Ses mots de la corde à linge

Je ne la connaissais pas. Elle non plus ne m'avait jamais vu. Nos grand-mères étaient voisines l'une de l'autre, discutaient entre elles, prenaient le thé. Mais jamais elles ne nous avaient présenté. Mamie m'avait dit qu'elle était timide et restait toujours seule. A lire. Emprisonnée dans un monde fait de poésie et de mots. Qu'elle n'était pas vraiment sociable.

Comme moi.

Jamais je n'avais pu parler à une personne du sexe opposé sans rougir et bafouiller comme un imbécile. Alors je gardais le nez dans mes bouquins. A quoi bon sortir? Ma chambre me suffisait. Et ce depuis toujours. Depuis la mort de mes parents. Depuis que j'avais emménagé dans ce coin paumé, en pleine campagne, avec seulement trois chaines de télévision et une station de radio.

Ma soeur, Angèle, s'était faite à cette vie. Elle sortait, allait dans le centre ville avec ses copines pour faire les boutiques ou pour boire un soda au café du coin. Jamais elle ne dépassait les frontières de la ville.

Mamie, elle, les dépassait, mais de très peu, et seulement de dix kilomètre, pour rendre visite à son cousin. Elle prenait alors sa 2chevaux, un panier de pique-nique, s'habillait de sa plus jolie robe, et partait, ne revenant qu'au coucher du soleil.

Moi je m'enfermais. Toujours, vivant de belle littérature ou de poésies magnifiques. Jusqu'à son arrivée.

Elle avait débarquée seule pour vivre chez sa grand-mère. Elle était dans la même situation que moi. De ma fenêtre j'avais vu son vélo rose pastel posé contre le mur de la maison. Et j'avais aperçu quelques mèches de ses cheveux blonds.

Pas plus depuis ce fameux jour.

Au début, Mamie m'avait tanné pour que j'aille la voir. Mais je m'étais défilé et elle avait renoncé. Un jour seulement, j'en ai eu marre. Marre de ce silence qui s'installait, de ce fossé qui se creusait, toujours plus profond, au fil des jours.

Mais sonner à la porte : très peu pour moi. Alors j'avais prit un papier vert pomme, un stylo bic, et j'avais écrit en patte de mouche :  "Le silence est parfois le plus éloquent des mots"

C'était une citation pêchée dans un de mes livres. J'étais sorti et l'avais accroché à la corde à linge qui séparait les deux maisons. Il pendouillait, bougeant au gré du vent qui soufflait. C'était beau.

Le lendemain, j'étais sorti avec une certaine excitation. Il y avait peu de chance qu'elle l'ait trouvé.

Mais elle l'avait trouvé.

"un silence, voilà ce qui est suffisant pour expliquer un coeur ~ Molière.

c'est de qui, le tien? En fait, moi c'est Amandine."

Mon coeur avait commencé à battre la chamade. Je parlais avec une fille! J'avais repris le même stylo et avait répondu, mon corps frémissant d'un bonheur nouveau.

"Aucune idée. Je l'ai trouvé dans un livre. Tu lis beaucoup toi?

Eric, enchanté."

Avait commencé une correspondance secrète et une amitié profonde. Je ne l'ai pas encore vu. Peut-être demain, qui sait?

Au fond, je les aimais bien moi, ses mots sur la corde à linge.