Solitude, suite et fin

apophis

Cette occasion unique se perd en même temps que reprend le premier battement rythmique, il est plus lent que la première fois mais devient vite audible, ma combinaison se met en état d’alerte et m’oriente vers cette menace potentielle, à nord moins soixante huit degrés. Passage en mode de combat automatique. Acrobatie latérale d'esquive et orientation du canon. Verrouillage de la cible. Désactivation de l'état d'alerte. Retour au mode manuel. J'étais semble t'il sur le trajet d'un hexapode de grande taille à l'épiderme très sombre. Aucune autre caractéristique anatomique relevée. L'adrénaline je le jure et la manœuvre d'esquive ont été des expériences fantastiques pour moi !


Je prends le chemin du retour puis vais survoler le secteur en direction des tours. Prochain rapport dans cinquante cinq heures.

Retour au vaisseau sans encombres ni nouvelle information à apporter. Décollage puis survol vers nord plus quatre vingt sept virgule cinq degrés. Cartographie établie. A l'approche des tours, le signal infrabasse est devenu si intense que c'est à dix kilomètres d'elles que j'ai dut me poser, certains instruments commençant à être désorientés, et la stabilité même de l'appareil étant en jeu. J'ai atterri sur un affleurement rocheux au nord est des tours. La jungle se termine ici et laisse place à une alternance de roches et de sables. A l'est un liseré bleu marquant l'horizon suggère que cette étrange végétation s'y étend encore sur des dizaines de kilomètres, rien d'autre que le désert à l'ouest, traversé non loin de ma position par l'écoulement en canal du lac visqueux rencontré plus au nord.

La hauteur des tours à été calculée à 896 mètres, si aucun biais observationnel n'a trompé les logiciels d'analyse, le signal aussi provient alternativement de l'une puis de l'autre. Je commence ma traversée par sept kilomètres en course automatique et arrive dans ce que je décrirais comme un complexe industriel. Hauteur des tours confirmée, d'ici elles sont si imposantes ! Imaginez le quart du boulevard central élevé à la verticale et tenant la gravité de la planète, comme les plus hautes tours terrestres telles que décrites dans nos chapitres d'histoire. Leur sombre base est illuminée d'une lumière très chaude semble t'il depuis un gouffre, comme témoignant d'une intense activité volcanique.

Bien que le secteur semble parfaitement désert, et le complexe n'être que sombres ruines sortant d'un tapis sableux grisâtre, la prudence est de mise et toutes précautions de rigueur. Malgré tout ce que ma combinaison peut être étanche aux stimulis extérieurs, les infrabasses se sentent nettement dans la poitrine, et les battements synchrones provoquent une intense douleur cardiaque. J'ai toutefois vite trouvé une arythmie et ce problème ne se pose plus.

Prochain rapport dans vingt heures.

Après cinq heures trente sept minutes de progression difficile, une forme sombre émit un bruit terrible puis fila par dessus moi ; un bond de plus de trente mètres entre deux installations. Le rythme tertiaire et vif, le ton lourd des pas m'ont vite fait perdre tout contrôle et mon cœur se mit au tempo quelques secondes durant. Effrayé comme jamais, trois fois d'affilé j'ai ressentit cette atroce douleur au cœur. J'étais agenouillé, je venais de commander la gestion automatique de ma combinaison quand la créature apparut devant moi. L'armure contrôlant maintenant mes gestes, le tir en seule commande manuelle, j'assure que jamais je n'aurai pu imaginer faire ça ! Les parades d'esquive sont vraiment la chose la plus incroyable qu'il m'ait été permise de faire ! Et faire feu sur une créature qui reçoit vos tirs comme l'eau reçoit l'huile ! Impressionnant !

J'avoue avoir commencé dans la panique, et aussi avoir tiré pour m'amuser, mais j'ai finit par comprendre que la sale bête ne me lâcherais pas comme ça. Le positionnement automatisé de combat me tenait bien trop à distance de la bête pour que je puisse atteindre sa partie ventrale, visiblement poilue et suggérant donc un épiderme tendre. Après quelques minutes passées à analyser le comportement de l'animal, j'ai désactivé le positionnement automatique et me suis dirigé droit vers elle. Elle tenta une nouvelle charge esquivée d'une acrobatie latérale. Pas de tirs, sinon elle riposte plus vite. Je cours en sa direction, avant qu'elle ne me cherche de nouveau. Je tente trois tirs alors que la créature fait un arrêt brusque. Il semble qu'un au moins ai atteint sa cible, mes tympans auraient étés détruis par le puissant cri si je n'étais pas équipé des filtres auditifs.

L'animal est parfaitement face à moi maintenant, je désactive les esquives automatiques, il charge, moi aussi. A quelques mètres à peine de la créature je me couche, la laisse passer par dessus moi, et ses pattes gauches tambouriner le sol à une cinquantaine de centimètres pendant qu'une rafale lui est assenée dans l'abdomen. La créature hurle si fort que la mesure enregistrée donne la valeur maximale. Dressée sur quatre pattes, deux autres en l'air et me présentant le dos, la bête s'éteignit à mesure que son cri faiblissait. Puis elle s'effondrat. Quel délice ! Quel évènement fantastique ! J'ai fait quelque chose de grandiose ! C'est moi ! Le gringalet a lunettes qui vient de faire ce que chacun à bord ne verra jamais qu’en jeux vidéos ! Voyez vous l'enthousiasme m'emporte encore plus de treize heures après cette bataille. 

Bref j'ai donc passé les huit heures suivantes à autopsier l'hexapode ainsi qu'à rédiger le rapport anatomique joint. J'ai repris la marche. Des symboles se font de plus en plus fréquents autour de moi. Je pensait que les premiers n'étaient que des logos, en quelque sorte, mais il y en à maintenant plusieurs sur toutes les parois qui m'entourent, et je me demande si je fais bien d'en chercher des significations. Mes réserves d'air seront insuffisantes pour revenir en sécurité au vaisseau. Tant pis, je suis bien trop près du but pour abandonner, j'utiliserai de l'air local.

Prochain rapport dans quinze heures.

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Depuis un bon kilomètre, mon équilibre confirme bien ce que le sismomètre perçoit depuis la dernière autopsie, ma progression, faite d’un alternement d'espaces ouverts et de percées dans des bâtiments obscurs aux enchevêtrements incongrus, est compliquée par ce désagrément croissant. Les surfaces sont devenues couvertes de ces symboles mais je ne peux y prêter aucune attention, mes capacités étant bien trop occupées à gérer ma progression. J'ai traversé quelques formations composées de dizaines de minuscules créatures luisantes mais suis incapable d'en fournir la moindre description, je crois avoir réussit à en piéger une. Quatre heures après mon dernier rapport, les vibrations sont si intense que la hauteur du sol semble varier de plus d'un centimètre et j'arrive au pied de la tour ouest puis m'y suis assis.


Je n'ai aucune idée de ce qui a put se passer les douze heures suivantes, je ne peux qu'affirmer me souvenir de l'alarme prévenant du retard sur le rapport. Il me semble ne pas s'être passé une seconde. Je sais que quelque chose d'anormal s'est produit ici. Je me lève et reprends ma route en sens inverse.


Une description des lieux que je quitte me semble utile. Les deux tours semblent fournir une activité calorifique, elles sont implantées a quinze mètre au bord d'un gouffre emplit de roche en fusion au sud, aucune installation à moins de trois cent mètre dans les autres directions et le gouffre s'ouvrant sur une vingtaine de mètre longitudinalement entre les géantes, d'où jaillit parfois de cette lave à plus de cinq mètres du sol.


Prochain rapport la tête froide en fin de mission anticipée.


Cela fait quatre heures que je respire de l'air local et quelques minutes que je suis sortit du complexe. Je me sens aussi faible que l'est le taux d'oxygène. C'est un autre avantage non négligeable d'utiliser une combinaison à motricité augmentée dans telle situation. Un animal quadrupède gigantesque peuple ce désert, et il est hostile. Ils m'ont repéré à plus de deux kilomètres de distance, j'en suis à cinq de mon vaisseau, ils courent en ma direction, je cours vers le nord. Ces monstres sont férocement rapides ! Ils sont trois, je ne suis plus qu'à une centaine de mètres de mon vaisseau et ils ne me laisseront pas le temps de décoller. Il me faut l'air, l'eau et l'armement du vaisseau. Tout en courant je commande à distance le verrouillage des cibles que j'indique en tirant de mon propre canon, lui absolument inefficace. J'entre et me précipite vers la commande de tir, les monstres ne sont plus qu'a quelques dizaines de mètres ! Le premier tombe, sans trop ralentir ses acolytes. Je n'aurai pas le temps d'avoir les deux autres aux canons. Un missile et c'en est réglé d'un, le dernier s' effondre un membre sur le cockpit. Solitude est un monde hostile.


La jungle au nord est devenue une mer, et bientôt mes pieds tremperont dedans si je reste. A l'est se devine au loin une démarcation entre la mer s'étendant et les restes de la jungle.


Après révision des précédents rapports, je n'ai rien à ajouter. Je rentre en fin de mission anticipée de cent trente et une heure.


Prochain rapport au débriefing.


"Ca y est, les explorateurs sont tous rentrés, plus personne ne mettra de pied à terre avant quatre siècles et huit années. J'étais convié à la cérémonie du retour, et j'ai reçut les honneurs, et j'étais là à la fête qui s'ensuivit. Mon corps était là mais pas ma tête ni mon cœur. J'ai pourtant vu cet explorateur, cette parodie d'un film de science fiction raté du précédent millénaire, dans son armure colossale. J'ai entendu comment il prenait l'attention de ces superbes filles qui l'écoutaient raconter  ses histoires de combat les plus atroces du monde. J'ai vu cet autre qui semblait le plus heureux du monde, qui parlait et s'enlaçait avec tant de gens. J'ai entendu comment son enfant, sa femme lui parlait. J'ai vu ce dernier, rentré tout propre des montagnes du sud. J'ai entendu comment il avait atterrit près d'un gisement de pierres précieuses inconnues, j'ai entendu la convoitise dans les exclamations de son auditoire.


Je suis retourné là où j'avais passé le plus clair de mon temps depuis mon retour, dans ma cabine, et une nouvelle fois devant le miroir j'ai vu. J'ai vu les signes tapissant mon armure, tatouant ma peau, illuminant mes pupilles. Je les ai vu oxyder le métal, bruler le derme, rougir l'iris. J'ai entendu. Oh oui j'ai entendu, j'en ai entendu des choses. Je n'en parlais pas la langue mais j' ai compris. Et vous autres, menteurs, n'avez vous rien vu ? N'avez vous rien entendu ?


Je ne serai pas présent demain au débriefing. Mon cœur bat au rythme de cette planète et mon corps est dans cette armure, c'est ainsi que je finirai. Je regagne Solitude et j'y emmène tout ce qui m'importe. Cette lettre vaut Adieux."


Lors du débriefing, les observatoires du sol enregistrèrent une forte activité sismique là où était la jungle, puis des images du sol se soulevant sur une superficie de plusieurs centaines de kilomètres à cet endroit. Venait de naître de sous cette sève bleue le plus imposant animal jamais observé, et le spectre de son cri fut si large et si intense qu'en ondes une série de nuages concentriques se format et devint visible depuis l'orbite. Le lendemain, la mission interstellaire reprit sa route, et l'on baptisa officiellement la planète et son étoile "Solitude".

Mathieu Genoud

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