Auto édition (2)

Christophe Paris

LA FABRICATION. Burlesque.


Chère Madame C,

c'est avec un immense plaisir que je vous écris, vous remerciant de nous avoir choisis  comme fabriquant exclusif de votre nouvel ouvrage collector. Je ne vous cache pas que votre cahier des charges nous a posé quelques problèmes de mise en place, mais nous avons relevé le challenge avec succès me semble-t-il. Voici donc en quelques mots l'état d'avancement de celui-ci.

Tout d'abord afin de respecter un protocole strictement artisanal nous avons mis en place 1048 mâcheurs, 145 lamas, 4 obèses, 250 pipelettes et 4321 calamars. Un cadre tamis de 21 x 29.7 (N'ayant pas d'unité de mesure et s'agissant d'un collector nous en avons déduit qu'il s'agissait de mètres), dans lequel nous fabriquons chaque feuille une à une, et un terrain de foot. Nous respectons comme vous nous le demandez les méthodes ancestrales de production ainsi qu'un code de déontologie social. En effet tous nos mâcheurs officiels suivent une cure de désintoxication. Nous avons remplacé la coca mâchée quotidiennement par ces pauvres indigènes indigents par l'indigeste fibre de Huanghuali. Malgré leur bonne volonté évidente devant mes gardiens armés, nos mâcheurs ont pris du retard après quelques semaines. Cette pour cette raison que nous avons sous-traité une partie du machage aux 145 lamas du Senior Alcantarace. Alors évidemment dans les premiers temps les lamas désapprouvèrent cette méthode, vous constaterez par voie de conséquence une odeur persistante sur les premières pages, ce qui en fera le premier collector en Odorama. Une fois les plus récalcitrants passés au méchoui, la production ne posa plus de soucis.

En revanche le problème du terrain de foot perdura un certain temps. En effet il nous fallait une surface plane à la mesure de votre génie pour l'assemblage des pages de 42 mètres de largeur. Quatre de mes ouvriers furent tués par balle, non par un agent de la Coca-Cola company, mais simplement par le président du club de foot à qui nous avions omis de verser des pots de vins. Ce que nous fîmes prestement. Malheureusement nous avions omis de verser des pots de vins à l'association des  anciens footballeurs locaux, quatre autres de mes ouvriers furent également supprimés. Rassurez-vous ils furent vite remplacés par des lamas chinois. Une fois notre dotation effectuée, il nous restait le problème du séchage. Nous avons à notre disposition 250 pipelettes de plus de 50 ans disposées faces aux feuilles pendues sur des lianes avec quelques ouvriers revêches, que nous alimentons en commérages locaux. Après une demi-heure le niveau vocal se met à tonner et les insultes à pleuvoir. Les vents vociférant ainsi expulsés évitent l'utilisation du séchage à la vapeur en divisant le temps par deux. Une fois séchés nous roulons nos quatre obèses sur chaque page en les faisant tourner par la tête et les pieds. Le résultat est surprenant de régularité excepté les marques de nombrils, 16 par pages. Bien entendu dans un souci de respect de l'individu, nous les remettons à la verticale toutes les deux pages.

Une petite précision, vu la quantité d'encre nécessaire, nous avons malheureusement été obligés de décimer le banc de calamars local, ancestral vivier à nourriture des autochtones. Ils oublièrent vite ce désagrément nourris par nos packs de bières et nos chips au paprika. Moyennant quelques-uns de vos précédents ouvrages ils comprirent la priorité de notre mission. Ceux qui avaient du mal à comprendre ayant disparu sans laisser d'adresse. Concernant cette encre d'un noir d'une rare densité, il faut que vous sachiez qu'elle nécessite une certaine attention. En effet si vous tournez trop vite la page, l'encre risque d'en être effrayée. Il en résultera un jet difficile à nettoyer, mais surtout une disparition totale des lettres. Il est impératif que ce livre ne se retrouve pas en bord de mer au risque de vous faire faux bond et de rejoindre les abysses. Evitez tout arrêt devant une poissonnerie, l'encre risquant de tourner. Une dernière chose concernant la couverture. N'ayant aucune directive de notre part je me suis permis de vous faire tisser une couverture multicolore en laine, celle des lamas consommés précédemment. Etant donné la taille de celle-ci nous avons homologué notre record auprès du Livre Guinness. La télévision parle de nous et les cars de tour operator arrivent depuis par dizaines. Merci, enfin nous allons connaître le progrès.

Voilà, nous prévoyons la livraison d'ici trois mois, via la poste en envoi spécial.

Il nous a fallu fabriquer l'enveloppe, dont vous trouverez le montant à régler ci-dessous. C'est sur votre chef-d'œuvre que s'achève ma longue carrière de tortionnaire au service de multinationales capitalistes. Je pars rejoindre mon collègue Mac hache avec qui nous entreprenons une thèse commune via l'université sur le babouin local de là-bas.

 

 

Cordialement, Pat Affixche.

 

Ps : Enveloppe, Coupe d'un séquoia bicentenaire + main d'œuvre globale (Morts inclus) : 18111 €

CHRISTOPHE PARIS.

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