Sort de la rue

Non monsieur non, comprenez moi bien,

c'est marche après marche que la chute vient,

vous savez, c'est plus terrible que tout,

à chaque pas on sait être bientôt à genoux.

La vie est bien sournoise et souvent malicieuse

quand le temps est au beau elle vous éblouit,

vous fait rater une marche et c'est elle qui choisit

si la descente sera courte où bien vertigineuse ... 

elle est moqueuse,

la vie.

Non monsieur non, je n'étais pas tout seul.

J'ai eu de beaux enfants, ils ont bien grandi,

à la suite du divorce à peine suis-je parti

elle m'a couvert de fautes comme unique linceul.

Alors mes bons enfants ont pleuré pour leur mère,

ils sont restés tout près, portant toute assistance

et du temps partagé ensemble sans leur père

ont fini par souffler, le poids plume de l'absence.

Oui je sais monsieur

je sais, c'est la vie.

Non monsieur non, ma chienne ne mord pas,

pas plus que moi, pour mordre il faut des dents.

Nous deux on est des tendres, si on aboie parfois

c'est sur ce mauvais temps, jamais sur les passants.

Les passants et les jours, n'y sont pour rien , ils passent

je ne leur en veux pas vous savez, à aucun,

de ceux qui m'ont touché et m'ont laissé des traces,

j'ai préservé les miettes de ce qu'ils m'ont fait de bien,

ça réchauffe l'hiver,

de la vie.

Non monsieur non, y'a personne à prévenir

ça doit être l'heure des infos à la télé

avec de pires façons, pour voir un homme mourir

qui ne dérangent personne et laissent bien digérer.

Non, j'ai plus les numéros, j'ai presque plus de nom,

ici dans le quartier les gens m'appellent Léon,

vous trouverez, dans la tente il reste des papiers

mon nom c'est « Bienvenu »...mais... mieux vaut l'oublier.

Y'en a qu'une au courant,

c'est la vie.

Non monsieur non, je ne veux plus vous comprendre,

je ne veux plus vous répondre ni même ouvrir les yeux,

je ne veux plus rien savoir, je ne veux plus rien entendre,

je veux quitter en paix ce monde trop silencieux.

Ho merci monsieur, merci,  quel silence apaisant,

je tombe dans la nuit... je m'enfonce dans... l'oubli... 

qu'il est doux ce moment , où rien, plus rien n'est important

si...attendez... mes enfants ... je vous aime infini...

je vous aime infini,

les enfants, loin,

beaucoup plus loin,

que la

vie

ne l'a

dit...

(570 décès au cours de l'année 2014 connus au 1er mai 2015 (498 « SDF » et 72 anciens de la rue). Ils sont décédés à 49 ans en moyenne, soit 30 ans plus tôt que la population générale dont l'âge moyen au décès est de 79 ans)