Belle mécanique
erge
Histoire amère à lire concentré.
C'était la plus belle de toutes. Un morceau de choix.
Tous les quartiers aux alentours n'avaient d'yeux que pour elle.
Tous en orbite pour la presser au plus près. D'ailleurs, elle se délectait de voir autant de monde au balcon.
Elle avait des mensurations de reine à leur faire perdre la boule et à en rendre plus d'un déconfit. Sa rondeur généreuse et méticuleusement proportionnée la rendait désirable aux regards à tout-venant, ébaubis devant tant d'étalages de bon goût.
Outre son affriolant embonpoint qui la rendait bonne en tous points, elle dégageait une douceur acidulée s'exhalant de sa bonhomie concupiscente. Charnelle, plantureuse, épanouie, elle jouait de son opulence pulpeuse comme une Vénus brésilienne de ses formes callipyges.
Montrer ainsi sa carrosserie sans vices cachés l'autorisait à rouler des mécaniques.
Son nombilic parfois outrancier qu'elle arborait en société en faisait rougir plus d'un, figé qu'il pouvait être devant tant d'amertume ostentatoire.
Parfois, c'est elle qui piquait un fard jusqu'à illuminer sa bouille d'un éclatant ton tangerine. Craquante à souhait.
A n'en point douter, cette belle plante avait été élevée au grand air par des petites mains consciencieuses.
Abondamment gorgée de soleil à longueur de journée pour avoir une mine aussi saine. Parcimonieusement arrosée durant sa croissance de façon à ne pas sortir inopinément ses pépins.
Nullement empotée. Au contraire, savamment cultivée.
Pas potiche pour un rond. Ce qui la différenciait d'une plante verte prompte à s'enticher du premier pot aux roses venu.
Somme toute suffisamment frictionnée pour avoir une peau sans cellulite. De cette fermeté dépendait sa conservation, exhibant une maturité alliant le bio à la saveur.
Mais ça, c'était bien avant le drame.
Bien avant qu'un pépin n'enraye cette belle mécanique pour un enterrement de première de la classe.
J'avertis le lecteur sensible aux effusions d'hémoglobine qu'à ce moment précis, la situation se corse et devient saucissonnée.
Un matin où la récolte battait son plein, la pauvre était tombée de haut après avoir été pendue par son bigaradier en chef. Qui l'envoya bouler en l'invitant à aller se faire voir ailleurs. Elle alla se montrer au marché.
Une main experte l'avait alors cueillie à froid, bâillonnée puis jetée comme un vulgaire topinambour au fond d'un sac. En provision d'une hypothétique rançon ? Même pas.
Alignée en rang d'oignons avec d'autres membres de sa famille - dont Clémentine, sa cousine -, elle ne se douta pas de l'intensité de la torture qu'elle allait subir. On ne lui laissa pas le temps de se faire du mauvais sang ni de se défaire de son carcan. Encore moins de semer la révolte.
On lui ôta la pelure orange qu'elle avait sur le paletot, si caractéristique des tenues d'otage, avant de lui planter profond un couteau dans sa gorge profonde.
Elle fut pelée, décortiquée, écorchée vive et transpercée par la lame affûtée d'un Laguiole incapable d'empathie. Un de ceux qui lacère de près.
Un comble pour elle, qui ne se lassait pas qu'on la serre de près.
La sanguinité de cet acte fut accentuée par la vive section de ses deux extrémités, si bien qu'elle dut se résoudre à se tenir en équilibre sur la tranche. Sans ne plus pouvoir bouger aucune membrane. Elle tenta bien de se remémorer l'époque du marché pour conserver un espoir infirme de se relever. Mais cela n'avança à rien.
La coupe était pleine et le couperet prêt à couper sa croupe.
La lame la dépeça à couteaux tirés sans faire de quartiers. En tranches nettes. La découpa ensuite en rondelles avant que la force centrifuge d'une étrange machine électrique ne lui pressa le citron jusqu'à la moelle pour en faire jaillir la quintessence de son jus.
Quelques lambeaux de peaux témoignèrent de la barbarie qui venait de se produire, égrenant ça et là des copeaux oranges. En petites coupures.
Terrée en haut des escaliers, les bras ballants et les paumes tournées vers le sol, je n'osais faire un zeste. Le son de la télé me parvenait du salon.
Mon frère regardait "Pulp fiction" en sirotant goulûment une brique d'Orangina rouge.
Soudain, la voix de ma mère me sortit de ma torpeur.
"Sylvie, ma chérie, viens boire ton jus d'oranges pressées. C'est plein de vitamines " !
Crédit photo : © LuckyImages
Tu es un malin ! Tu as savamment mené ton récit. Même si je savais au bout d'un moment qu'on avait affaire à un fruit, la scène de l'épluchage est relativement barbare ! Et ça te va bien ce genre de registre aussi: ce fût une lecture matinale très vitaminée, merci pour l'invitation ! Et je souris encore du clin d'oeil final à mon prénom ! Bonne journée Erge !
· Il y a environ 9 ans ·Sylvie Loy
Ravi que mon côté sanguinaire t’ait mis la pêche de bon matin ! Mais n’aie crainte, je ne fais ça qu’aux fruits ! Merci de ton cdc Sylvie. C'est sympa d'avoir l'avis d'une spécialiste comme toi. T’as bien pris ton jus d’orange au moins ce matin ? :)
· Il y a environ 9 ans ·erge
Quel talent !
· Il y a plus de 9 ans ·ouiouilaplume
Un talent d'éplucheurs d'oranges. Et je sais aussi faire ça avec des citrons. Incroyable, non ? Merci de ton commentaire élogieux. Oui oui, élogieux !
· Il y a plus de 9 ans ·erge
JE suis allergique aux oranges. Je craignais donc pour ma santé en venant me promener dans votre orangeraie. Mais, j'ai croqué votre texte et me suis régalée ! J'en reprendrais bien une bouchée !
· Il y a plus de 9 ans ·veroniquethery
Approchez Véronique, c’est sans danger. C’est pas une louve qui va avoir peur d’un ours. Je ne me nourris que de baies mais devant un commentaire comme le vôtre, je reste bouche bée. Je l’encadre et l’accroche au dessus de ma cuisine :) Au plaisir de vous régaler prochainement. Peut être avec une bonne pièce de boucher cette fois !
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Excellentissime. Mais si on ne mange plus de viande pour protéger les animaux (ni de poissons d'ailleurs) et qu'en plus on se déclare contre la torture des fruits et légumes...que nous reste-t-il ? Je n'aurais pas besoin de vitamine C pour me torturer avec ce dilemme toute la nuit.
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
Ne restera à vivre que d'amour et d'eau fraîche. Vertigineux, non ?
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Vous n'y pensez pas ? Et toutes ces petites bêtes microscopiques qui vivent dans l'eau et que nous allons assassiner !?! Donc, vraiment, il ne reste que l'amour. Quel tragédie ! :)
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
Encore un drame qui se prépare !
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Alors à nos stylos, nous sommes les témoins de l'histoire au moment où elle s'écrit :)
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
Coup de coeur pour la belle orange mécanique!
· Il y a plus de 9 ans ·anne-onyme
Cela me va droit au coeur. Merci Anne-Onyme( qui commence à être connue maintenant sur wlw !)
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Beau sens de la répartie Monsieur Erge!
· Il y a plus de 9 ans ·Je prends un abonnement.
anne-onyme
Allez tombons le masque. Vous pouvez virer le Monsieur devant Erge voire même me tutoyer.
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Quand on pense que tous les fruits pressés subissent le même sort pour notre plus grand plaisir. Il faut la sensibilité d'une enfant tapie sous l'escalier pour penser à leur sort peu enviable.
· Il y a plus de 9 ans ·Sensuel ce texte, en plus. Faut-il secouer pour décoller la pulpe?
lyselotte
Lyse, merci d’être passée du scotch au jus d’oranges. Pour vous répondre sur le fait de secouer pour décoller la pulpe, je mets un Joker car la petite Sylvie écoute. Ceci dit, l’orange, y n’a pas besoin d’être retournée dans tous les sens. On la prend comme elle vient :)
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Le scotch est imbuvable. Je préfère le jus d'orange et la paille sensuelle (pas comme le régime) dont vous sucez, pardon dont vous usez pour nous présenter son cheminement jusqu'à nos gorges.
· Il y a plus de 9 ans ·lyselotte
De mon verger, j’en sors en vertige devant toutes ces gorges déployées.
· Il y a plus de 9 ans ·PS : j’aurai du poster cette brève dans « amour et romance » ? Qu’en pensez-vous, Lyse ?
erge
Oui, il aurait été à sa place, effectivement. ; )
· Il y a plus de 9 ans ·lyselotte
Fort et bien branché sur l'Orange.. allo allo... J'fruit toute retournée devant l'nectar pendant qu'Tarantino il boit pas de l'eau...
· Il y a plus de 9 ans ·Apolline
Je rajoute un peu de glace pilée Apolline ? Merci de ton cocktail vitaminé.
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Merci mon frère car rien n'est de trop dans ma ville mandarine, il fait très chaud :))
· Il y a plus de 9 ans ·Apolline
De la belle plante, de la pas potiche et du fruit... moi j'aime çà !
· Il y a plus de 9 ans ·effect
ouais moi aussi ça me donne la pêche ! Merci pour ta consommation.
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Laurent gît là.
· Il y a plus de 9 ans ·yl5
A coté de sa femme, Laure, ange pressé !
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Une belle tranche de vie ou de mort!
· Il y a plus de 9 ans ·Olivier Bay
Verre à moitié plein ou verre à moitié vide ! Merci :)
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Ah ah très bien vu !!!
· Il y a plus de 9 ans ·ade
Merci Ade.
· Il y a plus de 9 ans ·erge
C'est une orange Ade !
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Joli !!!!!
· Il y a plus de 9 ans ·ade