TaxiDriver

linsolente

Participation au concours de nouvelles érotiques #TimeToSignOff

"Rue Bonaparte.

- S'il vous plaît."

Interloquée, je levais les yeux de mon iPhone pour découvrir ceux de mon chauffeur, dans le rétroviseur. Loin d'être déstabilisé par mon regard noir, le sien était gris bleu, vaporeux, évanescent. 

"Je vous demande pardon ?

- Vous ne m'avez pas demandé s'il me plaisait de vous y conduire, chère madame, rue Bonaparte. A moins que vous ne soyez l'archiduchesse Marie-Louise d'Autriche, évidemment.

- ... "

Sans voix. J'étais absolument sans voix. Pas aphone, bien sûr, seulement moi, l'intarissable pipelette, la fière patronne du CAC 40, la grande gueule, la superbe oratrice, la perle des tribuns, à l'éloquence puissante, au verbe haut et à l'ego démesuré, je me faisais fermer le clapet par un fruste et primitif chauffeur de taxi. Qui connaissait au moins le XIXème siècle. Et maîtrisait l'ironie. Salaud.

Je ne pouvais pas perdre la face.

"Vous êtes chauffeur de taxi, il va de soi que vous êtes là pour me conduire où bon me semble.

D'un claquement de langue bref et sonore, je ponctuais ma pauvre réplique.

- Vous êtes lettrée, suffisamment aisée pour monter dans un taxi plutôt que d'emprunter le métropolitain afin de rallier la place du Palais-Royal au 6ème arrondissement, assez paresseuse pour ne pas vous y rendre à pied, et assez dépensière pour perdre du temps dans les embouteillages, néanmoins vous ne connaissez pas les rudiments les plus élémentaires de la courtoisie ?"

Quelle audace ! Cela faisait bien longtemps qu'on ne m'avait pas parlé sur ce ton. Et que je n'avais pas entendu le nom complet du métro. 

"Comment osez-vous ?!

- Si je ne vous conviens pas, vous êtes libre de descendre, sinon un simple "s'il vous plaît" me suffira pour démarrer."

J'avais envie de le gifler. 

Il m'avait déjà fallu attendre dix minutes le bras levé rue de Rivoli pour que ce grossier personnage daigne s'arrêter, je n'allais pas retourner sur le trottoir, telle une dépravée. 

Aussi, j'avalais lentement ma salive, je la sentais glisser dans ma gorge sèche, et la voix tremblante, j'articulai un faible "rue Bonaparte, je vous prie."

Une tension sans pareille était palpable dans le petit habitacle qui nous isolait du monde extérieur. Face au Louvre, immense et magistral, un sourire narquois plaqué sur ses lèvres charnues qu'un coup de langue avait mouillé, il me répondit : 

"Voilà, ce n'était pas si compliqué. Il faut vous détendre maintenant."

Et sans mot dire, bien qu'en mon for intérieur je le maudissais sournoisement, il plaqua son dos contre le dossier du siège conducteur, tendit en un habile geste son bras par-dessus la boîte à gants centrale, et avec assurance, gagna de sa main mon entre-jambe. J'étais interdite, incapable du moindre geste. La parole, de nouveau, me manquait. Ses doigts, experts, remontaient mes cuisses, écartaient imperceptiblement ma jupe crayon gris anthracite et surtout, surtout, ses yeux brillants me fixaient depuis le rétroviseur central. Un frisson me parcouru l'échine. Quelle hardiesse ! Elle me saisissait, autant que le vibrato du violoncelle qui ronronnait en fond sonore, autant que l'effroi d'être vue par les passants, autant que la vibration du moteur qui faisait frémir mes fesses. 

A la musique classique qui s'échappait de la radio répondirent rapidement mes paroles sibyllines. Je disais à la fois oui et à la fois non, je suppliais d'arrêter et dans le même temps j'étais trahie par ma respiration saccadée. Mes gémissements bientôt se firent moins prudes et plus éloquents. Il me caressait sans vergogne, lui, assis à l'avant de son véhicule, moi, en sueur, jouisseuse, évanouie de plaisir, sur la banquette arrière, les yeux mi-clos, la bouche ouverte rehaussée de rouge-à-lèvres framboise écrasée, les cheveux en bataille, une main serrant mon téléphone de toutes mes forces, l'autre glissée sous ma chemise blanche, dans mon soutien-gorge en dentelle, titillant mon téton gonflé qui demandait à sortir. 

J'avais envie de sentir son odeur, de toucher sa peau, qu'il s'installe en moi comme on se vautre dans un bon canapé, entièrement, sans retenue, de tout son poids. Je voulais qu'il m'embrasse, qu'il m'enlace, que dans ses bras je trépasse. Les à-coups dus aux freinages et accélérations rendaient ses allers-retours meilleurs encore. Puis, sa main disparut, je ne sentais plus rien que le vide, mouillé, mais vide tout de même.

"Nous sommes arrivés. 12,20€ s'il vous plaît."

Les yeux complètement ouverts désormais, je reprenais pied avec la réalité. En effet, nous étions devant Ladurée. A la hâte, je remontai nerveusement ma culotte des chevilles à mes hanches, écarlate, tirai un billet de 50 euros de mon porte-documents, et fébrile, un escarpin après l'autre, je quittai ce lieu de luxure définitivement à regret. 


Signaler ce texte