Bébé modèle
Jean François Guet
Perdue dans ses pensées, Bébé posait sur son estrade au milieu de l'atelier de Marco, un peintre lyonnais qui l'avait prise comme modèle depuis quelques mois. Ils avaient leurs habitudes dans le même café, il cherchait un modèle, elle cherchait un job d'appoint, l'affaire s'était conclue dès lors que la jeune fille accepta que le plasticien l'appelle Bébé, comme tous ses modèles avant elle.
Bébé possédait une plastique irréprochable, pas celle de ces mannequins androgynes trop grandes, trop plates, trop maigres comme l'exigent les grandes maisons de couture mais celle d'une femme fleur à la veille de s'épanouir. Avec une ample chevelure blonde aux discrètes nuances vénitiennes, des yeux verts d'eau très clairs mais lumineux, un gentil petit nez, une bouche charnue qui s'ouvrait sur une dentition parfaite, et un grain de peau très légèrement cuivré, Bébé buvait la lumière.
Quand elle posait, l'esprit de Bébé vagabondait loin de l'atelier. À la pause, elle replongeait avec sérieux dans un de ses polycopiés de la faculté de droit où elle étudiait. Face à son modèle, Marco peignait des toiles plutôt abstraites où nul n'aurait reconnu Bébé, ou bien il faisait des croquis assez rapides au fusain sur de grands formats de papier Ingres. Eux représentaient fidèlement la jeune femme, saisissant avec finesse et habileté, ses petites moues enfantines. Parfois, Marco ne faisait rien mais il tenait à garder Bébé à sa disposition, nue sur son estrade.
Ce jour là, Marco sirotait un café en lisant Libé, quand il interpella Bébé qui se leva et s'approcha de lui avec une absence totale et naturelle de pudeur, le regard du peintre n'ayant jamais exprimé la moindre lueur de désir pour elle.
- Tiens, je crois que j'ai dégoté un truc pour toi ... Lis cette annonce, je crois qu'elle a été rédigée pour toi. Bébé se colla à lui pour lire:
CASTING : Société de production cherche pour un prochain long métrage, jeune fille blonde, 20 ans environ. Le casting aura lieu à Lyon à l'hôtel Novotel de la gare de la Part Dieu le 15 septembre. Se présenter à l'accueil à partir de 9h.
- Bof, ça ne me dit pas grand chose, bouda Bébé du bout des lèvres,
- tu avais bien suivi des cours d'art dramatique, non?
- oui, mais j'ai plaqué. Monter sur scène devant les autres élèves me terrorisait au delà du supportable,
- là, c'est juste du cinéma, sans doute pas un premier rôle. Tu ne risques pas grand chose à te présenter,
- ça va me faire sauter un cours de droit constitutionnel,
- tu pourras toujours le rattraper mais je ne sais pas, j'ai l'impression que cette annonce est faite pour toi,
- comment ça?
- je ne lis jamais les annonces de Libé et là, pour une fois, je tombe sur cette annonce. J'y vois un signe!
- vous, superstitieux?
- faut croire. Je crois surtout que tu as un genre de beauté vraiment rare, un genre que je ne retrouve pas chez les actrices du moment, alors, qui sait?
Bébé rougit sous le compliment. Elle n'avait rien d'une femme fatale à faire saliver tous les loups garous du quartier, mais beaucoup d'une femme fleur à faire rêver les poètes, les artistes et parmi eux, peut-être, les metteurs en scène. Elle demanda à réfléchir, Marco insista et la séance suivante, elle capitula. Pour lui faire plaisir, elle se présenterait à ce casting. Le plasticien lui assura qu'elle ne le regretterait pas. Tous deux retournèrent à leurs rôles habituels sous la grande verrière de l'atelier.
À Paris, au bar du Train bleu, le buffet de la gare de Lyon, Georges, le directeur de casting venait de retrouver le reste de l'équipe, Claudine, la secrétaire chargée de l'accueil des candidates, Jackie la maquilleuse, Gilbert, le technicien des éclairages et de la prise de son, Bernard le photographe, et Monique l'assistante personnelle de Jean-Jacques le futur réalisateur qui lui avait demandé de contrôler les élans de Georges dont il ne partageait pas toujours les enthousiasmes.
- Georges, t'es encore à la bourre … plus le temps de boire un café! lui reprocha Monique,
- Fais pas cette tête! Je t'en paierai un autre dans le TGV! ricana Georges qui, sans façon, finit le café de Monique,
- T'es un beau dégueulasse quand même, le café du wagon bar c'est de la soupe! Maugréa l'assistante,
- Tu prendras autre chose ma poule, rétorqua le goujat.
- Allez, puisque tout le monde est là, on y va!
La petite troupe encombrée de grosses valises du matériel de Gilbert fila vers le quai et embarqua en première classe.
- Quelle drôle d'idée d'aller à Lyon pour un casting! s'étonna Bernard qui jouait à cultiver une phobie de la province,
- C'est une idée de Jean-Jacques, le défendit Monique. Il en a marre de voir toujours les mêmes nanas à ses castings,
- Oui, mais les belles blondes, ça manque pas à Paris et puis Lyon c'est pas Stockholm!
- C'est quand même la deuxième ville de France, rappela Georges,
- Ça reste la province profonde, quenelles, saucisson chaud et andouillettes de rigueur, ronchonna Bernard,
- Jean-Jacques aimerait refaire le coup de Jeunet avec la petite Tautou et comme c'est une brune, il parie sur une blonde, indiqua Georges,
- Il y a pourtant pas mal de jeunes premières blondinettes sympas dans le circuit en ce moment.
- Aucune Tautou blonde, encore moins de futures Deneuve, Bardot ou de Marylin.
- Et puis cette idée de Novotel, ça fait un peu recrutement pour maison de commerce en charcuterie fine, ricana Bernard,
- d'accord, c'est cheap, mais c'est très pratique et le personnel adorable, assura Monique,
- comment le sais-tu? demanda Georges intrigué.
Monique répondit par un sourire silencieux et ironique. Elle avait l'habitude de s'y rendre parfois pour retrouver son galant favori, le seul avec qui elle aimait complètement s'abandonner, s'apprêtant avec soin comme il l'exigeait, à fond dans son rôle devant la glace de son dressing, déjà bouleversée dès qu'elle quittait son appartement en faisant claquer ses talons aiguilles avec gourmandise dans la cour le son immeuble. Le personnel de l'hôtel avait fini par repérer ces habitués élégants, les servant avec d'autant plus de zèle et de gentillesse qu'émanaient d'eux d'une sensualité discrète particulièrement contagieuse. De fait, à l'arrivée de l'équipe de casting, attendait un bon café, accompagné d'excellentes viennoiseries et de jus d'oranges pressées de frais. Comme convenu les candidates patientaient dans un salon. Aux dires de l'hôtesse, l'annonce en avait attiré une cinquantaine.
Bébé n'avait rien dit à sa mère qui s'étonna de la voir partir dans sa petite robe orange juste avec un sac à main, qui plus est juchée sur des escarpins, elle qui ne mettait que des jeans et des baskets pour aller à la fac. Mais l'idée d'un rendez-vous amoureux plaisait d'autant plus à la mère que sa fille lui semblait bien trop sage pour son âge. À sa connaissance, Bébé n'avait jamais eu de petit ami. Elle ne posa donc aucune question et se contenta de lui souhaiter une bonne journée en l'embrassant.
Bébé prit le tramway pour la gare de la Part-Dieu. Sensation inhabituelle, la jeune fille fut incommodée par les regards pesants des hommes de tous âges qui semblaient s'insinuer sous sa robe avec fièvre, de même que par les regards d'admiration et de jalousie mêlées que lui portaient en retour les femmes. Bébé regretta d'avoir suivi le conseil de Marco. Elle n'avait aucune intention de faire carrière dans le cinéma, encore moins de devenir la nouvelle star du moment mais elle était foncièrement docile et ne voulait surtout pas décevoir ce peintre pour qui elle avait une profonde vénération. Elle fut soulagée d'arriver et se précipita presque vers l'hôtel.
Arrivée à la réception, Bébé suivit la flèche qui conduisait à un salon dont la double porte était grande ouverte. Là, une cinquantaine de filles, toutes blondes, attendaient dans un silence de couvent carmélite. Pas de mère supérieure mais une hôtesse en uniforme de l'hôtel qui lui proposa du café, du thé, de l'eau fraîche ou un jus de fruit. Elle lui fit remplir une fiche signalétique en lui indiquant qu'on viendrait la chercher pour un premier entretien. Bébé but un grand verre d'eau et alla s'asseoir sur un des sièges, pliable mais confortable, gardant les jambes serrées, le sac à main sur les genoux, comme si elle attendait son tour chez son médecin. Elle prit alors le temps de regarder les autres filles, toutes plutôt jolies.
Bébé repéra tout de suite les fausses blondes car leur teinture offrait un léger contraste trop brillant avec les autres. Elles n'avaient pas l'air vulgaire pour autant. Se lisait sur leur visage la même angoisse que chez les autres. Bébé se demanda brusquement comment les responsables de casting vérifiaient l'authenticité de la couleur, redoutant qu'on lui fasse baisser sa culotte d'autant plus qu'elle s'épilait complètement depuis que Marco le lui avait demandé. Elle sourit en pensant que les autres pouvaient avoir fait de même ou bien poussé la tricherie jusqu'à se teindre aussi les poils pubiens. Un bon tiers des candidates portait pantalon, jeans de marque plus ou moins déchirés ou rapiécés ou pantalons de toile claire, tombant tantôt sur des baskets bien propres ou sur des chaussures dont la hauteur de talons variait selon la taille de la fille. Au dessus, que des T shirts, tous de marque, plus ou moins échancrés, décolletés, raccourcis. Dessous, beaucoup de soutien-gorge dont l'étiquette, voire les bretelles étaient trop voyants. Bébé avait du mal à les imaginer en actrices mais elle pensa que même les stars s'habillaient comme ça, à la ville comme à la scène. Les autres filles portaient des jupes ou des robes d'été, pour moitié des tenues plutôt décontractées, deux ou trois en grandes jupes colorées franchement sixties, mais aussi des vêtements couture, certaines ayant manifestement sortie leur tenue de soirée, petite robe noire, courte et moulante. Quelques unes faisaient carrément endimanchées, prêtes à aller à la messe de mariage de leur grand frère. Parmi ces filles là, des dames plus mûres, blondes également, les mères venues accompagner leur fille, manifestement encore plus angoissées qu'elles, leurs mains unies et serrées l'une à l'autre, ajoutant ainsi à leur propre trac au lieu de les rassurer.
Bébé songea que sa mère aurait tout fait pour la dissuader de participer à ce casting. Très conformiste, elle rêvait pour pour sa fille d'études réussies, d'une carrière convenable, suffisante pour assurer son épanouissement comme son indépendance, d'un mari sérieux à l'avenir prometteur, si possible issu d'une bonne famille, d'origine européenne, de petits enfants blonds, turbulents mais doués. Cette perspective maintes fois suggérée depuis son enfance avait dissuadé Bébé de toute relation sentimentale. Son goût des hommes la portait presque aux antipodes des rêves de sa mère avec qui elle avait horreur d'être en conflit. Les plaisirs solitaires ne satisfaisant que pour partie une libido tout à fait normale pour son âge, elle s'accordait, de loin en loin, une relation furtive avec un garçon de passage, le plus souvent au sortir d'une soirée en boîte, les capots de voiture valant bien des lits.
Beaucoup de candidates avaient amené leurs books. Certaines se les échangeaient les feuilletant lentement, cherchant peut-être le défaut physique fatal qui éliminerait à coup sûr la concurrente. Bébé posait mais Marco n'avait jamais fait de cliché d'elle. Elle songea qu'elle aurait sans doute refusé d'être photographiée nue même si sa confiance en Marco était presque aveugle, et ce n'étaient pas les photos de famille ou prises entre amis qui auraient permis de constituer un book valorisant. Si ces filles en avaient, c'est qu'elles devaient être habituées des castings, sans doute pour du mannequinat, Lyon restant une capitale de l'industrie textile à défaut d'être celle de la mode. Leur coiffure et leur maquillage recherchés confirmait l'opinion de Bébé. Elle en était là de ces pensées quand une hôtesse vint la chercher pour l'accompagner dans une autre pièce où siégeant derrière un grand bureau, Claudine, sa fiche sous les yeux, la pria de s'asseoir.
- Avez vous déjà joué la comédie?
- Non, mais j'ai pris des cours d'arts dramatique pendant deux ans. Quels professeur?
- Plusieurs mais surtout Patrice Rocher,
- Connais pas,
- Il ne joue qu'au théâtre, dans une troupe d'avant garde à Lyon,
- Ah, les théâtreux...
- C'est un peu pour ça que j'ai arrêté,
- Vous avez bien fait mon petit.
- Vous avez un book?
- Non,
- Je préfère. Vous ferez quelques clichés avec notre photographe. Ce reflet légèrement roux dans vos cheveux, naturel?
- Oui,
- Je m'en doutais, vraiment trop beau pour être le fruit d'une teinture. Étudiante en quoi?
- Droit,
- L'idée d'être avocate?
- Pas vraiment. Plutôt service public,
- Magistrat?
- Non, concours administratifs,
- Drôle d'idée! Mais bon, au moins c'est une carrière assurée, autre chose qu'intermittent du spectacle. Vous dansez?
- Non mais j'ai fait de la danse classique du CP à la troisième.
- Ça se voit.
- Ah bon? Au port de tête ma petite, ça ne trompe pas. Vous chantez?
- Non, mais j'ai fait du piano. J'en joue encore un peu, de temps en temps.
- Du classique, bien sûr!
- Non, de la variété, le classique c'est trop de travail.
- Une vraie éducation de petite fille modèle mon petit! Parents aisés?
- Sans plus : papa est professeur de mathématiques et maman est comptable à mi-temps.
- Vous faites du sport?
- Non, pas vraiment : un peu de ski l'hiver, de voile l'été, de marche en montagne le week-end.
- Vous parlez quelles langues? Anglais correctement et des notions approfondies d'allemand.
- Bien. Auriez-vous une question à me poser?
- Oui. De quel film s'agit-il?
- Secret professionnel mon petit. Ni le metteur en scène, une gloire du métier, ni le producteur ne veulent communiquer à ce sujet. Mais rassurez-vous, ce n'est pas pour un film X, c'est une grosse production, un chef d'œuvre peut-être. Bien mon petit, ne vous éloignez pas, je crois que l'on vous retiendra pour l'après midi.
Bébé alla se rasseoir en remarquant qu'il y avait déjà moins de filles. La secrétaire faisait donc un premier tri. Un moment plus tard, elle entrevit une fille en sanglots qui faisait un signe désespéré à sa mère qui la rejoignait, hagarde. Elle songea qu'elle-même serait repartie volontiers, laissant de bon cœur sa place à cette pauvre fille qui, manifestement, avait beaucoup misé sur ce casting, rêvant à l'excès de gloire et de paillettes. D'un autre côté, habituée des examens scolaires et de leurs oraux, Bébé était plutôt heureuse d'avoir réussi la première épreuve. Elle était curieuse de vivre la suite.
Les filles qui étaient revenues commençaient à papoter joyeusement entre elles autour du buffet. Une grosse part de stress évacué, elles se libéraient. Un peu avant midi, il n'en resta qu'une vingtaine, les contingents de pantalons et de books ayant été largement décimés, celui des fausses blondes anéanti. Ne restait qu'une maman, encore plus soulagée que sa fille d'avoir passé le premier tour, déjà fière de cette réussite.
On débarrassait le buffet quand toute une équipe vint dans le salon. Georges fit les présentations de chacun des membres et de son rôle dans l'équipe ; il indiqua le programme de l'après-midi : un deuxième tour d'entretien enregistré cette fois et, pour une demi douzaine de filles, une séance photo. Les lauréates seraient invitées, à Paris, à une ultime sélection avec le metteur en scène. En attendant, la production était heureuse d'inviter les participantes à partager un buffet avec l'équipe de casting.
Des victuailles en abondance furent amenées, du chaud, du froid, du sucré, du salé, le tout étant assez raffiné et surtout très bien présenté. De même pour les boissons: champagne, vins blancs et rouge, jus de fruit et eaux minérales. Georges, Gilbert et Bernard eurent tôt fait de se mêler aux candidates, les incitant à boire du champagne ce qui acheva de détendre largement l'ambiance. Certaines des filles s'enhardirent et se mirent à draguer ostensiblement les trois garçons finalement très heureux de cette escapade lyonnaise. Bébé avait, elle, choisi de se rapprocher de Claudine qui bavardait avec Monique.
- Regarde-les ces sales gosses! Ils ne savent vraiment pas se tenir! gronda Monique.
- On les laisserait faire, ils les sauteraient sur place et ces péronnelles se laisseraient faire avec joie! S'amusa Claudine.
- Lesquels sont à blâmer?
- Les garçons bien sûr qui exploitent leur naïveté! Dieu sait ce qu'ils sont capable de leur promettre.
- Ma chérie, n'oublie pas que les filles sont bien moins naïves que tu ne le penses. Elles savent jouer de leur cul depuis longtemps.
- Torts partagés donc!
- Finalement, nous sommes jalouses qu'ils ne nous draguent pas.
- Heureusement qu'ils nous foutent la paix! Tu en voudrais toi?
- Non, tu as raison. Si nous avions voulu, nous n'aurions pas attendu Lyon pour consommer!
- Se faire consommer plutôt! Dit Monique d'un rire cruel avant de se tourner vers Bébé. Et vous mon petit, vous ne vous mêlez pas à le meute?
- Ne sont-elles pas déjà assez nombreuses? répondit Bébé en souriant.
- Vous avez raison, restez avec nous, le champagne ne vaut rien pour les castings.
- Ne lui livre pas nos petits secrets de sélection, s'inquiéta Claudine.
- Tu vois bien qu'elle n'est pas sotte, elle a bien compris, fit remarquer Monique.
- Pas vraiment blonde alors! rirent-elles ensemble de bon cœur.
L'après midi se déroula comme prévu. Bébé ne passa ni la première ni la dernière. Elle put donc voir les larmes de dépit et de rage des filles éconduites et le soulagement de celles qui revenaient pour l'ultime séance. Quand Claudine vint la chercher, elle n'était pas stressée, juste ennuyée de trouver le temps si long et sans doute inutile. Claudine lui dit un petit mot gentil avant de l'introduire. Georges menait l'entretien, reprenant d'abord quelques unes des questions posées le matin.
- Pourquoi avoir abandonné le théâtre?
- Je n'en avais finalement pas la passion.
- Vous avez celle du cinéma?
- Je n'en suis pas sûre.
- Pourquoi être venue alors?
- Pour faire plaisir à un ami.
- Votre petit ami?
- Non, pas du tout, un ami peintre pour lequel je pose.
- Vous posez? Nue?
- Bien sûr. C'est un artiste réputé.
Georges était décontenancé par ces réponses dénuées de tout calcul, ce qui fit doucement rire Monique et Claudine qui, elle, se tenait en retrait.
- Elle est vraiment nature celle là, dit Georges à voix basse à Monique.
- Un peu de fraîcheur, ça change.
- Ça change tellement que c'est vraiment nouveau. Tu crois qu'elle est idiote?
- Pas du tout, elle est vraiment nature.
- Bien, reprit Georges à haute voix, nous allons vous faire lire quelques répliques.
Georges tendit à Bébé une feuille ou était imprimée une demi douzaine de répliques avec quelques indications sur le ton à prendre. Il lut la première, "une jeune fille perdue qui demande son chemin à un agent de police", en précisant ce qu'il attendait d'elle. Elle se leva et se prêta à l'exercice avec grâce, sans chercher à jouer, juste en prenant l'intonation et les gestes qu'elle aurait elle dans le même genre de situation. Il la lui fit refaire trois fois, en lui demandant de modifier tel ou tel aspect de son jeu. A chaque fois, elle sut s'adapter sans en rajouter.
Georges choisit une autre scène, franchement pathétique: "une fille à qui son amoureux vient annoncer qu'il la quitte." Bébé, confrontée à une situation inédite pour elle, sut à merveille mais instinctivement jouer l'incrédule, en revanche nettement moins bien la fille en pleurs. De nouveau il fit refaire la scène trois fois. Sa docilité l'emporta sur ses maladresses.
Par perversité, Georges choisit une dernière scène: "une pute qui détaille ses prestations à un éventuel client". Bébé rougit en l'écoutant dire les quelques phrases de la réplique. Monique la rassura doucement en lui rappelant que ce n'était que du cinéma, enfin, pas encore mais un peu quand même. Elle sut en quelques mots crus et impérieux, ceux d'une maquerelle, la mettre dans la situation. Bébé eut du mal avec la première prise mais la troisième fut très réussie. Monique et Georges étaient conquis tant Bébé dévorait l'écran. Maintenant, il lui restait à poser pour les photos.
Bernard l'attendait dans une pièce contiguë et prit quelques clichés. Des portraits tout d'abord, des plans américains, des photos en pied. Bébé fut étonnée qu'il ne lui demande pas de poser nue mais elle préférait. Il lui promit de lui adresser des tirages. Elle lui griffonna l'adresse de Marco, affolée à l'idée que sa mère tombe dessus. Cette précaution fit sourire Bernard qui était rapidement tombé sous le charme de cette gosse dont les cheveux, le regard et la peau accrochaient si bien la lumière.
Claudine raccompagna Bébé jusqu'à l'ascenseur en lui confirmant qu'elle avait vraiment séduit toute l'équipe, lui assurant que son passage à Paris serait réussi, ne doutant pas que le metteur en scène, un homme plein de talents mais aussi de gentillesse, serait lui aussi conquis. Bébé était un peu décontenancée par leur enthousiasme. Elle remercia Claudine poliment mais sans chaleur excessive et s'en fut reprendre son tram.
De retour à l'atelier, Bébé mentit à Marco en lui disant qu'elle avait été recalée, au deuxième tour. Non, elle n'était pas déçue. Le peu qu'elle avait vu du milieu du cinéma ne lui avait pas donné envie d'en connaître davantage, forçant un peu sur la scène de drague au buffet. Marco maugréa que ces messieurs du cinéma n'y connaissaient rien, lui seul ayant décelé chez Bébé ses immenses qualités plastiques. Elle aurait aimé qu'il ajoutât : et aussi intellectuelles, ou humaines, ou quelque chose d'autre qui lui aurait donné le sentiment d'exister. Elle ravala sa rancœur et reprit son travail de modèle comme si de rien n'était, redevenant l'objet consentant du culte rendu à sa seule beauté.
Quelques temps plus tard, elle reçut un texto de Claudine lui demandant de rappeler pour organiser sa venue à Paris. Elle n'y répondit pas. Georges l'appela pour le même motif. Elle lui répondit qu'elle ne souhaitait pas venir. Claudine la rappela, puis Monique, de nouveau Georges. Rien n'y fit, Bébé resta gentiment inflexible. Le réalisateur lui même finit par l'appeler personnellement pour lui dire combien lui aussi avait été séduit et qu'il comptait beaucoup sur elle.
Bébé fut très troublée d'être l'objet de la sollicitude de cet immense metteur en scène dont elle avait vu et parfois revu tous les films, même ceux qui avaient été boudés par la critique. Elle fut particulièrement émue qu'il lui parle longuement de son projet, un film noir autour de la rencontre d'un terroriste en cavale et d'une jeune provinciale égarée à Paris, la confrontation de deux mondes et de deux idéaux très éloignés l'un de l'autre, le tout sur fond de scandale politico-financiers et d'affaires africaines, entre Paris, la Suisse, Monaco et la Corse. Il lui parla aussi de son approche du cinéma, de son goût pour un esthétisme glacé au service de situations et d'univers sombres, de sa façon d'impliquer ses acteurs dans l'élaboration de son travail, de la musique qui était pour lui bien autre chose qu'un support d'ambiance. Il avait une voix douce qu'elle écoutait avec plaisir. À cet argumentaire persuasif, Bébé répondit avec conviction: « comptez sur moi, Monsieur! »
La suite est un de ces contes de fée dont raffolent les tabloïds pour concierges, vous l'avez sûrement déjà lue chez votre coiffeur!
Relu avec grand plaisir ce petit bijou mené de maître !CHAPEAU A RAS DE TERRE très cher ! merci pour l'évasion ! bisous et douce soirée loin des coeurs désséchés.
· Il y a presque 7 ans ·Christine Millot Conte
Superbe texte, comme tu sais si bien les écrire. J'ai été captivée ! Bravo
· Il y a presque 8 ans ·yoda
oui, étonnant conte de fée moderne
· Il y a plus de 8 ans ·Florence
j'espère que le plaisir a accompagné votre étonnement ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·Jean François Guet
Vraiment excellentissime comme d'hab et comme d'hab j'vais radoter mais j'adoooore ton écriture si visuelle qui, fait que, dès les premières lignes, le lecteur s'immerge dans ton univers ! Je me suis délectée mais c'est bizarre parce que j'suis abonnée à tes publications mais ne reçois jamais rien dans ma boîte de réception quand tu publies ?? Heureusement que j't'ai vu sur FB ! J'adooore aussi les clichés de Georges et des nanas avec leur books ! bref, j'adore tout donc en un mot comme en cent et en tout objectivité CASQUETTE A RAS DE TERRE pour le brio avec lequel tu mènes ton récit ! merciii pour l'évasion ! bisous et excellent weekend fertile et prospère loin de ce monde sectaire ! à bientôt !
· Il y a plus de 8 ans ·Christine Millot Conte
merci de tes compliments qui me touchent beaucoup
· Il y a plus de 8 ans ·oui, ça me parait important d'installer un univers et de structurer un récit cohérent sinon passionnant autour de personnages attachants et de situations singulières
oui la chute renvoie à l'intro, c'est peut-être académique mais je ne suis pas assez (ré)créatif pour prétendre m'affranchir de ces règles
pour le hors piste, j'ai Albert et, parfois, la poésie
en fait, j'ai stocké ici mes nouvelles les plus longues mais, contrairement à Short, j'ai peu d'abonnés alors je relance sur FB histoire de leur trouver des lecteurs
voilà, tu sais tout
grosses bises pour un bon WE
Jean François Guet
Tu fais bien de les publier ! ça me permet de découvrir tes perles ! bisouuuuus et douce soirée loin de ce monde insensé ! à bientot Jeff !
· Il y a plus de 8 ans ·Christine Millot Conte
une belle histoire (comme d' habitude !...) toujours des personnages que tu sais très caster...
· Il y a plus de 8 ans ·avec toi, on est comme une petite souris qui voit tout sans se faire voir... :-))
Heureusement que tu partages sur FB, car je ne reçois pas de notif quant tu mets un texte :-(
Maud Garnier
merci pour le "comme d'habitude" (rire)
· Il y a plus de 8 ans ·en fait, j'ai 8 nouvelles assez longues ici mais j'ai peu d'abonnés et les posts sur FB ne touchent que 20% de mes contacts actifs alors je m'offre une petite relance de temps en temps ... belle journée à toi ;-)
Jean François Guet
C'était la seule que je n'avais pas lu !... c'est chose faite :-)
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Ayé j'ai tout lu de la blonde sans tatous, fluide (je ne sais pas si ça t'importe dans le dialogue, Monique Bébé, quelques retours à la ligne perdu.)
· Il y a plus de 8 ans ·Bonne journée :)
sortilege
grand merci de ta lecture attentive ... je vais recontrôler la typo ... belle journée à toi ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·Jean François Guet
bien du début à la fin ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·julia-rolin
merci Julia ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·Jean François Guet
haha et bien... Quelle fin... c'est malin!!!! Une petite mais alors toute petite coquille rien que pour te taquiner et tu iras la corriger... j'ai bien aimé ta nouvelle... J'espère que cette histoire se termine bien...ou pas....pour faire pleurer les concierges comme disait pépé...Kissous
· Il y a presque 9 ans ·La petite coquille:le dialogue qui saute et le s...
- Non, mais j'ai pris des cours d'arts dramatique pendant deux ans. Quels professeur?
vividecateri
merci Vivi : y en a qui suivent ;-)
· Il y a presque 9 ans ·je vais voir comment corriger
bisous bisous :-)
Jean François Guet
héhé.... ben oui... kissous
· Il y a presque 9 ans ·vividecateri