une vie si bête

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Le 18 mars, je dégustais une Corona plongé dans J'irai cracher sur vos tombes. Avec le recul, ce fut plutôt une bonne idée que l'on me conduisît au poste de police pour m'interroger. Le commissaire coupait les cheveux en quatre gratuitement. Le 11 mai, je n'eus pas à me précipiter chez le coiffeur.

On m'auditionna longuement, après que l'on eut saisi mon ordinateur, sur les raisons pour lesquelles il contenait des kilobits de fichiers compromettants. L'officier était trop jeune pour comprendre que mon travail de recherche pour écrire une biographie de Jacques Trémolin m'obligeât à visionner des heures de documentaires sur les chauve-souris et les pangolins.

On me signifia que, si je sortais libre pour le moment, mon dossier serait transmis au procureur de la République sur la base de l'article 521-1 du Code pénal qui condamne les sévices envers nos amies les bêtes. Il me fut interdit de quitter mon domicile. J'étais persuadé être un bouc-émissaire et je ne doutais pas que, malgré la période inédite que nous traversions, je ne tarderai pas à démasquer les coupables qui tentaient de me pigeonner.

La coupe ne fut pas si bon marché que cela et elle était loin d'être pleine. Je n'avais pas fait un kilomètre en sortant du commissariat que je fus arrêté par une patrouille qui exigeât mon attestation de déplacement. Après que l'on m'eut menacé d'une amende de cent-trente-cinq euros, le ton changea quand je traitai la fliquette de gros bourrin. Je finis dans un panier à salade pour me retrouver devant mon commissaire qui m'assaisonna de remarques aigres-douces. Au 521-1 vint s'ajouter le 433-5 pour outrage à agent.

Le dernier coup de téléphone à ma femme date de ce jour. Je lui demandai de jouer à l'EuroMillions le 5, le 21, le 1, le 4 ainsi que le 3 et de cocher les étoiles 3 et 5. Dès lors, je ne reçus plus de nouvelles de sa part. J'ai depuis appris qu'une tourquennoise avait décroché le jackpot de cent quatre-vingts millions.

Pour m'éviter une nouvelle déconvenue avec une ronde, on décida de me garder au frais. On me transféra en cellule où en guise de bizutage j'eu chaud aux fesses. Fort heureusement, les prisons possèdent des bibliothèques. J'empruntai Papillon et Le Comte de Monte Cristo.

Une nouvelle fois, je dus céder aux avances de Robert, mon amoureux, pour qu'il m'obtînt une petite cuillère. L'enfer est pavé de bonnes intentions. Je refusai poliment son offre non désintéressée de me trouver en sus un couteau. J'ai ma fierté et je ne suis pas du genre à me mettre à genou facilement, d'autant plus que l'humidité des lieux avait réveillé mon arthrite. J'apprenais la guitare depuis deux ans et je m'étais laissé pousser les ongles. Je les utilisai pour gratter la brique. En trois semaines, je crus atteindre le bout du tunnel. Je débouchai sur la salle de repos des gardiens.

Au mitard, je fis la connaissance de Mickey. C'est le sobriquet que je donnai au rat. Il venait le soir, ou le jour, à moins que ce ne fut le soir du jour ou le jour du soir tant l'obscurité qui devint mon quotidien m'enleva toute notion du temps, pour me voler ma pitance. Je perdis rapidement tout contact avec la réalité.

Je me construisis un monde parallèle. Je fermais les yeux et j'appuyais sur mes paupières. La pression exercée sur les vaisseaux sanguins de mon humeur vitrée me transportait dans le monde des phosphènes, peuplé de formes étranges, proche de visions chamaniques. À une lumière blanche auréolée de traînées sombres succédaient des formes flottantes. Un bestiaire psychédélique se présentait formé de cercles, de poussières, de cristaux ou d'étoiles.

Quand on me libéra, faute de preuves, le monde avait changé, tout comme moi. J'ai réalisé comme nous avions été éblouis par l'éclat de la poudre de perlimpinpin. J'ai tout laissé tomber pour me reconvertir. Je suis désormais dans une association de chiens guides d'aveugles.

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