Arrêt d'autobus
le-fox
Il était apathique, l’autobus, apathique et mou, vautré dans la brume comme dans une soue, apathique et antipathique, sale gueule, verdâtre. Avachi devant un pigeon, car le conducteur, colombophile jusqu’au risible, ne voulait pas le déranger le pigeon, certainement pas. Quant au pigeon, il ne faisait pas mine de s’envoler, attachiant comme pas permis, en parfaite congruence avec le par terre, semblant chiner au milieu d’épluchures de patates qui se trouvaient là.
Parmi les voyageurs, ça râlait sec : on allait être en retard. Le ton monta, et l’on frôla la rixe lorsqu’un escogriffe mal peigné fit savoir à haute voix qu’un peu ça allait, mais qu’il ne fallait pas pousser le niac dans la rizière. Ce qui fut approuvé par le brouhaha de la foule grondante. On envisagea de multiples sévices à perpétrer sur la personne du wattman si celui-ci persistait dans sa volonté d’immobilisme. On parla de lui faire avaler les affichettes publicitaires qui parsemaient la cabine et dont l’achromatisme faisait de toute façon mal aux nyeux, de lui briser sur le crâne une cruche emplie à ras bord d’excréments de morues malades de la peste, qu’une gauchère contrariée trimballait justement d’une main hésitante, de l’asperger de poil à gratter (mais personne n’avait songé à s’en munir, dommage, une prochaine fois peut-être). On voulut briser la fenêtre de l’issue de secours, descendre mettre le volatile à mal, le transformer en pâté, en hachis, en boîte à chats, mais les insurgés reculèrent au dernier moment, un panneau stipulant que le remboursement de ladite fenêtre serait exigible en pareil cas.
Suggérant la manière douce, une femme court vêtue et rentrant de travailler tandis que les autres y partaient offrit l’échange de ses charmes pourtant hors de prix contre la promesse d’une accélération immédiate et sans conditions. Asexué sans doute, le conducteur n’en écrasa que plus fort sa pédale de frein, risquant la fracture du cuboïde, du scaphoïde et des cunéiformes.
Enfin le pigeon, ayant tiré de ses merdouilles tout le profit qu’il en attendait, daigna trottiner jusqu’au caniveau, sans un regard ni un mea culpa à l’adresse des haineux qui lui lançaient pourtant d’atroces invectives.
L’autobus s’ébranla violemment. Ballotés comme des ludions, les transportés en commun purent reprendre leur progression vers leurs destins respectifs.
Quel sans gêne ce piaf ! Excellent en tout cas, belle maîtrise, belle écriture.
· Il y a plus de 8 ans ·breinmilliner
Je suis séduite par ce bus salepoussif et son épique équipée, merci et chapeau!
· Il y a plus de 12 ans ·Hélène
ellen
Hooooooooooooooo !!! que j'ai ri !!
· Il y a plus de 12 ans ·CDC et partage !!
lyselotte
j'aime, Merci!!!
· Il y a plus de 12 ans ·Diarra
tanche de vie hilarante... que je transmets immédiatement à Brigitte Bardot... t'es top Le Fox!
· Il y a plus de 12 ans ·Elsa Saint Hilaire
CDC aussi pour cette histoire de pigeon sans petits pois à la Queneau
· Il y a plus de 12 ans ·sophie-dulac