Soixante-huit-tard

Hervé Lénervé

Merde, mai 68, c’n’était pas rien, quand même !

Bon, moi à cette époque, j'étais marxiste, léniniste, trotskiste, sarcocyste. Eh, je n'étais qu'à l'école primaire, aussi. Enfin, en fin fond de primaire, plus quelques prolongations, mais j'avais encore le temps pour choisir mon camp. La Révolution d'abord, la Théorie ensuite, si affinités.

Donc, pour nous résumer, ce qui me plaisait dans 68, c'est qu'il n'y avait pas d'école.

Dans la classe, il y en avait qu'un, qui n'était pas pour 68. C'était le fayot, intello à grosses lunettes rondes, la gueule d'empeigne à claques, quoi !

On a eu un débat d'opinions dans la cour. On lui a explosé nos arguments, il criait les siens : «  Vous n'auriez pas vu mes lunettes ? Vous n'auriez pas vu mes dents ! Vous n'auriez pas vu mes couilles ? » Eh, Il n'avait qu'à faire attention à ses affaires, le con !

Bon, je reconnais que c'était inutile de se mettre à vingt-quatre pour lui taper dessus. On se gênait ! J'ai même pris un coup de pied qui lui était destiné, vous croyez qu'il m'aurait remercié ?

Autrement 68, c'était super !

On allait à Paris en camion militaire. Les appelés au Service National aidaient courtoisement, les jolies demoiselles et leurs jupes printanières à grimper dans le camion, en en profitant pour répéter la levée du drapeau.

Nous les jeunots, ils nous balançaient dedans à la volée.

C'est ici, qu'on a perdu le p'tit René.

Balancé à côté, juste sous les roues d'un autre camion militaire qui roulait à fond la caisse, car il était en retard à la guerre.

Tout plat, le p'tit René, mais un peu plus grand, peut-être ? On ne l'a pas mesuré, on n'avait pas pris de mètre.

Autrement à part ça, c'était super 68 !

Ah oui ! J'en ai un autre, de copain, qui s'est pris un pavé dans la tronche, alors que les pavés étaient exclusivement réservés pour les CRS, c'était inscrit dessus. C'était drôle de voir une gueule cassée, si jeune. Mais il n'est pas mort sur le coup. Non, il s'est suicidé, de lui-même, plus tard, quand sa copine l'a quitté pour un autre et que ses parents l'aient jeté dehors pour en faire un autre.

Autrement à part ça, c'était super chouette 68 !

C'est simple depuis 68, je vais à toutes les manifs, celles qui sont contre, celles qui sont pour. Ça fait faire du sport et ça maintient en forme. Je me cale derrière la camionnette de Mojito et je ne la lâche plus. Comme le peloton à vélo, ça coupe du vent et ça inspire, ça donne un but à l'existence.

Puis, la sensation satisfaisante du devoir pleinement accompli, je rentre fourbu et bourré à la maison

Je suis un enfant de 68.

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