Un plateau « hétéroclidien ».

Hervé Lénervé

Dans le studio, de beaux parleurs discourent, en direct, sur le sens de l’envie, sous l’œil sceptique d’une caméra partiale.

Une belle femme essaie de prendre un peu la parole dans le brouhaha des aras, comme elle essaya, toute la nuit en vain de récupérer un peu de couverture entre les draps de son amant.

Elle - Je voudrais seulement souligner que le sens de la vie se mesure aussi au quotidien par les vicissitudes de…

L'animateur – Je rappelle qu'Hélène Boue est philosophe de formation et enseigne à Paris René Descartes depuis cinq ans. Elle a publié «  A l'écoute de la majorité silencieuse. » qui a déclenché une polémique, encensée par ses pairs et vilipendée par ses impairs… Monsieur, vous n'avez pas encore pris la parole et je ne vous ai pas sur mes fiches, je vous laisse vous présenter à notre cercle !

Moi - Qui ça ? Moi ?

L'animateur – Euh, oui, vous, en quelques sortes. Ha, ha ! Quelle fantaisie, ce soir, sur notre Sujet de Société : « L'amour existe-il toujours après l'amour ? »  

Toujours moi – Excusez-moi, ce n'est pas le plateau du mot le plus con, ici ? 

L'animateur – Non ! C'est le studio mitoyen, mais dans une ville mitoyenne.

Encore moi – J'ai dû me tromper de jours, alors ! Maintenant que je suis là, je peux rester un peu ?

L'animateur – Bien sûr, nous ne sommes pas des staliniens ! Mais n'intervenez pas et passez la parole à votre voisin de droite qui ne s'est pas encore exprimé, non plus.

Le voisin – Non ! Moi je suis le pompier de service, mais comme je fatiguais debout et qu'une chaise était libre, je me suis dit comme ça que…

L'animateur – Ok ! Ok ! Nous ne sommes pas des staliniens trotskistes, quand même !

La belle Hélène à la fraise – Excusez-moi, mais y a-t-il des universitaires dans ce studio ?

Silence dans les rangs excepté une mouche qui vole… et qui prend la parole.

La mouche – Je suis une drosophila, j'ai participé à moult expériences de psychologie générale. Je rappelle que nous, les drosophiles, avons été les cobayes privilégiés de toutes les recherches et que bon nombre d'entre nous, ont laissées leur vie sur l'hôtel de la Science. Donc, à ce titre avons-nous le statut d'universitaires par reconnaissance méritoire ?

La belle Hélène de mouton – Bien sûr que non ! Il faut obtenir des diplômes pour être reconnu, voyons !

Le microphone – Attendez ! Nous, les micros, depuis le temps qu'on amplifie les voix des intellos, nous avons le droit d'être considéré comme intellectuels par équivalence professionnelle.

La belle Hélène fraîche – Non ! Non ! Et non ! Il faut avoir écrit des thèses dans un champ épistémologique spécifique à la discipline pour avoir le titre d'intellectuel, vous, les micros, les mouches, vous n'êtes que des insectes !

La caméra – Ouah ! L'autre, quel ostracisme ! Quel racisme ! Fasciste nazi ! SS !

Le mirco -  eh, je ne suis pas un insecte, je suis vivant, moi !

La mouche – Parce que, moi, je ne suis pas vivante, peut-être, espèce d'objet matériel commun ! Artefact, va !

L'animateur – Attendez, c'est n'importe quoi aujourd'hui ! Du grand n'importe quoi, en vingt ans de carrière, je n'ai jamais vu un cirque pareil !

La table de vingt mètres au carré -  J'ai plus d'année de carrière que vous, je ne permettrais pas que l'on me compare à l'arène d'un cirque. Quel mépris des petites gens, c'est un scandale ! Vous devriez avoir honte !

La mouche – Ca c'est envoyé ! Merci la piste d'atterrissage. Il te reste des miettes de brioche, quelque part ?

Les miettes de brioches – Ferme ta gueule la table où on raconte la fois où tu fus prises pour lit par l'animateur et une collégienne mineure après l'enregistrement « Les jeunes peuvent-ils être encore révolutionnaires ? »

Les jeunes conformistes – Donnez-nous des idéologies qui tiennent la route et nous serons des révolutionnaires, prêt à tout casser pour tout briser ! Bande de vieux pituitaires pithiatiques, cacochymes valétudinaires ! Bande de vieux cons séniles, en somme !

Les vieux sénescents – Bande de petits morveux merdeux. Respectez les anciens, nous sommes votre mémoire, même si on n'en a plus !

Moi, je suis parti à ce moment, car j'étais d'accord avec le coordinateur bien coiffé, c'était du grand n'importe quoi.

Nous marchions la belle Hélène  de Grèce antique et moi, elle m'avait emboîté le pas et elle me demanda si j'avais aimé son discours.

-         Le discours, aucune idée ! J'n'ai rien compris, par contre j'ai aimé votre voix mélodieuse et sensuelle comme celle d'une flute de pan qui fait la roue.

Quel dragueur, fis-je, fais-je et fesses-je, mais ce fut sans suite, car j'ai horreur des intellos qui déclinent « le néant et le non-être », dans mes nuits de grandes solitudes à plusieurs, quand le soleil n'est plus qu'un vague évènement évanescent et surtout, quand je préférais une présence active à une dialectique passéiste. Pas envie d'être dans de beaux draps dans ma chambre à découcher.

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