Un instant de vie

Hélène Benetreau

L'écrivain est dangereusement masochiste. Travaillant au service de la vérité, il se doit de souffrir afin de participer à sa naissance dans un monde insensé.

Une feuille de papier.                                                                            Devant cet homme, elle reste bien calme. Aucun rire, aucune joie exprimée. Elle fait la morte.                                                   C'est tellement facile de faire la morte quand on est artificielle.

Sauf que l'homme, il l'a croit vivante. Assidu, il ne partira pas tant qu'il n'aura pas eu une preuve. L'heure avance. D'un coup d'aiguille, on passe d'un soleil éclatant à une pénombre nuptiale. L'homme prend une chaise, tout en ne quittant pas du regard sa proie.

L'autre, la feuille, n'ouvre toujours pas les yeux. On peut se dire qu'elle à un talent pour la dissimulation. C'est une question de certitude.

Un bruit de grincement vient se faufiler ; l'homme est enfin assis sur sa chaise.   

« Il va rester encore longtemps lui ? ».   

 « Et nan ma vieille, j'attends ».      

Elle n'a pas entendu,

il ne le sait pas.

La confrontation dure, encore et des heures.                                On ne parle plus d'un matin et d'un soir mais bel et bien d'un matin et d'un autre matin.    

                                                                                                                    La persévérance de l'homme s'accroit, il aimerait fermer les yeux mais il ne peut pas.                                                                    

« Je ne dois pas raté son réveil »            

L'autre, la gueule de bois, part dans des rêves ridicules et en oublie presque la présence du timbré.                                         Elle oublie aussi la lumière du jour, et la sensation que le soleil lui procure.                     

La fatigue prend l'homme et le contraint à baisser sa garde.       Il ferme délicatement et avec dégout son premier œil. Aucun doute, il sait qu'elle est vivante.

                                                                                                                              "Elle est née d'un arbre, après tout,                                                   On ne meurt pas comme ça",

Il pense.

"Dieu ne le veut pas",

 Il certifie.

Il arrête sa pensée, la rectifie tout en imaginant la scène. Un bucher coupe l'arbre en deux. La feuille perd soit ces confrères soit une partie de son corps. C'est pour cela qu'elle ne se montre pas. Elle souffre, selon lui.     On l'appelle. Le téléphone sonne mais il est bien trop loin. L'homme ne peut pas répondre. 7 coups de fils et 4 messages. Sa mère s'inquiète, son père l'espère, son travail le quémande, sa femme le quitte. Il le sait. Il entend ce foutu répondeur qui ne veux pas fermer sa gueule. Il veut crier mais il ne peut pas. S'il le fait, l'autre remarquera sa présence. Il pense que c'est une question de temps, et qu'avec le temps la douleur passe.


Des rêves utopiques se succèdent chez cette feuille immaculée. Elle est sur une Ile, au bord de l'eau. Quand le ciel semble s'assombrir elle se cache vite dans l'eau pour se dissimuler au grand jour.

Un silence passe et rencontre une éternité.

La feuille s'imagine encore au bord de l'eau à regarder l'horizon. Il se met à pleuvoir.

L'homme pleure sa tristesse océanique. 

Son rêve continu. Cette fois-ci, un jardin d'Eden. Elle reconnait ces confrères, ceux qu'elle a perdu. Il pleut toujours mais elle n'en a que faire. Elle est heureuse dans ce cadre Edénique.

Lui, le désespoir l'habite. Il construit sa propre tombe, vernie d'amertume et solidement mélancolique. Sa curiosité le dépasse.

Elle rigole.

Il regrette.

Elle sourit à ces amis.

Il sourit à ces souvenirs.

Le temps se fige.

Son rêve s'éteint. Elle ouvre les yeux,

quand il les ferme.

L'homme lui a prit sa nature, La feuille lui a dessiné sa vengeance.    

                                                                                                                      

Je me suis réveillé peu de temps après. Sur ma table, cette feuille, que je préférais artificielle.

 

 

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