Tu as cinq jours, Dieu. Pas sept. Juste cinq, puis le miracle.
fabiolam
Tu as cinq jours, Dieu. Pas sept. Juste cinq, puis le miracle.
Synopsis : L'homme redoute l'ennui car l'ennui le fait penser. Et quand je pense, j'ai vraiment envie de mettre mon existence sur pause et de voir où j'ai exactement foiré. Je crois que c'est déjà arrivé à tout le monde de se poser des et si, de regarder en arrière et d'avoir envie de chialer comme un môme.
On n'a qu'une seule vie et je me suis débrouillé pour entrer dans le schéma suivant : Trentenaire. Quelconque. Marié avec enfant. Sauf que quelque chose ne tourne pas rond chez moi. J'ai beau avoir passé un bon bout de temps sur Terre, je ne suis jamais tombé amoureux. J'ai vu des voyantes. Je me suis rendu sur des sites de rencontre. J'ai abordé de jolies filles dans la rue. Eh bien, rien à faire, toujours ce coeur de pierre.
J'écris à Dieu aujourd'hui, en désespoir de cause.
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J'ignore si dans vingt ans encore je me souviendrai de ça, de ce que je vis en ce moment-même. De cet instant où je fais le bilan des choses, planté au bord de l'Autoroute des Interrogations. Un panneau électrique clignoterait et indiquerait qu'un convoi exceptionnel transporte la cargaison toxique de l'amour jusqu'au cerveau. On inhalerait ce gaz indolore et inodore.
Nous sommes morts. Nous avons aimés. Il paraît qu'on ne vit pas l'amour : On se meurt avec, tout dedans, noyé. Je veux connaître cette fin glorieuse, Monsieur Dieu. Je veux connaître la "petite mort". Je veux trembler, connaître un séisme à chaque pulsation.
J'ai l'impression, Dieu d'amour, que mon monde change et s'apprête à s'écrouler sous mes pieds. Je ne maîtrise plus rien : ni mon corps, ni ma tête, encore moins mon cœur et surtout pas mes créations. Vois-tu, l'homme est le seul être connu – de nos jours – à pouvoir créer.
N'est-ce pas dangereux, Dieu, d'avoir donné ce pouvoir à une seule espèce ? Et si elle te trahissait ? Oh, oui, c'est déjà fait. Tu le sais mieux que moi. Et voilà, le premier homme !
Quelle belle création, Dieu ! Dommage qu'il lui manque une case. Un peu comme toutes ses œuvres inachevées, auxquelles ils manquent un bras, une jambe, un cœur… Un bel ithyphalle. Un brouillon de marbre dur. Des traits fins gâchés par les toxines - sex, drug & rock'n'roll ; la sacro-sainte trinité. Mais, toi, Dieu, tu savais ce que tu faisais : tu m'as tout donné pour mieux me reprendre. Tu savais que j'avais presque tout pour être heureux sauf… sauf quoi ?
J'ai vomis des je t'aime en ribambelle. J'ai juste craché ma honte, ma déperdition, mon égocentrisme et ça a fonctionné.
J'ai juste brûlé les cigarettes de papier, attendant qu'en jaillisse la brûlure prométhéenne. Moi, je suis l'homme qui t'a volé le feu impunément pour se tirer la première clope de l'humanité, et non pas pour le partager avec qui que ce soit. Alors, pour me punir, tu as décidé de créer en moi une forme saugrenue d'altruisme : écrire ; puis le summum : tomber amoureux. Je veux bien tomber amoureux, Dieu. Mais à une seule condition : je veux la formule scientifique de l'amour.
Je veux savoir comment ça se fabrique. J'exige que tu m'invites – oui, je suis poli vois-tu – prendre un café et que tu m'expliques de manière posée et rationnelle comment l'amour subsiste. Parce que, mine de rien, c'est un des plus grands mystères de l'humanité.
Dieu, depuis quelque temps, je ne te comprends vraiment plus. Je pense que t'es un peu fatigué, comme tout le monde ici - au bout du rouleau. Je dois dire que tu t'en es plutôt bien sorti jusqu'ici – voyons ensemble : Je ne compte pas les meurtres, les génocides, les accidents et les cœurs brisés que tu as fait. Tu t'en sors toujours indemne.
Moi, Homme, j'aimerai bien que tu descendes de ton nuage et que tu toques à ma porte un jour et qu'on se règle nos comptes autour d'une table de Poker.
On fumerait un cigare et je te dirais : « Tu sais, Dieu, on aurait pu être bons pote si seulement tu ne m'avais pas fait aussi mauvais. »
Et tu répondrais : « C'est dans le contrat : Je dois faire des gens mauvais pour que les autres se sentent meilleurs. Ça entretient l'ordre des choses. Les gens s'imaginent qu'ils valent plus alors ça fait tourner la boutique. Dans les gens biens, il n'y a pas que mes chouchous. Regarde, j'adorais Cellini – c'était un assassin et un voleur ! J'adorais le petit Cobain – il s'est suicidé ! J'adorais aussi… »
Puis j'aurais rétorqué : « Ah, mais Dieu, je ne t'en veux absolument pas d'aimer tes belles créations. C'est normal. Moi aussi je jouis devant mes chefs d'oeuvre. Mais s'il te plaît, ne m'aime jamais. Parce que – sans offense – les personnes que tu chéris ont toutes tendance à mourir prématurément. »
Tu te serais mis à pleurer et je t'aurais remplis le verre de gin. Nous aurions bu en chantant une chanson paillarde. J'aurais versé quelques larmes avec toi parce que je sais que je ne suis pas digne de ton amour.
Au fond de mes putains de tripes, Dieu, je crois que c'est ce à quoi j'aspire le plus : être aimé. Je veux être aimé pour moi, mon âme déjà déchirée, mon attitude de salaud, mes délires atypiques. Est-ce trop demandé, Dieu ?
Aimer sans condition, c'est beau. Je veux être aspergé du napalm amoureux. Je veux être porteur de cette maladie sexuellement transmissible qu'est l'amour. Je veux pleurer ma mère lorsque j'aurais le coeur brisé. Je veux vivre tout ce joyeux bordel. Je n'ai vu ça que dans les livres et dans les films. Ipso facto, je voulais devenir acteur et je suis devenu écrivain - Ô malheur !
Je cherche l'amour. Pas le truc tombé du ciel dans un nuage crémeux. Moi, je veux l'amour qui te heurte sur l'autoroute de plein fouet. Je veux le carambolage, que la personne me rentre dedans à 124 km/h et me dise : « Je t'aime. Baise-moi. » C'est ça l'amour. La spontanéité. La violence des sentiments. La voix qui tremble. Les mots parfois plus hauts qu'on ne le voudrait.
Le vertige aussi. Pas l'évanouissement des vierges. Le vertige comme au-dessus d'abruptes falaises.
Mais là, Dieu, mon ami, je lève les yeux au ciel et je te demande une faveur – une dernière : envoie-moi quelqu'un pour m'aimer. M'aimer comme je suis et pas comme la personne voudrait que je sois. M'aimer plus que nécessaire. M'aimer, tu vois ?
Tu dis que tout ce qu'on fait doit être amour. Je te crois. Mais comment veux-tu que je suive tes préceptes si tu ne me donnes même pas la chance d'avoir quelqu'un à aimer ? Non, Dieu, ne souris pas trop vite : ce n'est pas une rédemption que je te demande – et encore moins le pardon car je ne le mérite pas.
Tu vois, je crois que j'ai prêché à la bonne école : je sais que tout le monde a le droit à une seconde chance. Jésus en a eu une, pourquoi pas moi ? Tu dis ne pas faire de favoritisme. Ne gâche pas le sacrifice de ton fils. Car, oui, je ne sais toujours pas ce que je fais mais… une chose est certaine, je ne vais pas le regretter.
Vois-tu, Dieu, j'ai projeté de me suicider. Ma femme ne m'aime pas (Oui, je sais que c'est toi qui me l'envoie et je t'en remercie profondément mais ce n'est pas la personne qui me convient. Je le sens). En fait, ma femme aime l'image de l'homme qu'elle voudrait que je sois. Et ça change tout. Alors je me dis que si elle ne m'aime pas pour ce que je suis réellement, personne ne le pourra. Donc je dois mourir.
Non, ne me contredis pas ! Mon raisonnement tient la route. Du moins, ça sonnait pas mal quand j'étais sobre, hier. Parfois, comme ça, on a des idées fugaces et une fois dites elles ont l'air drôlement bêtes. Dis-moi, Dieu, est-ce que tu prononces à haute voix ce que tu prévois de créer ? Non, enfin, je dis ça parce que ça nous aurait épargné bien des horreurs – les poils, les mitraillettes, le sida, les voitures etc.
Alors, je ne sais pas, Dieu. Ouvre ton gigantesque registre des naissances sur Terre, regarde s'il n'y a pas une âme perdue et disponible pour moi, Homme, à moins de cinquante kilomètres à la ronde. Je ne sais pas si tu prends ma requête en compte. Tu dois recevoir des milliers de courriers à la seconde, mais voilà, si un jour tu prends le temps de me répondre : il ne sera jamais trop tard. Enfin, si, dans cinq jours ça sera trop tard. Je reçois de la pharmacie les médicaments qui m'aideront à me tuer - savoureux et ultime cocktail. Santé !
Donc, cinq jours, Dieu, ça serait pas mal. Passé ce délai, ma femme prendra le message, à moins qu'il y ait des sites de rencontres au Paradis. Tu sais, les sites de rencontre. L'endroit où on prostitue son coeur.
Mon idée de l'amour est lumière. C'est le truc intouchable qu'on voit là-haut, trop pur et immortel. J'ai énormément d'estime pour les gens qui arrivent à aimer la même personne toute leur vie et avec la même intensité.
Regarde, Dieu, même Adam n'y est pas arrivé ! Je ne comprends pas pourquoi on a longtemps interdit puisque Adam s'est permis de changer de monture : de Lilith il passe à Eve. Alors pourquoi moi, après avoir goûté à ma femme, je ne pourrais pas passer de "nana" à "gonzesse" ?
Mon âme-sœur idoine ? Je la vois presque devant mes yeux tant c'est intense. Je la vois sortir de la lumière, auréolée de chaleur et de bienveillance, descendre vers moi avec ses cheveux sombres encadrant son visage et nos doigts se frôleraient… Je me suis endormi dans ma baignoire et voilà ce que j'ai vu. D'accord, il n'y avait pas que de la fatigue derrière tout ça. Mais… j'ai bon espoir de trouver quelqu'un pour m'aimer. Aimer comme ce n'est pas permis.
En retour ? Oh, je pensais que tu ne faisais plus dans le marchandage depuis cette scandaleuse affaire avec Job ? Tu m'épateras toujours, Dieu. Je sais d'où Judas et moi nous tenons notre côté filou de bas étage. Alors, en échange, je te promets de te donner mon premier fils…
Bon, d'accord, ce n'est pas très original comme présent – et franchement facile, suffit de trouver la Marie en question. Alors, je te jure que je t'offrirai ma reconnaissance éternelle. Si ce n'est pas suffisant ? Tu me charries, Dieu ! Arrête ! Bon, d'accord, et aussi ma meilleure bouteille de Whisky que je verserai dans l'eau bénite de la cathédrale d'à côté. Promis, juré.
Religieusement tien,
Homme.
Post-Scriptum : Si tu pouvais m'envoyer un signe de l'élue en question, ça serait sympa. Non, parce que tu vois, je n'ai pas souvent les yeux en face des trous.
« Bureau de Monsieur Dieu,
Le nuage le plus haut et le plus beau, Cedex PARADIS »
Il ferma l'enveloppe et y apposa un timbre quelconque. Dehors, il faisait beau. Le ciel était d'un bleu pur, comme sur les photos retouchées par tous ces prétendus photographes. Il avait son enveloppe sous le bras et se demandait si, quelque part, une force mystique guettait ses pas.
La boîte aux lettres était là, l'Homme la fixa longtemps – hésitant entre les envois à l'étranger ou non. Dieu n'était-il pas censé être partout ? Il se mordit un instant les lèvres avant d'opter pour envoi à l'étranger.
L'Homme tourna les talons et s'en alla.
Quelques jours plus tard, il reçoit un plis de la Poste stipulant que Monsieur Dieu, censé domicilier au nuage le plus haut et le plus beau, Cedex PARADIS est inconnu à cette adresse. Vers qui donc se tourner ?
Ce texte parvient toujours à me faire rire et pleurer à la fois. Et, au risque de me répéter, j'adore toujours autant ce que tu fais. Je ss vraiment contente d'être tomber sr tes écrits :)
· Il y a presque 11 ans ·little-wing
je reconnais cet extrait qui est magnifique :) vive Rockritic
· Il y a environ 11 ans ·raphelle
"Un peu déprimant", peut-être parce qu'il reflète bien une certaine réalité.
· Il y a plus de 11 ans ·Merci beaucoup pour ce magnifique texte =)
Juliet
Il ne reste plus qu'à se tourner vers le psy le plus proche! Non, mais plus sérieusement, très beau texte bien qu'un peu déprimant! Merci et CDC!
· Il y a plus de 11 ans ·Alinoë