SMSOS
petisaintleu
À la lecture du SMS, des réflexes physiologiques liés à l'angoisse modifièrent son rythme cardiaque. Une goutte de sueur perla de sa nuque, se frayant un chemin vers la courbure des reins.
La peur, le seul sentiment qu'elle ne contrôlait pas ; la haine était l'unique qu'elle revendiquait. Cette fois, elle ne pourrait l'extérioriser et utiliser son mari pour déverser son fiel en un flot d'injures.
Cela faisait vingt-cinq ans qu'elle s'était méthodiquement déconstruite. Adolescente, elle avait connu les affres de l'incompréhension, à l'instar d'une majorité de ses acolytes en recherche des repères qui les mèneraient tout de même vers leur condition d'adulte. Elle avait poussé le curseur au-delà la moyenne, vers les fugues et la drogue.
Vint ensuite la dérive matricielle. Au gouffre de ses interrogations, elle répondrait en creux. Les libertins, les fétichistes et les amateurs de bondage s'en donnèrent à cœur joie à la serrer de leurs vices. Elle accueillit les naufragés de la nuit dénués de scrupules. Elle se pensait en bonne compagnie avec ces nihilistes. L'ignorance était une fin en soi et leur appétit dantesque remplit son ventre d'un laudanum séminal.
Comment s'était-il retrouvé au milieu de ces ruines de l'âme ? Le sexe n'était à ses yeux qu'un vecteur, dont le centre de gravité était aux antipodes de ce qui allait suivre. Blessé dans son enfance par un manque d'amour, il avait choisi le butinage. La somme des marques d'affection qu'il recevait ne serait jamais suffisante et ne comblerait pas des lustres de carence. Il n'en était pas moins sensible au respect et à la complicité.
Il ne fouettait pas, il n'humiliait pas, il n'attachait pas. Il était touchant par la désinvolture de ses épigrammes qu'il faisait claquer là où ça fait mal.
Pourquoi s'était-il épris d'elle ? Il est dans la nature humaine de dessiner des voies ténébreuses, de jouer avec le vide, l'envie de sombrer et de ne pas avoir à s'engager vers une simplicité béate et abrutissante. Mais il s'était comporté tel un novice. Dès leur premier rendez-vous, il s'était fourvoyé, imaginant la profondeur de sa gorge, sa cambrure et son regard magnétique, des sémaphores qui le ramèneraient des abysses.
La lamproie ne se pêche pas au lamparo. Elle avait pris soin de baliser le parcours. De prévenir qu'elle racolait au chalut, traînant son filet vers des fonds fangeux, étranger aux espèces qui resteraient sur le carreau.
Aveuglé, il n'était pourtant pas une tanche. Il savait cloisonner, ne pas subir une pression, capable d'endommager ses ballasts, ce qui l'aurait irrémédiablement entraîné vers les abîmes insondables de la douleur. Il avait conscience qu'un jour la sirène serait chimère.
Au fil de leurs rencontres, il avait tendu sa vengeance, cruelle et mortifère comme les filaments urticants d'une méduse. Elle, bien qu'agacée par les signes de tendresse dont elle refusait toute trace s'était toutefois laissé aller, trop heureuse de profiter des largesses d'un plateau de fruits de mer ou d'une bordée à La Baule. Elle était loin de se douter que tout se finirait en haut-le-cœur. La faute également à l'été et aux migrations synonymes de raréfaction de la chair. À défaut d'un banc de maquereaux, elle se sustentait d'un vieux loup de mer.
À l'arrivé de l'automne, il se trouva de plus en plus dépourvu. Terminé les bises ; l'hiver pointait déjà. À cette cadence, l'obscurité ne tarderait pas à recouvrir d'une épaisse capote les empreintes du passé.
Il devina que le temps était venu de lâcher du lest. C'était une question de vie ou de petite mort. Il devait se détacher.
Quand elle lut le SMS, elle sut s'en souvenir. « As-tu fait ton test HIV ? ». La larme de transpiration devenue glacée se figea entre ses fesses.
Ce qui le rendait dingue de jalousie, c'est qu'il n'était pas à l'origine du mal.
Elle avait commis une erreur de transmission.
Oups!
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri