Yvy Pyahu
petisaintleu
Les scientifiques et les statisticiens estiment que le nombre d'hommes qui a vécu sur la Terre depuis cinquante mille ans s'élève à cent huit milliards. Le chiffre peut paraître astronomique, tellement dérisoire quand on le rapporte aux sept milliards d'habitants qui l'occupent de nos jours. 6,5% de l'ensemble des personnes qui ont façonné les pyramides, inventé l'écriture et qui bientôt s'envoleront vers Mars sont nos contemporains.
On entendait le crépitement du feu. Chacun se taisait, halluciné des visions du chaman. Des récits qui circulaient au sein du groupe, de cette mythologie qui décrivait les origines et les ancêtres devenus divinités, jamais un passeur n'avait décrit avec autant de précision le destin de la tribu. Les anciens se réunirent plusieurs nuits. On les entendit palabrer, se chamailler. Dans la journée, en rentrant de la chasse, on croisait les vieillards, l'air grave et songeur, le visage hâve. Enfin, il fut décidé de se réunir. Il en fallut des soirées pour que chacun comprenne ce qu'ils avaient à dire.
Jusqu'à ce jour, on comptait en lunes. On savait qu'en marchant vers le soleil couchant pendant quatre lunes, on arrivait vers l'eau qui ne finit jamais. C'était le prix à payer pour obtenir les larmes des géants qui hantaient les effroyables profondeurs. Les riverains ont raconté qu'il n'avait jamais pu en sonder le fond, bien qu'ils aient plongé une corde, lestée d'une pierre, longue de cent hommes. À l'opposé, à sept lunes, vers le levant, on trouvait la terre qui monte vers le ciel. Plus d'un s'y était égaré, à la recherche de graines de soleil que l'on pouvait trouver dans les ruisseaux. Il fallut inventer de nouveaux temps. Ils expliquèrent que dans de monde aperçu par la porte psychotropique, ils auraient eux-mêmes rejoint le monde des rêves, les enfants des enfants de leurs enfants les confondant avec les parents des parents de leurs parents.
Ils commentèrent longuement ce que pouvait signifier les descriptions faites des temples qui montaient dans les nuages. Qui était ce dieu, pour lequel on les avait construits, et qui rendait fou, jaloux et malheureux ? Ils ne comprenaient pas ces déserts, ces forêts abattues, ce ciel qui faisait tousser, l'œuvre de leur descendance. Pourquoi se battait-elle pour un morceau de terre ; n'était-elle pas la mère de chacun, de tout être, minuscule chose issue du limon qui un jour offrirait sa pourriture aux générations futures ?
Un sage émit une bien étrange théorie. Qu'est-ce qui nous différenciait de nos frères, les arbres, les pierres ou les animaux ? Ils savaient tous qu'un lien immuable les unissait. Mais, seuls eux savaient comment faire pour creuser un tronc et traverser le fleuve. Aucune autre espèce ne rendait hommage aux corps disparus, ne s'interrogeait pour savoir d'où elle venait, ne se vêtait où n'essayait de comprendre pourquoi le vent soufflait. Ils s'interrogèrent, à savoir s'ils n'étaient pas une monstruosité engendrée par erreur par les esprits.
Ils prirent encore le temps pour réfléchir et pour échanger. Ils en vinrent à conclure, après une nouvelle vision du chaman, où il vit des rivières ensanglantées, des montagnes de corps calcinés, des prairies recouvertes de corps éventrés, qu'ils se refusaient à ce qu'un jour, ils soient les causes de ces horreurs. Fort opportunément, ils vivaient dans le fond d'une vallée, tout aussi inaccessible que susceptible de subvenir à leurs besoins. Il fallut des dizaines de générations pour qu'ils parviennent à leurs fins et que leur refuge soit à jamais caché au reste de l'humanité.
En 2013, John Festwood, un archéologue découvrit par le plus grand des hasards, alors qu'il recherchait des indices d'une cité inca à la lisière de la forêt amazonienne et de la cordillère andine, une rivière souterraine non répertoriée. Après avoir fait appel à une équipe de spéléologues, il parvint, après deux jours qui s'étaient transformés en autant de nuits, de l'autre côté du massif. Ce qu'il découvrit le stupéfia. Il rencontra des hominidés. Étaient- encore des hommes, ces hydrocéphales, goitreux et débiles ? Les études et les prélèvements effectués par la suite prouvèrent une consanguinité de plusieurs millénaires, preuve d'un incroyable isolement.
Quand il revint trois mois plus tard à la tête d'un escadron de biologistes, d'anthropologues et de linguistes, il ne trouva que des corps sans vie. Les analyses toxicologiques révélèrent une concentration anormalement élevée de muscimol et de l'acide iboténique. Le monde des rêves était devenu leur réalité, bien moins effrayante que le monde des vivants.
Très beau texte
· Il y a environ 9 ans ·veroniquethery
Tout simplement sublime.
· Il y a environ 9 ans ·Thomas Toledo
Mouais, allez y tous à me mettre la pression ! Paul, une Tourtel !
· Il y a environ 9 ans ·petisaintleu
Mouais, allez y tous à me mettre la pression ! Paul, une Tourtel !
· Il y a environ 9 ans ·petisaintleu
Héhé il faut assumer la puissance de sa plume ;)
· Il y a environ 9 ans ·Thomas Toledo
le mystère plane..morts par overdose de rêve ?ou de réalité ? .si le texte est très beau, le sujet inquiète
· Il y a environ 9 ans ·fionavanessa
C'est super, belle idée, bien menée. Un peu trop courte du coup car on voudrait que ça dure ce plaisir de lecture que tu nous procures
· Il y a environ 9 ans ·arthur-roubignolle
Bon Arthur, parce que c'est toi, j'ai pondu la suite.
· Il y a environ 9 ans ·petisaintleu
Je vais faire des cauchemars, ça c'est sûr...
· Il y a environ 9 ans ·julia-rolin
Ne t'inquiète pas : le cauchemar se transformera bientôt en réalité.
· Il y a environ 9 ans ·petisaintleu
alors ça craint : j'ai rêvé que je mangeais des crêpes aux champignons et que ma tête ne passait plus la porte!
· Il y a environ 9 ans ·Nan ! j'ai relu et j'aime bien quand tu racontes des histoires ! surtout ce thème... l'imagination vagabonde en attendant de voir où tu nous emmène.
julia-rolin