Tu te souviens ? On était deux gamins.

   Tu te souviens quand on l'a vu pour la première fois ? On était deux mômes, deux gamins hauts comme trois pommes... ou peut-être cinq. On avait de la ressource. On était malin, de vrais petits gobelins. On aimait faire le mur la nuit. On avait à peine 10 ans. Tu te souviens ? On se retrouvait derrière l'église du père Augustin, à côté du cimetière le plus fleuri du pays.

   On aimait s'y promener la nuit, quand le temps n'était pas trop mauvais. On lisait les épitaphes, on imaginait la vie de ces illustres inconnus. Des fois, tu piquais une fleur et me l'offrait en l'accrochant à mes cheveux. Puis tu revenais le lendemain avec un autre fleur pour remplacer celle volée. On était des enfants, on était innocent.

   On aimait aussi explorer la lisière de la forêt. On était peut-être inconscients, mais jamais fous. On ne s'éloignait jamais. Je me souviens que tu avais peur des loups et moi des araignées. Je ramassais un bout de bois pour me défendre et toi tu partais toujours avec un petit couteau. On se sentais forts, invincibles et même invisibles. On savait se cacher. On sautait derrière un arbre ou un buisson à chaque craquement de branche. Ça nous faisait peur, mais qu'est-ce que c'était amusant...

   On ne s'éloignait jamais. Sauf un jour. Je me souviens, j'entendais quelqu'un chanter un peu plus loin dans le bois. Une voix féminine et terriblement enivrante. On n'était pas fous, mais comme tous les gosses, on était rongés par la curiosité. Je me souviens que tu t'étais mis devant moi pour me protéger quand on s'est approché. Je crois que c'est ce jour là que tu m'a charmé pour la première fois. Mon chevalier, mon protecteur. Mais j'avais 10 ans, j'étais trop jeune pour le savoir.

   On s'est approché de la voix. Ça nous à pris cinq bonnes minutes. Pourtant elle n'était pas loin mais on ne voulait pas se faire attraper. Et ça a marché. Je crois que même aujourd'hui encore, elle ne sait pas qu'elle a été observée cette nuit là. On s'est terré derrière les multiples cachettes que nous offrait la nature et on l'a vu.

   C'était une femme je crois, un ange peut-être. Une grande dame aux immenses cheveux bruns. Ils lui tombaient jusqu'aux chevilles et voletaient autour d'elle comme un nuage de soie. Son visage était parfait, sans aucun défaut. Ses grands yeux bruns brillaient et ses lèvres pulpeuses affichaient un magnifique sourire. Son corps était recouvert d'une fine robe blanche très légère. Elle semblait accompagner sa chevelure dans une douce danse de nuit. Et elle chantait. C'était beau. On était là, comme deux marins attirés par la voix enchanteresse d'une sirène. Sincèrement, si elle ne s'était pas arrêté et et n'avait pas disparue entre les feuilles des arbres, on aurait pu rester à l'écouter pour l'éternité. Cet être hors du commun nous avait transporté dans un autre monde pendant quelques minutes.

   Plusieurs nuits d'affilée, nous sommes partis à sa recherche, mais elle n'était plus là. Tu vois, ça fait 21 ans aujourd'hui et ce moment me fait toujours autant rêver. Toi aussi apparemment, puisque comme moi, tu fredonnes encore cet air qu'elle chantait quand tu dors. Des fois tu me réveilles et je te regarde. Tu es alors plus beau que jamais...

Tu te souviens ? On était deux gamins.

Cette histoire est une fiction.