Si vous vouliez pas d'enfants

divina-bonitas

Témoignage

"Si vous vouliez pas d'enfants, fallait pas en faire".


Phrase fétiche de ma grand-mère à l'adresse de mon père, son gendre.

Qui aurait bien convenu à sa fille, ma mère.


Les deux se ressemblaient: immatures, superficiels, égocentriques, beaux, charismatiques, tyranniques, hâbleurs, joueurs, excellents orateurs, acteurs hors pair, comiques en société, dramaturges en privé dans un show must go on perpétuel sur fond de comédia dell arte, envolées lyriques, pyrex explosé contre le carrelage, larmes brulantes, fugues récurrentes, hululements déchirants, réconciliations onéreuses et embrassades factices.


Je revois mon père à genoux, gémissant et larmoyant sur la moquette verdâtre du pavillon, suppliant ma mère de rester, pendant qu'elle reniflait debout avec des airs de diva bafouée, son kleenex chiffonné sur sa bouche pincée,  ses yeux bleus lançant des éclairs, avant de claquer la porte avec maestria et partir dans sa Visa pourrie toute cabossée.


Je rassurais papa: elle n'avait emmené ni son Chanel number 5 ni sa chienne, donc elle avait revenir. Je retournais à mes devoirs. L'école allait me sauver. Je ferai des crêpes à midi à mon frère. L'après-midi, pour se faire pardonner, il l'emmènerait faire les boutiques puis l'inviterait au restaurant. A minuit la porte de leur chambre se fermerait. 30 minutes plus tard j'entendrai l'eau couler dans le bidet. Le lendemain il mangerait content ses tartines beurrées au petit déjeuner sous l'œil de mater dolorosa de ma mère qui avait dû sous la contrainte bien sûr, subir son devoir conjugal.


A 20 ans maman me confiera la garde de mon frère de 15 parce qu'elle ne pouvait plus s'en occuper. Il ne voulait pas, moi non plus. Mais elle n'avait pas le don d'ubiquité. Il lui était impossible de vivre des amours chimériques avec des Roméo experts en mécanique, fraisage, tournage, conduite de chariots élévateurs et autres compétences technologiques, tout en assurant une présence ménagère pour son fils mineur venant de se faire jeter de la pension privée où elle l'avait placé, dont elle avait cru que cela résoudrait son problème, lui laisserait le temps de courater à loisir en minijupe pailletée et décolletés vertigineux les rez-de-chaussée des HLM bordant le périphérique. 


Le paternel pendant ce temps, tout content de sa nouvelle carte de visite mirobolante, de son appartement parisien flambant neuf et de ses conquêtes féminines revigorantes, pérorait dans sa Carrera, nez au vent chaussé de Ray Ban dernier cri, bras bronzé à la portière de sa torpédo rouge, écumant les palaces de la côte d'azur, faisant vibrer et rugir tous ses moteurs avant de se contempler dans le miroir, ravi du bouquet de narcisses qu'il arrosait tous les matins.


Pendant ce temps avec mon frère mineur, on faisait la fin des marchés pour essayer de bouffer, on se lavait à l'eau froide dans un chiotte à la turc qui faisait office de douche, dans un studio sans chauffage prêté par une négrière qui avait bien repéré notre misère et mes compétences de cuisinière. La porte ne fermait pas bien.  Mon frère en fait encore des cauchemars 30 ans plus tard, de cette insécurité, du froid, des rhumes qui ne passaient pas, des cloches qu'on trouvait le soir en rentrant, de la faim au ventre qu'on avait en permanence avec la peur de tout, des huissiers, des facteurs, des voyous du quartier, de l'abandon et de l'avenir.


Un jour où je râlais et ramais pour changer les plaquettes de freins d'une GS en fin de vie qui me servait à courir dans l'Allier vendre des encyclopédies religieuses au porte-à-porte pour Hachette, GS payée avec un chèque en bois par un de mes ex, mon père me dit : "tu en baves, mais en te laissant en chier ainsi je suis un allié objectif de ta réussite".


En fait non papa. Tu a été un allié objectif de mon cancer, de mes souffrances, de celles de mon frère, de mes études ratées, de mon interdit bancaire, d'années de misères et de solitude, de nuits blanches et de jours désespérés, d'angoisses abyssales et de malheurs décennales, de sentiments toxiques de honte et de culpabilité. 


Maman dans son immaturité pathologique était moins cynique. Elle s'est contentée de dire qu'elle ne voulait pas d'enfants, que nous étions des accidents et des erreurs, qu'elle aurait été heureuse si nous n'avions pas été là pour lui gâcher les plus belles années de sa vie.  


A tous ceux qui ne se sentent pas prêts à avoir des enfants ou qui n'en veulent pas je le redis, la contraception c'est super bien.

Mon frère n'en n'a pas voulu de petiots.

Ma résilience fut d'en avoir quatre magnifiques, de les aimer sans conditions, de les soutenir sans réserves, de constater chaque jour qui passe leur bonheur, l'amour, la confiance et la complicité qui nous unit. Mes quatre mousquetaires! Un pour tous, tous pour un!


  • C'est tout à ton honneur de t'en être sortie, d'avoir une famille unie avec de tels boulets irresponsables que furent tes géniteurs. ..au moins tu n'as pas été dans la réitération. ..bon vent à toi et aux tiens...

    · Il y a plus de 5 ans ·
    W

    marielesmots

  • Merci divina-bonitas pour ce beau témoignage même si vous en avez chié. Je suis désolée pour votre frère. Il a de la chance d'avoir une soeur comme vous et quatre mousquetaires pour neveux!

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Coucou plage 300

    aile68

    • Merci Aile...ce qui ne tue pas rend plus fort!

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      divina-bonitas

  • La resilience, c'est utiliser le malheur pour en faire quelque chose de bien, et toi tu as compris ça avec tes exigences, bravo pour ce texte qui pourrait être un conte...

    · Il y a plus de 5 ans ·
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    Pawel Reklewski

    • Merci beaucoup Pawel. Ton commentaire me va droit au cœur.

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      divina-bonitas

  • Très beau témoignage.
    Faire des enfants doit être un choix responsable.

    · Il y a plus de 5 ans ·
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    Lady Etaine Eire

    • Merci et oui je crois aussi que faire des enfants doit se faire en conscience.

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      divina-bonitas

    • Ce n'est pas égoïste de ne pas vouloir en faire. Tout le monde ne peut pas être "des parents".

      · Il y a plus de 5 ans ·
      40405 (2)

      Lady Etaine Eire

    • Et oui!

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      divina-bonitas

  • Quelle saga ! On a peine à imaginer cette réalité ;le trait n'est-il pas forcé par / grâce à un réel talent littéraire ?
    En tous les cas votre amour de vivre est une preuve superbe de la validité de toute existence. Je croirai revoir ma soeur... Un ami la qualifiait de véritable "atachiante"

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • Le trait n'est pas forcé du tout...même très allégé! Merci pour le talent littéraire! Atachiante pourquoi pas?

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      divina-bonitas

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