Chimanimani

Y K

Un road trip au Zimbabwe, c'est épique et sauvage

Chimanimani. Le nom à lui seul fait rêver. Un nom sorti tout droit d'un conte africain peuplé de personnages fantastiques, de forêts touffues de mystères et de sortilèges, où des sorcières enjôleuses naissent dans des rivières et séduisent de sages griots qu'elles trompent avec de preux chevaliers noirs. Un lieu hors du temps perdu à quelques milliers de mètres d'altitude au milieu des montagnes zimbabwéennes, joyau de verdure côtoyant des pistes de terre rougeâtres, morceau d'Irlande arrivé là par quelque absurde mystère géographique, préservé des vicissitudes d'un système politique corrompu et de magasins remplis uniquement de crèmes glacées et de PQ. Un havre de paix et d'authenticité dans un pays en chute libre.
Pour goûter à ce paradis terrestre, encore faut-il avoir les moyens de s'y rendre.
1200 km aller retour dans une zone où les stations services servent uniquement à regonfler les pneus à bord d'une caisse à savon capable d'effectuer 500 km avec un plein, soit trois bidons d'essence nécessaires afin de ne pas tomber en panne au milieu d'un village qui perdrait rapidement tout côté paradisiaque pour devenir le pire trou au monde. Facile.
Reste à trouver les bidons.
- Allô Kudzai, je suis un ami de Tafadzwa, le frère de ta copine Tendai, on s'est vu à la soirée de Dineyo mais tu ne t'en souviens sans doute pas, bref, Taffy m'a dit que tu pourrais peut-être nous prêter un bidon d'essence pour trois jours.
-Aaaaaaaahpas de problème shamwari mais c'est un bidon en plastique.
Bidons que les stations services refusent obstinément de remplir pour d'obscures raisons de sécurité.
-Mais attends, je crois que Mutsa en a un en métal, appelle le voir.
Cinquante coups de téléphones similaires plus tard et les trois bidons réunis, ne reste plus qu'à rassembler le gang et mettre les voiles. L'épreuve du bidon était un test. L'espoir de rameuter les gars à 6h du matin une chimère. Et le téléphone au Zimbabwe définitivement une torture.
6h30 : pas de réseau
7h : Ca sonne enfin. Dans le vide.
7h30 : Merglnrelô ?
-Yo, Mat !
-mmmrgrnon, c'est Tonderai.
Au ton de sa voix m'apparaît aussitôt l'image de trois corps avachis dans un salon, quelques fonds de bouteilles à portée de main flirtant avec des cendriers vomissant leurs mégots, une émission ringarde de TV Botswana meublant l'arrière plan. Kudzai, Tonderai, Matias, épaves insouciantes d'une sempiternelle nuit de débauche probablement achevée moins d'une heure auparavant. Tout ça ne sent pas bon.
-T'inquiète, on gère…
Bon gré mal gré, nous voilà deux heures plus tard en route vers le paradis. A nous la route.
Soleil matinal déjà chaud sur l'asphalte; routes désertes ; babouins criant à notre passage du haut d'arbres desséchés; vaches placides bloquant la route ; hordes de pentecôtistes tout de blanc vêtus, fantômes noirs ruisselant de sueur et priant faute de dirigeants compétents le ciel immaculé de guérir les maux qui pleuvent ici bas, les 25% de SIDA, le taux d'éducation jadis le meilleur d'Afrique, la plus haute inflation au monde, les pénuries, le choléra, les émissions de TV Botswana. Bref instant d'euphorie collective dans un supermarché de Mutare dont les rayons regorgent de nourriture ; tomates, pommes de terre, riz, saucisses; saucisses !!
Puis la route de nouveau, rouge, déserte, brûlante jusqu'à en devenir floue.
Un barrage de police.
-Hello Shamwari ; les papiers s'il vous plaît.
Jamais pu mettre la main sur mon permis depuis mon arrivée. Oui, effectivement, quelqu'un m'a cassé un phare. Non, ça vient d'arriver, pas eu le temps de le changer. L'assurance ? Je dois avoir ça quelque part…
-Bon, suivez moi.
Je laisse mes quatre lascars entassés cuire à petit feu dans la caisse à savon et m'efforce de régler le problème au plus vite.
-Payer l'amende maintenant et partir ?Ah !Ah Ah !! AhAhAh !!
Son fou rire passé, le gros flic reste me regarder quelques instants, goguenard, savourant son pouvoir, se tortille de plaisir dans son pantalon trop serré, glousse en se frottant la panse puis tourne les talons et me laisse planté là Grosjean, sans savoir si j'en ai pour dix minutes ou trois heures, cette dernière option étant la plus vraisemblable. Je retourne à la voiture. Démarre doucement. Accélère. Regards curieux des autres.
-Alors, t'as payé ?
-Non. Je me suis barré.
-Quoi ? Comme ça ??
-Ouais, mais j'ai quand même regardé s'il avait un gun.
-Et alors ?
-Il en avait pas.
-Et un talkie walkie ? Parce que des barrages, y en a régulièrement…
Aïe. Le silence se fait, le ciel s'assombrit, et Tuku semble soudain chanter faux. Une quinzaine d'interminables minutes plus tard, des képis se profilent à l'horizon. Je retiens mon souffle.
L'agent, tout entier absorbé par la recherche d'une crotte de nez, nous laisse passer sans nous jeter un regard. Wow. J'écrase la pédale d'accélérateur, Brian augmente le volume et oubliant notre frayeur, nous nous enfuyons plein gaz vers nos montagnes enchantées, ricanant mesquinement devant la piètre qualité du corps de police zimbabwéen.
Le soleil rougit, la plaine aride défile et déjà à l'horizon se profilent les sommets verdoyants de Chimanimani. Niché au creux des montagnes, à deux pas du bar, de l'hôtel et des trois minuscules échoppes qui composent le centre ville, nous attend un cottage de rêve où durant quelques jours nous oublierons les pénuries, les obèses corrompus et les flics désœuvrés pour savourer le ciel au milliard d'étoiles d'un pays magique.


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