et Marcel m'a réveillé, j'm'étais endormi dans mon assiette à cause du Muscadet que j'avais un peu trop bu...

Marcel m'a dit «  Mon pauv'vieux, faut qu'tu rentres chez toi maint'nant, de toute façon je ferme, et elle viendra plus à c't'heure ! ».

J'suis rentré chez moi, j'lai attendu encore mais elle est plus jamais venue, je l'ai jamais revue plus du tout de ma vie.

C'est pour ça qu'à chaque Saint-Valentin je peux plus voir une moule sans pleurer, encore les frites j'y arrive, c'est pas pareil, c'est moins vivant, mais une moule, là non je pleure...

En plus, comme un fait exprès, elle s'appelait Emilie Bouchot !

Tiens tu l'inventerais, personne n'y croirait mais c'est pourtant vrai !