Sénior(ita?) à Pôle Emploi
divina-bonitas
Ce matin j'entends aux infos que je fais partie des séniors: 50/65 ans. Incroyable comme l'écart d'âge entre ma moitié et moi qui fit jaser lors de nos épousailles, se trouve réduite à peau de chagrin grâce aux statistiques. Les deux dans le même panier, de paille séchée et percée. Lui est presque en fin de zone, sans que je sache bien dans quel écart type on va le mettre ensuite: super sénior? Troisième âge? Etant pour ma part à l'entrée du tunnel de la pyramide, je ne suis qu'une petite séniorita. La différence reste majeure entre nous: lui a un CV comme il faut, une feuille de papier lisse et sans trous, le mien est un gruyère ou plutôt a une gueule de Fourme d'Ambert, plein de zones d'ombre et d'aspérités. Quatre gosses, deux cancers et des études de travers, des petits boulots et des gros, des années passées apparemment à ne rien faire. Comme si élever quatre marmots n'était pas une affaire. La semaine prochaine j'ai RV à Pôle Emploi. Après tout, pourquoi pas? J'espère que la conseillère aura bu un truc serré pour avaler mon CV et comprendre mon savoir-faire. Comme je ne sais pas mentir, je vais dire la vérité: je peins, écris ou dessine, crée de la vaisselle, des lustres et des meubles, évalue les potentiels des gens et des marchés grâce à mes connexions qui croisent en Z. Bien sûr, je suis la reine de la popote, du débouchage d'évier et du collage de chaises, accessoirement je connais tous les programmes scolaires de la maternelle à la terminale pour les avoir faits quatre fois. En cas de besoin, je peux monter une plaidoirie en droit civil, pénal, social, administratif, responsabilité médicale et tirer toutes les conclusions qui s'imposent en regardant un bilan et une compta. Quoi d'autre? Je vendrais de l'eau à un mec habitant au bord d'un lac, des mois de porte à porte chez Hachette laissent des trâces. Deux ans en tant que bénévole d'une association locale d'aide aux démunis me permettent de comprendre toutes les formes de désespoir. Dix ans au service gratuit des archives locales me donnent tout de même quelque érudition relativement à la vie sous l'Ancien Régime et pas mal de capacités à déchiffrer les manuscrits du XV°. Accessoirement, je joue de la harpe, du piano, parle le russe, danse le flamenco et tricote plutôt bien, baisse du pouvoir d'achat oblige. Léger détail: je n'ai été que très peu de temps salariée à cause de mon caractère et de mon envie de liberté. Je ne peux pas faire femme de ménage, carriste, caissière, ébéniste ou vendeuse à cause du lymphodème de mon bras gauche lequel n'est pas un handicap quand on est gérante majoritaire mais devient fort invalidant quand on est salarié. Tiens, je vais peut-être toucher une pension? Après je serais chômeuse sénior handicapée! Un patron m'embauchera au standard car il aura des aides; je rentrerai enfin dans une case bien nomenclaturée. Là, derrière mon desk stratifié, je monterai le thème astral des employé(e)s, ferai des caricatures, écrirai mon journal de téléphoniste et pondrai une recommandation marketing que je glisserai mine de rien dans le courrier du boss.
Avez-vous remarqué que le retour à l'emploi des mères de famille nombreuse, lesquelles n'ont droit à rien et encore moins bientôt si la loi de finances passe relativement à la baisse du quotient familial et à la suppression de la niche fiscale que sont les enfants du secondaire et du supérieur, n'est que très rarement évoqué sur les ondes? C'est normal. Les bobonnes quinquagénaires n'ont plus de cerveau, c'est bien connu, et pas d'ambition non plus. Si elles en avaient eu un jour, elles n'auraient pas fait autant d'enfants. Des années passées dans les couches et les serpillères, la purée et les manuels scolaires, faut croire que ça concrétionne les neuronnes tout en mixant les synapses!
Pourquoi cette phrase d'une employée du ministère du droit des femmes, dite il y a 15 ans alors que je dirigeais ma boîte et attendais mon 4°, me revient en mémoire: "Madame, il faut choisir entre être patron et faire des gosses!" Je me demande encore si elle aurait dit la même chose à un homme.
Je ne sais pas pourquoi mais ce rdv à Pôle Emploi nous laisse entrevoir de grands moments d'écriture et de lecture...
· Il y a environ 11 ans ·Bon courage en tout cas. Évidemment.
wen
Merci Sophie, je me rends compte que j'ai tout tout faux: je bois (un peu), je conduis ET j'ai quatre enfants! Ne crois pas que les gens se contentent d'intentions. Il y a peu un mufle rustre et macho me dit justement que j'avais qu'à changer de job, oubliant, lui qui n'a pas d'enfants, qu'être mère de famille c'est un sacré boulot avec zéro vacances et encore moins de congés payés.
· Il y a environ 11 ans ·divina-bonitas
"Faire des gosses ou bosser, il faut choisir"... Comme "boire ou conduire..." en quelque sorte!
· Il y a environ 11 ans ·Bref, quelque soit le choix que tu fais, t'as faux!
Quand à retrouver un emploi, les gens bien intentionnés penseront (car ils sont bien trop intentionnés pour le dire...): "Ben ça ma vieille, au lieu de rien foutre pendant 15 ans, fallait y penser avant!!!"
Allez, bon courage Sophie! :)
sophie-l
Merci à Hel et Astrov. Ah oui, il y a beaucoup à dire sur les cases et les impôts, entre autres que même quand on ne rentre dans aucune, les impôts savent vous en trouver une. Malins à Bercy!
· Il y a environ 11 ans ·divina-bonitas
Salut Sweety. Je comprends bien ce qu'a dû vivre ta maman. C'est incroyable de voir le nombre de femmes diplômées méprisées par le monde du travail. Je vais à Pôle Emploi pour la première fois de ma vie, le sourire aux lèvres. Je pense que je vais m'en payer une tranche...de rire, moi qui suis capable de faire tourner un Derviche...carré! Je vois ça comme une nouvelle expérience de vie. C'est cool car l'antenne Pôle Emploi est à côté d'un de mes dépôts-vente préférés!
· Il y a environ 11 ans ·divina-bonitas
tiens j'en parlais ce matin avec une de mes collègues: le retour à l'emploi après une longue pause pour élever les enfants...
· Il y a environ 11 ans ·je prenais l'exemple de ma maman,mère de 4 enfants, et titulaire d'un doctorat en langues étrangères...qui n'a pu trouver de travail dans son domaine d'activité,lorsqu'il a fallu d'urgence trouver un emploi... "vous comprenez Madame, nous n'avons pas de postes à vous proposer, vous n'êtes plus au niveau sur le marché du travail..."
hum bon courage pour ton entretien pôle emploi.la seule fois où j'ai eu à faire à eux, j'ai cru que j'allais les taper!d'une impolitesse et d'une incompétence flagrante!
Sweety
L'ennui, c'est que les petites cases dans lesquelles on vous demande de rentrer sont de plus en plus nombreuses (et bêtes). Votre texte est une vérité de bout en bout! Ajoutons y le flou stressant et odieux sur les nouveaux impôts, le nombre de gens pour qui 2013 est une Première! Ils ont des impôts à payer, alors que non en 2012. Ou bien leur impôt a doublé (bof! 400€ au lieu de 200, on va pas en faire un plat? SI!) Courroucé, il a raison Hel !
· Il y a environ 11 ans ·astrov
Parce que c'est vrai et tellement bien écrit, et que je courrouce toujours devant ce manque de considération pour ceux qui débordent des petites cases formatées.
· Il y a environ 11 ans ·hel
Merci Stephan Mary du commentaire et des cœurs.
· Il y a environ 11 ans ·divina-bonitas
Excellent ! Des neurones bien aiguisés pour synapses en bon état de fonctionnement ! cdc
· Il y a environ 11 ans ·Stéphan Mary