Toile d'araignée

cerise-david

« Ecrire, c’est écouter, observer, renifler, devenir marronnier, abat-jour ou toile d’araignée »*.

Je suis toile d’araignée sous la rosée. Gorgée de milliers de gouttelettes, je me creuse et devient le bol des larmes de ma veuve. Il n’y a pas que les écureuils de Central Park qui sont tristes le lundi. Je cherche, en vain à comprendre ce qu’il m’arrive. J’imagine la suite, meilleure, peut-être pire. Je ne me dis pas que tout est facile, à vrai dire… je n’ai jamais su garder le sourire, aller mieux. J’ai appris à être froide, à rester de marbre. Pourtant, certains jours, la toile s’illumine, pétille, s’agite. Comme si on sabrer le champagne, comme si des milliers de bulles venaient agiter les longs fils entremêlés. Et puis, la douche froide vient nous ôter la cerise de la bouche. Quand on se retourne, il ne reste qu’un noyau. Mais, le printemps revient toujours. Il y a toujours un mais. Bon ou mauvais.

Je ne sais plus comment le printemps s’est installé. Comment j’ai appris à marcher. Comment je suis devenue la fille qui. Comment j’ai atterri dans ma vie, à moi. Mon doux nid, cet intérieur en apesanteur que doucement j’ai tissé. Comment je suis devenue la veuve de mes rêves perdus ; alignés, classés, rangés sur mes étagères, affichés sur mes murs, murés dans le silence de photos. Comment j’ai su que je préférais manger à même le sol, que perché sur un tabouret de bar. Y’a toujours un boulon qui finit par se dévisser. Je ne sais plus comment j’ai rencontré mon premier amour et comment j’ai cessé d’aimer le dernier. J’ignore comment je suis devenue solitaire, comment j’ai appris à monter seule mes meubles, à repeindre ma cuisine, à accrocher mes rideaux. A changer une roue de secours, à conduire un poids lourds. J’ignore d’où me vient cette énergie, qui ne tarit pas. Aussi puissante que la rage, aussi rassurante que la confiance. J’ignore encore beaucoup, doute souvent. Des hommes surtout, je me méfie, de leurs sourires, de leurs caresses, de leur désir qui s’épuise. De leurs conquêtes pour un bout de lune, eux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. J’apprends chaque jour, j’apprends sans cesse, curieuse, gourmande. Mes yeux d’enfant restent grands ouverts sur le monde.

Je m’émerveille à chaque seconde, pleure pour la faim dans le monde, fais la guerre aux extrémistes et crois en l’au-delà. Après y’a quoi ? Devient-on souris des villes ou rat des champs ? Se souvient-on de celui qui partagera notre tombe, de celui qui partage notre couche, de celle qui porte nos enfants ? Se souvient-on d’un regard, d’une odeur, a-t-on peur ? j’ai oublié ma première peur, j’en ai dompter des dizaines, je me bats encore. Contre ces angoisses venues d’ailleurs. Venues d’avant, qui disparaissent avec le temps. Qu’on fige sur une toile, qu’on enferme dans le papier, qu’on espère voir disparaitre comme nos cauchemars. Mais qui continue de résonner quand le réveil hurle. Y’a toujours un mais. Bon ou mauvais.

Le reste c’est du flan. Mon flan à moi, c’est d’avoir une maison, une petite maison ; pour y cacher mes rêves et abriter mes amis. C’est de ne jamais cesser de croire en l’amour. Mon flan est peut-être parfois tyran lorsque déterminé il veut tout commander, assembler, diriger, ériger. Le flan a besoin de se rassurer, le flan est froussard. Il a le cafard noyé dans son désespoir… aspergé d’idées noires. Le flan est paresseux, le tyran inventif. Deux vies dans une une, comme la lune. Le flan aux cheveux d’ange, le tyran au regard de glace. Parfois la paille s’embrase et l’océan scintille… parfois, un tour de manège suffit.

  • heureuse d'avoir fait ta connaissance, car ton style qui passe du masculin au féminin, montre un caractère bien trempé. Qui rend coup pour coup, les aléas de la vie. c'est ce que je pense en lisant tous tes textes. Bravo, ma petite fille, vit et pense à ce que je t'ai dit auparavant, la vie est courte, profites en. Une grand-mère, qui a vécu et les coup durs, elle connait. (j'ai 66 ans)

    · Il y a presque 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • Superbe!

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Img 0155

    ernestin-frenelius

  • Magnifique!

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Kitty 54

    meo

  • moi j'aime le flan...et j'aime aussi " je suis la veuve de mes rêves perdus. J'adore ton texte, il est à la fois réaliste et plein d'espoir. Merci Cerise

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Sans titre

    agathe

  • Je passais et...
    Bravo!
    "Je m’émerveille à chaque seconde, pleure pour la faim dans le monde, fais la guerre aux extrémistes et crois en l’au-delà."
    Chacun se met en arrêt sur un bout de phrase ou un autre... en demeure une jolie toile...

    · Il y a plus de 12 ans ·
    S5001282 orig

    amouami

  • Des mots bien trouvés, bien mariés. Et oser voir plus loin que le bout de son nez pour observer la lune, il faut quand même le faire...

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Nature orig

    mls

  • La fin : " Parfois, un tour de manège suffit."

    Merci. Du nez à la lune il n'y a qu'un pas...

    · Il y a plus de 12 ans ·
    10712727 927438223957778 7773632960243052824 n

    cerise-david

  • Je me méfie de "leurs conquêtes pour un bout de lune, eux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez".
    C'est bien trouvé, ça...

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Photo 3

    mathieuzeugma

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