“Montréal fascine par son mystère, rien de plus, mais rien de moins, me disais-je.”
La nuit se donnait à nous dans sa couleur métallique,
fragments d'images et de sentiments brouillés,
le Five Roses allumé, en néons rouges clignotants,
et la ville déployée dans un million de lumières.
Nous avions dans le cœur, l'ivresse des grandes nuits,
passion libérée dont les yeux s'étincèlent,
s'enivrent d'une folie à peine raisonnable,
et se fixent à l'intérieur pour y voir plus loin.
Nous traversions des quartiers à toujours familiers,
l'Outremont hassidique plongé dans la ténèbre,
où des poussettes bien en vue au seuil des maisons,
disait fièrement le nombre d'héritiers.
Où d'une fenêtre pas trop loin était montée la rumeur,
des gorges déployées en rires bon vivants,
et des odeurs hellènes de repas préparés,
sifflant l'appétit par la science de l'épice.
Alors nous passions et sitôt nous nous trouvions,
abordés de toute part, par quelques langues d'orient,
du punjabi, de l'urdu et des voisines régionales,
fluides dans leur mouvement comme les robes afghanes,
portées humblement par les ascètes de ce monde.
Et soudain la rue prenait l'accent d'Italie,
cafés milanais et grand-pères siciliens
sur le ton du souvenir et de la nostalgie brûlante,
évoquaient les gloires du football ancien,
l'époque où le Toro c'était encore quelque chose,
avant que les avions ne crashent sur les collines.
Et comme nous n'avions aucun plan pour la nuit,
nous allions aux quais des métros du soir,
admirer ce que la terre avait d'urbain en son sein,
le béton gris sur les murs et les démarcations jaunes,
les jeunes citadins en quête de plaisir,
avec la passion vive des éternels damnés,
qui s'injectaient dans la poitrine, un bonheur anxiogène,
illusion répétée et mensonge consenti,
et dans le fond reculé du wagon poussiéreux,
des ouvriers de la nuit d'une pauvreté indécente,
deux Nike dans les pieds, année 95,
les restes d'un voyage dans la grande Amérique,
avec l'odeur sous la semelle, des routes et des gares,
du tabac flottant aux chambres des motels,
et puis, on devinait aussi dans la lenteur des soupirs,
la fatigue de trop et les contours d'un précipice,
l'ennui établi à coups de gestes répétés,
et quand ils allaient se saouler derrière les machines,
quelqu'un portait le verre aux Taylor de ce monde,
et l'injustice était dite dans un langage communiste,
en claquant la retraite dans la boisson et le jeu,
et le confort agréable des 511 de Lévis.
Alors nous les laissions à leur morne routine,
et mêlions notre pas aux foules parfumées,
quelque chose de subtile comme l'allure de Chanel,
dans l'humide moisi des chemins souterrains.
Nous sortions au dehors, nous relâcher la poitrine,
sentir dans l'air du soir, quelque soupçon de liberté,
qu'écrasaient de leur grandeur, les hauts buildings illuminés,
entre lesquels nous nous frayions jusqu'au parc de McGill,
trouver notre place sur un banc du campus,
distinguer dans les accents, les États d'Amérique,
les provinces éloignées et des mots asiatiques,
et dans la tête ça nous faisait, tout plein de voyages,
même que le sable du Texas, te soufflait dans les yeux,
Et qu'un bison vagabond s'abreuvait à nos rêves.
lu avec grand plaisir, j'irai le relire, impressions à foison et par petites touches, transition d'un quartier à l'autre, votre texte m'a embarquée, encore une fois.
· Il y a environ 9 ans ·fionavanessa
Merci! Content de le voir produire cet effet : )
· Il y a environ 9 ans ·austylonoir
J'y ai retrouvé mes sorties hallucinées des chaudes nuits d'été, où d'une glacé mangée on constate la synagogue se vider. De l'oratoire Saint Joseph au port, tous les pays, toutes les époques se télescopent au pied de ce mont appelé montagne. Merci.
· Il y a environ 9 ans ·koss-ultane
Là je suis content de voir quelqu'un qui apprécie Montréal de cette façon! Souvent c'est une ville incomprise, ou très loin d'être cernée dans sa diversité.
· Il y a environ 9 ans ·austylonoir
Les quartiers y sont tellement différents que plusieurs personnes ont souvent la sensation de ne pas être allé dans la même ville. Et, alignée sur les belles villes nord américaines, les figures imposées : hôtel de ville, chinatown sont décevants. La beauté de Montréal réside dans ses quartiers à la fois contrastés mais toujours axés sur le plaisir du bel agencement. C'est une cosmopolite du monde dont on aurait retiré le couvercle. C'est une ville avec un ciel plus grand.
· Il y a environ 9 ans ·koss-ultane
Très beau évocateur, presque cinoche je l'ai lu avec l'impression d'être ds un plan séquence, merci pour l'mmersion :)
· Il y a environ 9 ans ·Christophe Paris
Ah, alors l'essentiel est atteint! J'aime bien quand j'arrive à transmettre ne serait-ce qu'un peu des images qui me passent dans la tête!
· Il y a environ 9 ans ·austylonoir
grand. merci.
· Il y a environ 9 ans ·ellis
Merci Ellis! C'est toujours apprécié quand ça vient d'une belle plume
· Il y a environ 9 ans ·austylonoir
Tout ce mélange de nuit et de néons, de pulsions et de sensations, de brut et de doux...Juste sublime
· Il y a environ 9 ans ·erge