Venise n'est pas Venise

yunahreb

Il pleuvait sur Venise ce jour-là. Je ne m'y attendais pas. Effarée, je me promenais dans les rues assombries par ce rideau d'eau qui tombait et se reflétait dans celle, plus sale, des canaux. Arc-boutée par le poids des eaux, alanguie et accrochée aux façades des palais vénitiens, je cherchais sans relâche de quoi apaiser ce feu qui brûlait en moi. J'attendais une rencontre mystérieuse au détour d'une ruelle, ou sous le réverbère d'un pont aux allures de truchement de pierres savamment combinées, que sais-je!

L'ambiance, sordide à souhait, me laissait présager quelque sombre destin sur le par-terre de cette ville aux parfums de romantisme et de rêves aboutis. L'élégance, et la crainte d'être isolée, me poussa à me rapprocher des lieux plus communs afin de croiser le passage d'autres âmes courageuses que la pluie vénitienne n'aura pas rebutées. Les cheveux trempés, la face éclairée par un sourire élogieux, je déambulais le coeur en berne, d'une rive à l'autre des canaux que je croisais. Les sons de la rue et la langue italienne étaient assourdis par le vacarme prodigieux que faisait la pluie en claquant le sol.

Au lointain, ce qui devait probablement ne pas être si lointain que ça (souvenez-vous que la pluie peut faire parfois de curieux vacarmes), j'entendis les cloches d'une église sonner la funèbre annonce du trépas d'un de ses paroissiens. Je m'approchais donc de ce nouvel objectif sonore, me perdant quelques minutes en passant par la via Fabrizzi, élégamment fournie en magasins luxueux et autres antiquaires. Les cloches avaient cessé et je n'ai pas pu retrouver la provenance de ces sons qui promettaient pourtant un regroupement d'hommes et femmes plus important que sur les autres chemins que j'empruntais. Un peu ennivrée de solitude, j'en faisais mon parti et continuais ma folle traversée des rues sans chercher d'autres repères que ceux que mon instinct me distillait.

Soudain, je me sentis observée, épiée... Loin de chercher à me camoufler, il me fallait feindre l'indifférence pour ne pas éveiller les soupçons de mon guetteur. Prête à jouer, je m'immobilisai subitement, mais sans me retourner: dissimulant ma véritable intention, je faisais semblant de regarder distraitement les toits des maisons. C'est alors que se dressa devant moi l'image de l'immonde créature que mon esprit rationnel et émotionnellement solitaire avait d'abord pris pour un prétendant en quête de ritournelle... La créature, figée devant moi, me transperçait de son regard maléfique et flamboyant. Immobile, et engluée dans une peur ancestrale qui ne me promettait que la défaite comme issue, je soutenais son regard, comme hypnotisée. Je me sentais vulnérable, impuissante face à la bête. Mais que ferais-je si elle décidait d'attaquer...? Je me ferais dévorer! Je n'avais plus d'autres choix que de saluer ces années tendrement volées à mon Destin et à prier pour que ma fin soit aussi peu douloureuse que ce monstre saurait le faire? M'achèverait-il en un coup ou bien l'agonie me laisserait meurtrir les heures suivantes au passage des lunes et des saisons?

- Signora! Signora!, cria un homme qui poussait une gondole, armé de ses muscles et de sa rame vénitienne.

Je savais qu'il s'adressait à moi, mais mes yeux et tous mes sens étaient pétrifiés devant ce spectacle terrifiant, et je n'arrivais pas même à détacher mes yeux de cette bête funeste.

- Signora!!!!

Il remettait ça!

Je détournai mes yeux une seconde. Il me souriait et haussait les épaules, un peu moqueur et tendrement insolent. De retour sur mon objectif, celui dont j'étais la cible, rappelez-vous, je le vis s'enfuir en zig-zaguant, me laissant ainsi la vie sauve!

Je croyais pourtant que ma thérapie comportementale avait eu raison de ma phobie des rats...

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